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    10/03/2017

    En expulsant Farhad, menacé de mort par les talibans, la France le condamne

    Par Marion Beaufils , Sarah Lefèvre

    Farhad, jeune afghan, traducteur de l'Onu dans son pays, doit être expulsé lundi matin par la police française. Direction la Norvège, puis très probablement l'Afghanistan. Il y est menacé de mort par les Talibans.

    Lundi matin, la police va aller chercher Farhad, jeune traducteur afghan qui avait travaillé pour l’Onu, dans sa chambre au centre de rétention, près de Paris. Très probablement, les policiers vont lui scotcher les bras et les jambes et le couvrir d’un casque. C’est toujours comme ça qu’ils font.

    Son vol est prévu pour 11h15 lundi 13 mars, direction Oslo. Puis il sera expulsé, quelques jours plus tard, vers Kaboul.

    La Norvège a rejeté la demande d’asile de Farhad. En France, comme en Europe, nous avons épuisé tous les recours. Il faut réagir maintenant, car on sait ce que risque Farhad lorsqu’il atterrira en Afghanistan.

    Un accord hypocrite signé entre l’Afghanistan et l’Union Européenne

    Le contexte de tout cela, c’est un accord entre l’Union Européenne et l’Afghanistan. Désormais, les pays européens peuvent expulser des Afghans même s’ils n’ont pas de passeports ou de laisser-passer provenant du consulat.


    « La France et tous les autres pays de l’UE font des laisser-passer à la pelle et renvoient les Afghans »

    Marion Beaufils, juriste

    Normalement c’est à l’Afghanistan de délivrer un laisser-passer pour que son ressortissant puisse rentrer. Là le pays a dit : faites vous-mêmes les laisser-passer et on les prendra. Donc la France et tous les autres pays de l’UE font des laisser-passer à la pelle et renvoient les Afghans.

    En contrepartie, l’UE s’engage au développement politique et économique du pays, pour favoriser la paix, par le biais de programmes comme celui pour lequel Farhad s’est engagé.

    Voilà pourquoi l’expulsion de Farhad est cyniquement « légale »

    Farhad a quitté l’Afghanistan pour deux raisons. Engagé dans des manifestations pour la paix en Afghanistan, des photos de lui sont parues dans la presse. Les Talibans l’on rapidement identifié.

    En plus, il était traducteur en anglais pour l’Onu, dans le cadre de la mise en place d’élections libres. Les Talibans l’ont persécuté pour cela. Quand les Talibans sont allés chercher Farhad, ils ont menacé son père et son oncle de leur faire la peau. Farhad a avec lui des lettres de menaces envoyées par des Talibans.

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    Fahrad doit être expulsé lundi 13 février vers la Norvège, qui à son tour l'expulsera vers l'Afghanistan / Crédits : DR

    Malgré tout cela, la Norvège a refusé la demande d’asile déposée par Farhad. Et quand il s’est fait arrêter lors d’un contrôle de police en direction de Lille, après avoir été recalé du centre flambant neuf parisien de la porte de la Chapelle, les flics ont relevé ses empreintes et se sont rendus compte qu’il était fiché en Norvège et qu’il avait déjà fait une demande d’asile là-bas. Dans ce cas-là, la France demande donc tout simplement à la Norvège de reprendre la personne.


    « L’Etat français a la possibilité de décider de protéger Farhad. »

    Marion Beaufils, juriste

    Sauf que la préfecture a toujours le droit d’analyser un dossier en particulier et de changer d’avis. L’Etat a la possibilité de décider de protéger Farhad.

    Mais là, la préfecture du Pas-de-Calais répond que ce qu’elle fait est légal. Il était à Calais et envisageait de passer en Angleterre quand il a été arrêté.

    Nous avons tenté tous les recours pour Farhad

    Aujourd’hui Farhad n’a plus de recours. Nous les avons tous épuisés.

    Quand une personne est enfermée en centre de rétention, elle a plusieurs possibilités pour demander d’être libérée : contester la décision d’expulsion devant un tribunal administratif et contester son enfermement auprès du tribunal de grande instance et de la cour d’appel. Farhad a tenté ces trois recours – devant le TGI de Boulogne sur mer, la cour d’appel de Douai, et le tribunal administratif de Lille – tous ont été rejetés.

    On a aussi écrit à la Cour européenne des droits de l’Homme. Le recours a été rejeté le jour-même. Les juges se contentent d’étudier la situation en Norvège en disant que c’est un pays sûr et qu’il n’y a pas de problème. Mais les juges savent bien ce qui va se passer.

    En novembre, Roman a été expulsé de la même manière en Afghanistan – via la Norvège

    Car à l’automne dernier, le même scénario s’est déjà produit. Un Afghan de 24 ans avait été expulsé vers la Norvège. Deux jours plus tard, il était renvoyé en Afghanistan.

    Ce jeune Afghan s’appelait Roman. Il avait été arrêté le 29 septembre en France puis emmené en rétention au Mesnil-Amelot en Seine et Marne, le plus grand centre de rétention administrative du pays, où se trouve actuellement Farhad. Roman y était resté jusqu’au 10 novembre puis s’est fait expulsé à deux jours des 45 jours de rétention, durée maximale.

    La mobilisation, notamment du collectif La Chapelle Debout et les refus de Roman de monter dans l’avion avaient retardé son expulsion.
    Avant ça, il avait refusé à trois reprises le vol pour Oslo. Puis, quand la préfecture s’est rendue compte de l’importance de la mobilisation, les policiers ont cessé de nous informer de la suite des événements. Et ont scotché, casqué, et embarqué Roman dans l’avion, direction Oslo, le 10 novembre.

    Le 12 novembre, la Norvège a renvoyé Roman à Kaboul. Depuis qu’il a été renvoyé dans la capitale afghane, Roman vit terré, caché.

    L’État français, ferme les yeux sur Roman, comme sur ce qu’il s’apprête à faire vivre à Farhad.

    >> Lire aussi l’appel de Farhad : Je suis menacé de mort par les talibans, lundi la police va m’expulser vers l’Afghanistan

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