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    18/05/2017

    Vous aussi vous pouvez changer la loi (mais il faudra se battre)

    Par Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso , Maelle Le Corre

    Jonathan et Alexandre ont tenté, étape par étape, de changer la loi qui interdisait aux agriculteurs de s'échanger des semences anciennes. Ils ont réussi et racontent leur combat dans un documentaire.

    En 2014, nous avons lancé em>« Jardiniers, levez-vous ! », une websérie sur les jardiniers qui préservent les semences traditionnelles. La réglementation actuelle sur le marché des semences, héritée du régime de Vichy (1941), est particulièrement autoritaire : les agriculteurs n’ont pas le droit de cultiver des semences qui ne seraient pas inscrites dans le catalogue officiel. C’est le cas de beaucoup de semences anciennes que seuls les jardiniers ont le droit de cultiver.

    Cette norme s’applique à toute l’Europe et favorise les grandes multinationales comme Monsanto qui, par leur action de lobbying, ont verrouillé juridiquement le marché, excluant les graines dites « paysannes » du domaine public.

    La grande majorité des nouvelles graines inscrites au catalogue officiel sont des hybrides F1, stériles, ayant deux conséquences néfastes pour la société :
    1) Une perte de la biodiversité, puisque seules les variétés autorisées peuvent être cultivées par les agriculteurs
    2) Une dépendance vis-à-vis des grands semenciers, car les paysans sont obligés de racheter chaque année les graines dites « stériles ».

    Une pétition, et après ?

    Après cette série, on a lancé #YesWeGraine, une pétition qui demandait à ce que les agriculteurs puissent bénéficier du même droit que les particuliers : celui de pouvoir semer et de s’échanger librement les semences paysannes, exclues du catalogue. Sauf que l’on s’est très vite aperçus que rien ne permettait de rendre légale une pétition. On a finalement récolté 70 000 signatures, sans savoir ce que l’on allait pouvoir en faire.

    On voulait aller plus loin. Et ça a marché. Nous, simples citoyens, avons réussi à déposer un amendement au Parlement. Nous avons modifié la loi. On vous explique comment.

    Un travail de longue haleine avec un sénateur

    En France, il n’y a pas de loi qui encadre le droit de pétition, mais on a senti qu’avec un certain nombre de signatures et une caméra, on pouvait ouvrir des portes, être écoutés.

    Au printemps 2015, on a alors décidé de s’associer au sénateur EELV, Joël Labbé. Nous nous sommes naturellement tournés vers lui parce qu’il est profondément engagé dans la reconnexion entre la société civile et le politique. Il est aussi à l’initiative de la loi Labbé, pour l’interdiction de l’usage des pesticides non agricoles.

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    Il est venu le temps de la liberté des semences au Sénat ? / Crédits : Des Clics de conscience

    Il a tout de suite prêté une oreille attentive à notre démarche. Il nous a parlé du projet de loi sur la biodiversité qui allait être voté en janvier. On a compris qu’il fallait prendre le train en marche. Il a pris la pétition sous le bras, ces milliers de signatures et a décidé, avec nous, d’écrire un texte de loi.

    Un site met en relation parlementaires et citoyens

    Notre équipe était prête : un sénateur, Joël Labbé, son attaché parlementaire et nous deux, représentants de la société civile ; mais s’associer à ce parlementaire n’était pas suffisant. On s’est aussi tourné vers Parlement et Citoyens, une plateforme qui met en relation les députés, sénateurs et les Français, pour élaborer et réfléchir ensemble à des projets de loi. Grâce à cette plateforme, nous avons pu bousculer le projet de loi qui était en train d’être voté au Sénat.


    « Les deux ont été adoptés au Sénat. On n’en revenait pas. On s’est dit qu’ils n’avaient pas compris : le deuxième amendement représentait une révolution commerciale qui balayait du marché les géants comme Monsanto ! »

    Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso, citoyens

    On a appris à écrire deux amendements que l’on a soumis à la consultation sur Parlement et Citoyens : l’un pour permettre le libre-échange de semences entre les agriculteurs, l’autre pour changer les critères du catalogue officiel, afin que les semences dites « stériles », les hybrides F1, soient exclues de la vente.

    Les deux ont été adoptés au Sénat. On n’en revenait pas. On s’est dit qu’ils n’avaient pas compris : le deuxième amendement représentait une révolution commerciale qui balayait du marché les géants comme Monsanto ! Sauf qu’avant le passage à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, une commission joue le rôle de « filtreur ». Celle-ci a fait passer des amendements de suppression dans le but de retirer nos deux articles.

    Retour à la case départ

    On a dû tout recommencer et surtout chercher des députés, et même une majorité, favorable à nos amendements. L’un des deux textes a finalement sauté : le second, celui qui interdisait les semences stériles. Le premier qui autorise les agriculteurs à s’échanger les semences du domaine public, a été re-déposé puis re-voté favorablement. Quand l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent dans les mêmes termes un article, il s’inscrit automatiquement dans la loi. On a donc fait passer un amendement qui permet aujourd’hui à tous les agriculteurs de s’échanger les semences du domaine public.

    C’est une toute petite victoire pour l’autonomie des cultivateurs. Échanger les graines, rien que ce geste là, n’était pas autorisé par la loi avant. Certains le faisaient sous le manteau. Nous pouvons désormais imaginer un monde, où l’on multiplierait les échanges de graines et où l’on fonctionnerait en réseau. C’est désormais possible. Si des agriculteurs se fédèrent et souhaitent s’échanger des variétés sans les vendre, la répression des fraudes n’a rien à dire. L’échange est une belle opportunité pour la mutualisation des efforts et pour la biodiversité.

    Pour un lobby citoyen

    Le marché des semences et des plants est extrêmement lucratif : il pèse de plus de 3 milliards d’euros en France. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) est un énorme lobby qui fait valoir les droits d’énormes exploitants agricoles au détriment des petites exploitations. Et les politiques parlent beaucoup plus avec la FNSEA qu’avec les petites coopératives ou associations.


    «  Les citoyens, aussi, devraient pouvoir déposer des articles de loi, qui seraient débattus, votés, comme des articles parlementaires classiques. »

    Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso, citoyens

    Il manque un lobby citoyen qui défendrait simplement l’intérêt de ceux qui ont envie de disposer de plus de libertés. Il ne faudrait pas que l’on se contente de mettre un bulletin dans l’urne à chaque élection. Les citoyens, aussi, devraient pouvoir déposer des articles de loi, qui seraient débattus, votés, comme des articles parlementaires classiques. C’est l’idée du droit d’amendement citoyen, soulevée dans notre film par le député PS, Olivier Faure. Il faudrait changer la constitution, mais c’est un bon compromis.

    Cela aurait, au moins, l’avantage de braquer les projecteurs sur le fond des réflexions au Parlement, ce que l’on ne voit jamais dans nos journaux télé. On s’informerait davantage sur les textes législatifs et on regarderait attentivement qui a voté quoi. Nul n’est censé ignorer la loi, mais il faut commencer par la comprendre pour s’y intéresser.

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