En ce moment

    10/12/2014

    Tous les jours, 267 élèves viennent en cours

    45 ans et en terminale ES : bienvenue au lycée pour adultes

    Par Thibaud Delavigne

    Ils ont entre 18 et 72 ans et sont en 1ere, 2nde ou terminale. A Paris, un lycée s’est spécialisé dans l’accueil d’adultes. Au programme : des élèves en reconstruction et des amitiés improbables.

    Paris 14e – Rue d’Alésia. Au lycée municipal d’adultes (LMA), c’est la fin de la récré de 20h. Sur le trottoir, quelques retardataires finissent leurs clopes avant de monter en cours. Ils sont 267 élèves à venir tous les soirs préparer leur bac général dans le seul lycée d’adultes gratuit de France. Avec sa cour, son foyer aux couleurs pastel et sa salle des profs, le LMA a tout du lycée classique. Seule différence : les 2nd, 1ère et terminales ont entre 18 et 72 ans.

    Françoise Noël est proviseure depuis 7 ans. Depuis son petit bureau niché sur un palier d’escalier, la patronne discute avec passion d’andragogie (la pédagogie pour adultes), de l’impact social du diplôme en France ou des difficultés familiales et psychologiques des élèves. Car retourner à l’école à l’âge adulte, ça n’a rien d’anodin. Abdelkrim, 45 ans, en terminale ES, en témoigne :

    « On ne vient pas ici par hasard. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/nid-proviseur-lmaok.jpg

    François Noël, la proviseure du LMA rue d'Alésia / Crédits : Thibaud Delavigne

    Abdelkrim est un survivant. A 34 ans, un chauffard ivre percute sa voiture de plein fouet. 10 ans d’hosto plus tard – dont 3 cloué sur un lit où il ne peut communiquer qu’avec ses paupières, Abdelkrim a récupéré une partie de sa capacité physique. Il s’est marié, a des enfants mais cet accident a tout changé. C’est lors d’une visite chez un médecin que s’opère le déclic. « Je veux le bac pour faire des études, comprendre, faire le tri entre l’info et l’intox », confie l’ex-manutentionnaire dans un entrepôt de logistique

    Benetton

    Au LMA, il y a autant de raisons de reprendre ses études que d’élèves. « C’est inter-générationel et inter-ethnique, une mini-société dans sa diversité », détaille Olivier Moreau, prof d’éco à la voix de fumeur qui fait la classe depuis 32 ans au LMA. Un peu comme une pub Benetton. Les plus âgés viennent chercher du savoir. Beaucoup de femmes d’une cinquantaine d’années issues de l’immigration reconnaissent volontiers être animées par un esprit de revanche. A l’âge ou les autres passaient le bac, elles travaillaient ou élevaient des gamins. Se retrouver dans une salle de classe avec le bac dans le viseur, c’est un pied de nez à la vie.

    Et puis il y a les problèmes psychologiques. Olivier Moreau cite l’exemple de Bastien. A 22 ans, Bastien débarque au LMA. Il est phobique scolaire. Maladie méconnue, elle déclenche de fortes crises d’angoisses et empêche l’élève de venir en cours. Bastien suit certains cours, pas d’autres. Il est complètement flippé par les notes et disparaît parfois plusieurs jours des écrans. Bon élève, il finira quand même par avoir son bac.

    Mon Bac, ma bataille

    Agathe a 23 ans, elle est en terminale ES. Elle sort à peine du taf quand elle se pose devant son chocolat chaud. Derrière l’apparence fragile de la silhouette se révèle une grosse bucheuse. Tous les midis : service dans une pizzeria du Kremlin-Bicêtre. Puis, direction la bibliothèque – « un temple », s’emballe-t-elle, avant de rejoindre le LMA pour les cours jusqu’à 22h. L’an dernier, elle travaillait dans un hôpital. « Mais cette année, c’est le bac, j’ai décidé de m’y consacrer un maximum ». Abdelkrim habite à Provins. 2 heures et demi de train le matin, 2 heures et demi le soir. « Quand tout va bien » se marre-t-il. N’empêche, il faut une sacré dose de motivation pour suivre les cours du LMA.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/nid-archivesok.jpg

    Les archives des fiches des élèves du LMA / Crédits : Thibaud Delavigne

    Françoise Noel est admirative :

    « Vous imaginez, ils bossent la journée, ont des gosses, doivent passer des heures dans les transports et ils viennent »

    Sans parler de la pression sociale. Olivier Moreau cite l’exemple d’Yves-Louise, une élève préparatrice en pharmacie. Son patron a tout essayé pour la dissuader de passer son bac… Il avait peur qu’elle ne se lève pas le matin. Et la pression familiale aussi. Plusieurs élèves ont refusé de se laisser photographier ; comme cette dame malienne, 50 ans, angoissée à l’idée que ses neveux apprennent qu’elle retourne en cours. Ils pourraient avoir honte.

    Salut les copains

    Comme dans un lycée classique, aller au bahut, c’est aussi se faire des potes. Et il y a un côté famille au LMA témoigne l’équipe. Certains, désocialisés, retrouvent un cadre et des gens pour partager. Des liens forts se tissent. Agathe se souvient du jour de l’épreuve du bac de français. Un groupe d’élève du LMA arrive sur le lieu de l’examen. « Il y a eu des pleurs, beaucoup d’émotions, on y était ensemble. »

    Et puis, il y a parfois des amitiés improbables. Comme ce jeune retraité de la SNCF qui vient suivre des cours au lycée et prend Lee sous son aile, une jeune immigrée chinoise qui avait des grosses difficultés en français. Aujourd’hui, Lee est en prépa au lycée Fénelon, un des meilleurs de la capitale. « Je sais que ça peut paraître un peu bizarre cette histoire, mais ça ne l’est pas », désamorce Françoise Noël.

    Car ils sont nombreux à voir dans le bac autre chose qu’un diplôme. C’est aussi et surtout un sésame vers autre chose. Des études supérieures, une plus grande stabilité, de la fierté. Ils parlent souvent de reconstruction personnelle. Le LMA, c’est plus qu’un lycée, c’est aussi un endroit ou des vies chahutées ont la possibilité de changer. Abdelkrim raconte :

    « Quand on reprend ses études, on se surprend à penser qu’on a un avenir. J’ai déjà construit une partie de ma vie, j’ai une famille, je suis proprio. Mais maintenant, c’est moi que je construis… »

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER