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    11/01/2017

    « Je vous aime fils de pute »

    Nicolas Gardères, l’avocat d’extrême gauche qui défend l’extrême droite

    Par Che Eduardo Lemiale

    Amoureux des libertés publiques, Nicolas Gardères n’hésite pas à défendre ses ennemis politiques lorsqu’ils sont attaqués sur des questions de liberté d’expression.

    Paris, 17e – Barbe à la Jaurès, cheveux en l’air, costard sans cravate, tutoiement de rigueur, Nicolas Gardères ne ressemble pas à l’image que l’on se fait d’un avocat d’affaires. C’est que le bonhomme ne s’intéresse pas qu’aux fusions-acquisitions. Il est surtout connu pour ses tribunes cash dans les colonnes de Libé ou l’Obs. Et ce n’est pas tout.

    En farouche défenseur de la liberté d’expression, l’homme met ses principes en action. A la barre, lui, le militant d’EELV, défend tout ce que l’extrême droite a de plus vénère, de Serge Ayoub (dans l’affaire de la dissolution de ses associations politiques d’extrême droite) à Riposte Laïque – qu’il considère comme « principale association islamophobe de France ». Invité par Résistance Républicaine et Riposte Laïque aux « Assises pour la liberté d’expression », il déclarait devant un parterre de fachos en 2015 :

    « Vous êtes moches comme des barbus moches, vous êtes faibles comme des roms de bidonville, vous avez peur comme des juifs qui ont peur de mourir assassinés. Je vous aime fils de pute. »

    Tu es d’extrême droite ou d’extrême gauche alors ?

    Je suis un pacifiste, anarchiste, écologiste libertaire.

    C’est facile à assumer de défendre des militants d’extrême droite ?

    La posture de l’avocat d’extrême droite reste socialement acceptée au sein du barreau de Paris. Mais au fond, j’ai un peu flippé de passer pour un facho. Dans la tradition politique en France, les militants et partis d’extrême droite sont défendus par des militants d’extrême droite. Du coup, j’ai préféré passer pour un avocat qui se justifie que pour un fasciste.

    Pourquoi défendre l’extrême droite ?

    On est obligé de composer avec une bonne partie de la population qui vote pour le FN. Il me semble que la stratégie du cordon sanitaire, qui consiste à ne pas débattre avec l’extrême droite, a échoué. Dans les faits, j’ai envie de les gifler, de leur cracher dessus, de leur vomir dessus, mais au fond chacun a le droit à la même liberté d’expression. Dans la démocratie, la voix du beauf du coin de la rue compte autant que celle de l’intellectuel de haut niveau. J’ai le sentiment de faire honneur à ma robe en défendant des gens qui sont mes ennemis politiques.

    Quand as-tu défendu pour la première fois un militant d’extrême droite ?

    En mai 2013, c’était Serge Ayoub. Je l’avais d’abord rencontré pour un projet de recherche sur la radicalité en politique. On avait beaucoup discuté et c’était très intéressant. Suite à la mort de Clément Meric, l’Etat a voulu dissoudre ses associations politiques. J’ai été le voir le soir-même au « Local », le bar associatif qu’il tenait à l’époque. Il lui fallait un avocat spécialiste des libertés publiques. Il a vu que j’étais motivé et pro. C’est dans ce cadre que je suis rentré dans ce “Faf Game”.

    Est-ce que c’est compatible de défendre Riposte Laïque, Serge Ayoub et en même temps la LDJM (Ligue de Défense Judiciaire des Musulmans, association créée par Karim Achoui) ?

    Pour moi c’est totalement compatible. Dans ma conception du rôle d’avocat défenseur des libertés publiques, il n’y a aucun problème. Quand je défendais Riposte Laïque, je défendais leur liberté d’expression, leur droit de critiquer l’Islam vertement, même avec un vocabulaire peu châtié et sans nuance. Je ne vois aucune contradiction avec le fait, par ailleurs, de défendre celle des musulmans qui considèrent qu’il y a une violation de la liberté de conscience et de culte. Toute la problématique, c’est la démocratie.

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    Barbe à la Jaurès / Crédits : Che Eduardo Lemiale

    Comment les gens d’extrême droite te perçoivent ?

    Ceux qui ne me connaissent pas, apparemment, me détestent. Le facho de base derrière son computer, le commentateur, c’est presque une catégorie en soi. Je me fais incendier, injurier. Si je mettais toutes les insultes bout à bout, j’écrirais 10 pages entières. En incarnant un espèce de bobo-gaucho-écolo-parisien, je heurte énormément de fachos, c’est sûr. En ce qui concerne les fachos que je fréquente, ils me kiffent. Ils me kiffent parce que je suis un mec ouvert, avec qui ils peuvent discuter. Je ne suis pas dans une posture de rejet sectaire. Ce n’est pas parce qu’un mec a telles opinions politiques qu’il est forcément un gros enculé. Chez les fachos, il y a de tout, notamment des chics types.

    Et tes amis de gauche ils en disent quoi de ta défense de l’extrême droite ?

    Il faut bien comprendre une chose, ma notoriété est importante au sein de l’extrême droite. Au sein de la gauche, je suis largement inconnu. Avec mes amis de EELV, ça passe crème. Je crois que ma démarche est assez claire et cohérente, quoique marginale. Je n’ai jamais eu le moindre souci. Après, ça tient aussi au fait que je n’ai aucune responsabilité à EELV.

    Tu as beaucoup parlé au passé, ça veut dire que défendre l’extrême droite c’est fini ?

    Aujourd’hui, j’ai moins de dossiers. Quelques-uns pour des relatifs anonymes sur des histoires de diffamation, surtout. Je ne suis pas sûr d’avoir d’autres grosses affaires. Malgré tout, j’ai cette image très à gauche et je pense que ça peut rebuter. Après, si j’ai un beau dossier de facho qui vient, je le prends. Ca ne m’a pas traumatisé. Une chose est sûre, plus je les fréquente, plus je les connais, plus je discute avec eux, plus je me sens ancré dans la gauche libertaire.

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