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    13/03/2017

    Kafka, es-tu là ? On lutte depuis plus d’un an pour toucher nos APL

    Par Amélie Na , Alice Maruani

    Amélie et Rémi ont commencé leur vie d’étudiants par des aller-retour à la CAF, du stress et de la déprime. Pour vivre sans leurs aides, ils ont fait appel à leurs parents et se sont serrés la ceinture.

    Je suis un cas extrême de galères de CAF. Chez moi, ça dure depuis plus d’un an.

    Depuis notre emménagement ensemble avec mon copain, Rémi, en janvier 2016, on n’a jamais réussi à toucher nos APL [les Aides personnalisées au logement ] normalement.

    En tant qu’étudiants, on a le droit à 300 euros d’aides. On habite à Lille et on a choisi notre logement en fonction de ce montant : le loyer étant de 600 euros, les APL étaient supposées couvrir la moitié et nos familles payer le reste, soit 150 euros chacune.

    C’est le maximum qu’elles peuvent se permettre, car elles ne roulent pas sur l’or. Ma mère est une petite restauratrice ; le père de Rémi est chômeur, sa mère institutrice.

    Grâce à ces aides, on se disait qu’on pourrait vivre à peu près normalement. On était plutôt confiants : c’était notre premier appartement en couple, un passage dans la vie, mais c’était surtout le début d’un long enfer administratif.

    Neuf mois pour toucher nos APL

    Janvier 2016. À la fin du mois, on a constitué notre dossier pour les APL. On savait que ça allait prendre un peu de temps au début, et nos parents s’attendaient à nous aider, ce qu’ils ont fait.

    Avril. On n’avait toujours rien touché. On nous a envoyé un courrier papier pour nous dire qu’il manquait un élément. En ligne, la CAF nous indiquait a contrario que tout était ok pour notre dossier. On a été naïfs. Quand on a vu que rien ne tombait, on a appelé l’assistance étudiant. C’est un numéro qui permet d’avoir quelqu’un plutôt rapidement. C’est payant, évidemment.

    Ils nous ont dit qu’il manquait bel et bien un papier. On a pris rendez-vous pour le rendre en mains propres, car on se disait que c’était plus sûr. On a pu trouver une plage horaire convenable que trois semaines après, début juin.

    Juin. Une fois devant la conseillère, ils se sont rendus compte qu’il ne manquait rien, en fait. La conseillère a pointé son écran pour montrer qu’elle validait le dossier, en disant que ce serait débloqué.

    Deux mois plus tard, toujours rien. Entre temps, j’avais déjà relancé une fois. La deuxième, on nous indique qu’il manque un autre papier : la fiche de paie de mon copain qui a commencé un petit job en janvier, de 7h/semaine pour 200 euros par mois. Il l’avait indiqué à la conseillère et avait voulu lui donner le papier, mais elle avait refusé en disant que ça ne rentrait pas en compte.

    La conseillère nous sort : “On fera passer votre dossier en urgence, c’est vrai que 5 mois ça fait long”. De janvier à août, on avait pas eu d’APL. On a envoyé les fiches de paie et ça s’est débloqué fin septembre. On a touché le rappel de fin janvier à septembre de 2300 euros. Ça nous a fait du bien. On a pu rembourser nos parents.

    Un déménagement, et tu repars pour des mois de galères

    Octobre. Sauf qu’une autre catastrophe est arrivée : on a déménagé. On le savait depuis quelque temps, mais on ne voulait pas le dire à la CAF plus tôt de peur que ça bloque encore. On a fait le changement d’adresse en octobre. L’assistance payante nous a dit que c’était rapide, un à deux mois maximum,mais on était reparti pour des mois de galères.

    On a changé de bail, mais aussi de situation. On est entré tous les deux en alternance à ce moment là. Et honnêtement, c’est aussi ce qui nous a sauvé de l’impasse. On donne les papiers pour le changement d’adresse. Voyant qu’on ne reçoit rien au bout de trois mois, on rappelle, et tiens, il manque encore un papier ! Nos fiches de paie cette fois, qu’on avait pourtant proposées dès le mois d’octobre.

    Ils disent que ça prendra un mois et demi, un “délai plutôt rapide”. Bon, c’est déjà plutôt long, surtout que c’est une erreur de leur part et qu’on aurait pu attendre des mois et des mois sans nouvelles. Finalement, on a touché 1300 euros au début du mois de janvier.

    Janvier 2017. On s’est dit que le processus était enclenché, champagne ! Mais une fois de plus, on a été beaucoup trop naïfs. Ils nous ont demandé de nouveau nos fiches de paie de novembre.

    Février. À ce moment là, j’étais à bout. Comme j’ai une assistante sociale au travail (je suis en alternance chez Enédis), j’ai été la voir fin février, je lui ai dit que j’avais peur que ça bloque encore. Elle a envoyé un mail et on a eu notre rappel pour les deux derniers mois. Mais rien n’est encore sûr actuellement.

    La fatigue morale est énorme

    Cette histoire nous a bouffés. Nos parents nous ont heureusement aidés le plus qu’ils pouvaient, mais la fatigue morale est énorme, entre le stress dû à cette situation et le fait de ne pas avoir de sous.

    On ne mange pas ce qu’on veut, on ne peut pas sortir, alors qu’on voit tous les jeunes qui vont au restau ou dans des bars. On dépense tout dans l’appart, on est tout le temps à l’intérieur, l’un sur l’autre. Ce sont des frustrations quotidiennes. J’avais eu une cagnotte pour m’inscrire au permis, mais j’ai dû l’épuiser pour faire les courses. Je ne l’ai pas dit à mes parents, je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent.

    Quand j’enlève les dépenses fixes, il me reste 40 euros pour finir le mois

    C’est aussi pour ça que j’ai changé d’orientation. J’ai fais trois mois de droit, six mois d’Arts de la scène et en septembre j’ai opté pour un BTS assistant de manager. C’est rassurant de gagner ses sous à soi, d’être un peu autonome. Avant, nos parents faisaient nos courses et nous donnaient un peu de sous pour payer les transports et les charges.

    On gagne à peine un smic à nous deux — je gagne 780 euros et Rémi 600 euros. C’est déjà ça. On peut payer l’appartement et les charges.

    J’ai fais mon calcul pour ce mois-ci. Sur nos salaires, quand on enlève le loyer, l’électricité, les transport en commun et internet, il nous reste moins de 40 euros pour finir le mois. On ajoute 300 euros quand les APL tombent. C’est pas rien.


    « On m’a conseillé d’envoyer une lettre en menaçant de me suicider. »

    Amélie, en galère avec sa CAF

    Alors oui, les APL finissent par tomber, mais le fait de ne pas les toucher régulièrement fait qu’on ne peut jamais mettre de sous de côté et prévoir des vacances, par exemple. Et ça m’empêche aussi de toucher d’autres aides, proposées dans le cadre de mon alternance et corrélées à la CAF qui elles, ne sont pas rétroactives. (Qu’est-ce qui t’empêche de toucher d’autres aides : le fait de toucher la Caf ?)

    Je ne comprends pas ce qu’il se passe, et les conseillers de la CAF non plus en fait. J’ai l’impression que le système est fait pour décourager les gens. Beaucoup doivent abandonner. Tous ceux qui n’ont pas le courage de relancer, de faire chier. Alors oui, au téléphone, tu essayes de garder ton calme, de ne pas insulter, mais c’est dur.

    Je suis un cas extrême, mais j’en connais d’autres à la fac qui sont en galère.
    On m’a tout conseillé : d’aller pousser une gueulante là-bas ou d’envoyer une lettre en menaçant de me suicider.

    Je pense que la meilleure chose à faire est de se tourner vers une assistante sociale, qui connaît bien les rouages et les “failles”. Elle seule peut se débrouiller là-dedans.

    > A lire aussi : Madame la Ministre, savez-vous ce que c’est d’avoir des galères de CAF ?

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