En ce moment

    17/03/2017

    Je suis prof dans le 93 et j'enseigne dans des taudis

    Par Issaba , Aladine Zaïane

    Issaba est professeur de mathématiques dans le 93. Adolescent, il a fréquenté un collège en ruine à Montreuil. Aujourd'hui, il enseigne dans des collèges du département tous plus délabrés les uns que les autres. Comme un sentiment de déjà-vu...

    J’ai grandi à Montreuil, ville où j’ai passé toute ma scolarité. J’étais, à l’époque, dans un collège insalubre comme il en existe malheureusement beaucoup dans le 93 (et ailleurs). Aujourd’hui devenu professeur de mathématiques, je revis ces années collège de l’autre côté du pupitre, près de 20 ans plus tard.

    En seulement quelques années, j’ai déjà enseigné dans quatre établissements différents (classés REP ou REP+) entre Epinay-sur-Seine et Saint-Denis. Force est de constater que rien n’a vraiment changé pour les nouvelles générations. Ils vivent ce que nous avons nous-mêmes vécu.

    « Finalement nos plaintes sont les mêmes, on décrit la même réalité, on dénonce les mêmes problèmes. Titre après titre, album après album. Au point qu’j‘ai l’sentiment que tout ça n’est qu’un éternel recommencement… »

    Ces quelques vers du rappeur Youssoupha (Éternel recommencement) font terriblement écho à mon parcours et à la situation de l’enseignement dans le 93. Je vous parle de ce que je connais, je m’en tiendrai donc à ce département.

    Car oui, aujourd’hui en 2017, j’ai l’impression de me retrouver au même point qu’en 1998 lors de ma première rentrée au collège Jean Moulin. Les discours politiques s’alignent les uns à la suite des autres, on promet le changement, nous citoyens, parents, professeurs, dénonçons les mêmes inégalités mais on retrouve les mêmes problèmes 20 ans après.

    Oui, c’est un éternel recommencement et les mêmes qui subissent l’inaction de nos responsables politiques. Qu’ils soient au niveau local ou national.

    Mes années collège dans un établissement à l’abandon

    Laissez-moi vous parler de ma scolarité d’abord. Particulièrement marquée par mon passage au collège Jean Moulin, qu’on avait affectueusement rebaptisé “Jean Boul-dingue”, maboule quoi. Ce collège était en plein milieu d’un ensemble de bâtiments et regroupait les gosses de plusieurs quartiers difficile de la ville.

    Gitan, blanc, renoi et rebeu, chaque communauté avait ses « narvalos ». C’est la signature montreuilloise.

    En plus des problèmes sociaux économiques que connaissaient beaucoup des élèves qui fréquentaient ce collège, il y avait l’état de délabrement avancé de l’établissement. Un collège en ruine dans tous les sens du terme. En guise de murs pour séparer les classes du couloir, on avait des cloisons fébriles en placo qui menaçaient de tomber.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/henriwallon2.jpg

    Couloir du collège Henri Barbusse /

    Il suffisait juste de s’appuyer contre ces cloisons ou de les pousser avec la main pour qu’elles s’inclinent. A l’époque, ça nous amusait mais avec le recul je me demande comment elles ont tenu le coup. Dans certaines salles, il y avait des trous au sol par où passaient les tuyaux d’évacuation.

    On voyait la classe en-dessous. Certains s’amusaient à jeter des boulettes en papier sur les camarades en bas, d’autres prenaient plaisir à faire croire au prof d’en-dessous qu’il entendait des voix.

    Certains profs ont logiquement pété un plomb. Ils devaient gérer trop de problèmes. Certains en sont même arrivés aux mains avec des élèves.

    J’ai passé 4 années dans ce collège au cours desquelles on nous répétait que les travaux débuteraient l’année d’après. Chaque année, c’était les mêmes promesses non tenues. C’est finalement quand je suis passé au lycée qu’ont débuté les travaux. Tant mieux pour ceux qui arrivaient derrière.

    20 ans plus tard, me revoici au même point

    20 ans plus tard, j’ai fait mon petit bonhomme de chemin. Je suis passé entre les mailles du filet de l’échec scolaire. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous mes potes. La médiocrité de l’encadrement scolaire et l’absence de perspectives ont, entre autres, eu raison de leur motivation.

    Moi, j’ai toujours décroché des notes de fou sans trop travailler. Je suis une tête en maths. Calculer, résoudre des équations, c’est mon truc. Je suis donc devenu professeur de mathématiques. J’ai jamais vraiment eu de “rêves” ou de projets professionnels.

    Aujourd’hui je me retrouve donc de l’autre côté du pupitre. C’est moi qui doit transmettre le savoir. Surtout ne pas reproduire les erreurs que des profs ont commises avec nous à l’époque.

    Seulement voilà, dès mes premières années je me retrouve dans des collèges souffrant des mêmes problèmes que celui où j’étais. Au collège Henri Barbusse par exemple (à Saint-Denis), où j’ai enseigné un an, les conditions étaient et sont malheureusement toujours déplorables.

    Mon avantage est que mon expérience personnelle jouait en ma faveur, je savais à quoi m’attendre.

    De la moisissure, des infiltrations d’eau…

    Chaque année au collège Henri Barbusse c’est le même sketch. Lorsque j’y suis arrivé, on m’a expliqué que cela faisait des années qu’on promettait des travaux pour l’année suivante. Le collège a seulement eut le droit à quelques coups de peinture pendant l’année où j’y ai enseigné.

    Le bureau des CPE a dû être condamné à plusieurs reprises à cause des infiltrations d’eau importante. Le bureau était parfois trempé. Dans un établissement normal, on aurait chargé des agents chargés de l’entretien de l’établissement de faire les travaux pour remettre le bureau en état.

    Sauf qu’à Barbusse il n’y avait ni les moyens ni le bon nombre de personnel qualifié. La solution était donc de fermer le bureau et de laisser sécher.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/henriwallon1.jpg

    Bureau du CPE après d'importantes infiltrations d'eau /

    En classe, les murs et les fenêtres s’émiettent un peu plus chaque année. On a des classes mal isolées où il devient difficile de maintenir l’attention des élèves.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/henriwallon5.jpg

    Classe du collège Henri Barbusse /

    Ce ne sont que des élèves de banlieue après tout…

    Vous vous rendez compte de l’impact sur la motivation des élèves. Leur perception de leur place dans la société. Cette impression d’être négligés par les autorités. D’être parqués comme des gosses à problème dans des vrais ghettos prêts à imploser à tout moment.

    On est passé des ZEP au Réseau d’éducation prioritaire +. Le “plus” me fait bien marrer. J’ai l’impression qu’en 20 ans, le seul changement est en fait au niveau de l’appellation.

    On dit que l’Education nationale est la première dépense de l’Etat. Je me demande comment ils gèrent cet argent pour que des établissements comme ça perdurent durant des années. Et sans que les autorités ne déclenchent un plan d’action conséquent.

    Le summum de l’indécence et de l’irrespect pour nous les profs et les élèves surtout, c’est lorsqu’un officiel vient visiter notre collège. On a connu ça il y a 2 ans. Président de région, député… dès que ces politiciens débarquent, on voit arriver comme par magie une armada de personnels qui vont rafistoler et cacher la misère de l’établissement.

    Alors que durant des années on pleure pour avoir du personnel d’entretien supplémentaire et surtout des travaux. En un claquement de doigt on met les moyens pour faire bonne figure devant ces politiques. Quelle comédie.

    Cette année, après une semaine de mobilisation intense de mes anciens collègues, appuyés par les parents d’élèves, on a annoncé que les travaux débuteraient (enfin) pendant l’été 2017 au collège Henri Barbusse. Une énième promesse sans lendemain ?

    « On est vu comme des parias, ils refusent le mariage
    On a le statut de victime, gosses illégitimes de Marianne
    Derrière les barricades, rien ne change j’te rassure
    Oui c’est toujours la même merde, derrière l’énième dernière couche de peinture »

    R.E.D.K – A part les euros

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER