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    16/02/2016

    Wati B, Mafia K’1 Fry, NTM, Snoop Dogg, Mobb Deep…

    Fabrice Fournier aka Fifou, le photographe aux 600 pochettes de rap

    Par Inès Belgacem

    En 10 piges, Fifou a réalisé près de 600 pochettes d’album de rap. A Streetpress, il raconte son court métrage pour Snoop Dogg, son shooting avec Maître Gims et ses aprem’ avec la Mafia K’1 Fry. Portrait d’un « buté de rap ».

    Père-Lachaise – « La semaine dernière, j’ai shooté Young Thug, énorme kif ! Le mec a une pure bouille. » Quand il parle de son dernier shooting, Fabrice Fournier, aka Fifou, affiche un large sourire. Pourtant, le photographe de 33 ans, traits fin et chapeau sur la tête, n’en est pas à son coup d’essai :

    « J’avais fait le décompte l’an dernier. J’en étais à 560 pochettes de CD de rap environ. En 6 ans. Sans compter les compils et mixtapes. J’en ai un bon camion ! »

    Mac Tyer version impressionniste, c’est lui. Alonzo entièrement d’or vêtu, lui aussi. Les anges noirs de Youssoupha, encore lui. Ces derniers sont encadrés dans son bureau, où StreetPress l’a rencontré. Il est le photographe incontournable du rap français et désormais, on lui permet toutes les excentricités :

    « Pour l’album “Mon cœur avait raison” de Maître Gims, j’ai fait construire un bac à eau immense pour pouvoir totalement l’immerger. L’équivalent de 6 baignoires au moins. Le pauvre, il est resté une heure dans une eau à 8°. Il a failli attraper la crève… »

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    Un centième des pochettes réalisées par Fifou... / Crédits : Fifou

    Le buté au rap

    L’histoire de Fifou est celle d’un « buté de rap » :

    (img) Avec Xzibit en 2000 fifoujeune.jpg

    « J’ai allié mes deux passions : l’image et le rap. J’étais obsédé. »

    Le futur photographe n’a que 16 ans lorsqu’il commence à squatter les studios de Vallée FM, où il tient une chronique sur le graffiti :

    « J’étais juste avant l’émission du label Time Bomb. C’était tout nouveau à l’époque. Le truc était animé par Dj Mars. Un paquet d’artistes hip hop venaient y freestyler. »

    Lunatic, Oxmo Puccino, X-Men, au milieu des 90’s, ils passent tous au micro de la petite radio associative. C’est là aussi que le lycéen de Chelles rencontre Princesse Aniès, devenue depuis une bonne amie :

    « Elle avait une émission sur Génération le samedi matin. Je squattais tous les week-ends ! J’y ai rencontré toute la scène rap. »

    Bac en poche, il commence des études de graphisme. La radio Génération partage ses locaux avec le magazine Radikal, où il décroche un stage de quelques mois. Fifou tape l’incruste :

    « Je passais des heures au studio Coppelia, à la Motte-Piquet. A l’époque c’était le QG du rap parisien. Je me souviens de session où JoeyStarr kickait torse nu ! »

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    Avec Busta Flex et Oxmo Puccino / Crédits : Fifou

    Un rêve pour le gosse de Seine-et-Marne :

    « Je n’ai pas grandi dans tout ce qui est rue, illicite ou bande. Je suis un enfant de bonne famille. Je fais partie de la classe des petites gens. Mais j’étais passionné par tout ce qui était rue et homme de l’ombre. Tu vois le morceau de Lunatic ? Bah je suis pareil ! »

    Première pochette

    (img) Le monde est à nous koolshen.jpg

    2005, on lui propose de réaliser sa première photo pour une pochette d’album. S’il a déjà dessiné ou designé des pochettes de CD, il n’a jamais vraiment touché à un appareil photo.

    « Un jour, le mec qui s’occupait du premier album de Kool Shen est venu me voir et m’a dit ‘Tiens prend cet appareil, tu nous fais la pochette. On veut que ça soit toi’. J’avais zéro expérience. »

    Les mains moites, Fifou se lance. Un après-midi de shooting et 1000 clichés plus tard, une seule photo dans le lot n’est pas flou. Kool Shen la gardera pour son single L’avenir est à nous, en feat avec Rohff et Dadoo.

    « J’avais une dalle infinie »

    Fifou, c’est le bon copain de tout le monde. Très vite, tout le milieu fait appel à lui :

    « J’ai un capital sympathie énorme. Peu importe le label ou la maison de disques, ce sont les rappeurs qui me demandent. Ils m’imposent presque. C’est comme s’ils appelaient le photographe de leur équipe. Je suis un pote ! »

    Une situation qui a pu en agacer plus d’un :

    « J’ai cassé le marché à une époque. En plus de faire le travail de 4 personnes, j’avais une dalle infinie. J’ai détrôné des grands photographes. Des vrais tueurs en série ! Mais tu es là au bon moment avec une bonne idée et hop ! Tu chopes la place. »

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    « J’ai un capital sympathie énorme. » / Crédits : Fifou

    Clubs de strip’ et combats de bulldogs

    Lui aime se comparer au personnage d’Elijah Wood dans Hooligans, un outsider en immersion dans un monde auquel il n’appartient pas :

    « J’étais ce même petit blanc frêle, mais dans le rap. J’étais le mec peace avec des cheveux longs, qui avait 200 mecs derrière lui si on l’emmerdait. »

    Entre deux gorgées de café, il déroule les anecdotes :

    « A Paris, je me suis fait virer de plusieurs apparts. Le voisinage n’en pouvait plus. Quand les mecs de la Mafia [K’1 Fry] squattaient à la maison, c’était le bordel. Ça crachait par la fenêtre. Ça gueulait. J’ai déjà eu des combats de bulldogs dans mon salon. »

    Il devient pote avec tout le rap français et dans son sillage découvre les clubs de strip, des embrouilles et des appart’ louches. Il en profite pour photographier « tout l’à-côté du rap » : « Bastonneurs, tapineuses, dealers, j’ai toutes les coulisses. » Le vigile de NTM, chasseur de Skins, l’embarque dans les milieux antifa’. Fifou saute dans tous les trains, immortalise tout.

    Mobb Deep et Snoop Dogg

    Son tempérament fougueux l’a parfois mis dans des situations qu’il qualifie rétrospectivement de « franchement glauques ». Les histoires qui le marquent le plus se passent aux États-Unis : « En France je travaille avec mes potes. Aux USA, je rencontre des mecs dont je suis fan ». En 2013, le féru de sons US part deux semaines à Los Angeles pour faire des photos pour un blog qu’il tient avec des potes :

    « De fil en aiguille, on s’est retrouvé à faire un court métrage pour Snoop Dogg. C’était improbable. Il n’y avait que des vrais mecs de rues partout. C’était super ghetto ! On a eu une scène à faire dans une crack house. Ils nous ont emmenés dans une vrai ! À la fin, y a un vrai mec qui se pique ! »

    Une autre fois, il se laisse traîner dans le Queens à New York. Fifou et ses copains atterrissent dans un studio miteux du quartier, très vite transformé en aquarium. Débarquent sans prévenir les gars de Mobb Deep. « Non mais t’imagines ?! Je les vois rapper en face de moi ! Oh la la ! » Le photographe en parle encore tout estomaqué.

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    Fifou, sa team, et Infamous Mobb à NY / Crédits : Fifou

    « La vérité c’est que je n’ai jamais eu peur. J’étais trop excité par tout ce qui se passait autour de moi. »

    Fifou rêve d’élargir son champ

    Ce monde auquel il n’appartenait pas, il s’y est finalement acclimaté. À tel point qu’il a longtemps adopté une « approche assez ghetto » de son métier. « On a effrayé le milieu », rembobine-t-il moitié amusé, moitié consterné. Pour exemple, lorsqu’il a collaboré avec l’équipe du film L’Arnacœur pour réaliser l’affiche. Il reçoit le réalisateur Pascal Chaumeil pour en discuter :

    « C’était n’importe quoi. Je lui ai proposé un verre de rhum pendant qu’un pote jouait à la Playstation en fumant un pilon avec Doc Gynéco. »

    Aujourd’hui, Fifou voudrait calmer le jeu, passer à autre chose. « J’étais du genre à aller en entretien capuche sur la tête, t’imagines ?! » Le fait est qu’il n’a jamais vraiment eu un parcours banal : aucune prospection, aucune recherche d’emploi. « On m’appelait, c’est tout. J’étais un enfant gâté. »

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    « On a effrayé le milieu » / Crédits : Fifou

    Il n’a pourtant pas attendu pour lancer ses business en auto-entrepreuneur. Une ligne de T-shirts notamment. Des collab’ avec des marques de fringues aussi. Une autre avec la FFF. Si 70% de ses travaux se font hors rap, ce sont les pochettes qui lui rapportent le plus.

    Le rap, il aime toujours ça. Mais il en a fait le tour. Il voudrait changer de branche. « Photographier Béatrice Dalle à l’argentique ça serait un kif ! Ou un groupe de hard-rock avec des barbes jusque par terre ! » Mais la reconversion n’est pas simple :

    « Je me suis rendu compte que c’est mieux de présenter une photo de Jennifer que de Nessbeal. Ça rassure le client ! »

    Il a prévu la parade. « Je vais me faire deux sites : un avec des balafres et un sans ! », rigole-t-il. L’intéressé rêve de courts métrages, de documentaires, de clips, de BD, de photos, il ne se ferme aucune porte. Un boulimique :

    « De toute façon, si tu te reposes dans ce milieu, tu t’ennuies très vite. Moi je suis là pour m’éclater ! »

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