Ma mère est décédée d’un cancer. Ca nous a tous marqués dans la famille : tout le monde chez nous donne régulièrement son sang, est inscrit au registre de donneur d’organes, etc.
J’avais un bon ami quand j’étais à la fac dont la soeur de 14 ans était atteinte d’un cancer de la moelle osseuse. Comme il était originaire du même bled que moi en Turquie, j’avais plus de chance d’être compatible qu’un autre.
Ce qu’il faut savoir, c’est que pour la moelle osseuse, la probabilité générale est de 1 sur un million. C’est juste énorme. Ca veut dire qu’en France, il y a environ 60 personnes seulement compatibles avec chacun de nous. J’ai donc fais des tests à cette époque.
Dans le cas de la soeur de mon pote, ça n’a pas marché. Mais je suis resté sur le registre. J’habitais en banlieue parisienne à l’époque. Quand j’ai bougé à Paris, j’ai arrêté de recevoir ma carte de donneur. Je me disais qu’ils m’avaient perdu, mais j’avais d’autres choses en tête et je ne m’en suis pas occupé.
Vingt ans plus tard, je matche avec un patient
La semaine dernière, fin février, je suis à la campagne en Bourgogne — j’ai une maison qui me sert d’atelier — quand je reçois un coup de fil. C’est la secrétaire de l’Etablissement français pour le don de sang, qui coordonne tous les dons.
On me dit qu’à première vue, je matche avec un patient. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire en terme de probabilité, mais elle est beaucoup beaucoup plus forte que la moyenne, ça c’est sûr. Il faut faire d’autres examens pour savoir si je le suis à 100%. Examens que je n’ai jamais eu la chance de faire.
« Si j’avais une chance de sauver quelqu’un, je voulais vraiment la saisir »
Thomas, interdit de don pour une greffe de moelle osseuse, car homosexuel
Quand la secrétaire apprend que je suis en Bourgogne, elle s’agite : « Ah zut, comment on va faire? ». Je lui dis qu’il n’y aucun problème, « je peux monter en urgence aujourd’hui même. » Si j’avais une chance de sauver quelqu’un, je voulais vraiment la saisir.
On me demande mes antécédents médicaux. Je raconte que, l’an passé, j’ai été hospitalisé pour une forte fièvre, dont on n’a jamais su la cause. Mais à cette occasion, j’ai fait une batterie de tests et je suis en parfaite santé.
« Je suis pédé quoi ! »
Avant de raccrocher, je tiens à préciser que j’étais hétéro quand je me suis inscrit au fichier, mais qu’à présent je vis avec un homme. Elle ne comprend pas tout de suite. Je lui dis : « Je suis pédé quoi ! ».
Elle s’adresse au médecin coordinateur. Et m’informe que, du coup, elle doit me retirer du registre. Je ne lui en veux pas : la loi est la loi. Un médecin qui la brise pourrait se faire radier de l’Ordre.
C’est ironique parce que le gouvernement a ouvert l’an passé le don du sang aux homosexuels, sous condition d’abstinence sexuelle. Et le VIH se transmet surtout par le sang.
Mais pour les autres organes, dont la moelle osseuse, on ne peut toujours pas donner, m’a-t-on expliqué. On m’a dit qu’ils avaient bon espoir que ça se débloque en 2017. Mais je n’y crois pas, surtout si la droite est au pouvoir. Ca sera remis aux calendes grecques !
Ne pas pouvoir donner est humiliant
Je suis dépité. Quand on refuse votre don, c’est très humiliant. Ca vous disqualifie en tant que personne. Ca veut dire que je ne suis pas « assez bien » pour donner.
Il y a quelque chose de révoltant dans cette législation, qui date des années 1980. A l’époque, les homosexuels mourraient en masse du virus. Et il n’y avait pas les moyens de dépistage qui existent aujourd’hui, quasi instantanés.
Moi ça fait 15 ans que je suis avec la même personne. Je suis, du coup, plus fidèle que beaucoup des hétéros. Les hétéros qui multiplient les partenaires ou couchent avec des prostituées par exemple, sont donc bien plus « à risque » que moi.
Et puis c’est absurde : on a bien le droit de donner ses organes. D’ailleurs, c’est bien difficile de déclarer ses pratiques sexuelles quand on est mort.
Cette loi a du sang sur les mains
Même dans la nouvelle législation sur le don du sang, pour donner, il faut avoir passé un an sans relation sexuelle avec un autre homme. C’est simplement énorme.
Je ne sais pas si la personne malade à qui j’aurais pu donner ma moelle osseuse est au courant que quelqu’un aurait eu une chance de la sauver, si cette loi stupide n’existait pas.
Mais à mon avis, cette législation a été et est encore responsable de pas mal de morts.
La moelle fabrique en effet les cellules du sang et est donc plus susceptible de transmettre le VIH que les autres organes.
En 2009 déjà, un donneur homosexuel, Frédéric Pecharman, n’avait pas pu donner sa moelle malgré sa comptabilité. Il s’était mis en grève de la faim pendant 30 jours en espérant que la législation évolue. En vain.
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