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    30/05/2017

    Le camp est menacé d’expulsion

    A Bobigny les communistes accueillaient les Rroms, pas la droite

    Par Tomas Statius

    Le Camp de Rroms de Bobigny, pourtant installé en toute légalité en 2012, va être expulsé. Entre temps un nouveau maire a été élu dans la commune.

    Bobigny (93) – « Tragique ». Marcel n’a que ce mot à la bouche quand on évoque, ce lundi 29 mai, l’expulsion prochaine du camp où il habite avec sa femme et ses deux enfants. Ils sont 150 Rroms, dont 50 enfants, à vivre depuis 2012 sur ce « Platz » installé à Bobigny, sur les bords du Canal de l’Ourcq. Le 15 mai, la mairie a informé les habitants de l’éviction prochaine du camp, par un arrêté municipal apporté par des officiers de police aux habitants.

    Les bicoques faites de bric et de broc et les caravanes devraient faire place à un éco-quartier voulu de longue date par le maire UDI de la ville, Stéphane De Paoli. Au grand dam de Marcel. « Tout le monde veut rester ici. J’ai 3 enfants, ils vont tous à l’école. La plus grande entre au lycée cette année », s’emporte l’homme à l’impeccable chemise rose sur laquelle trône une ostentatoire croix en or :

    « Où est ce que l’on va partir ? Je ne sais quelle solution on peut trouver. »

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    La mairie menace d'expulsion le camp de Rrom / Crédits : Tomas Statius

    Installés depuis 2012

    Au départ, rien ne présageait d’un tel divorce entre les habitants du platz et la mairie de Bobigny. En octobre 2012, une poignée de familles s’installait sur ce petit terrain, siège autrefois d’une concession automobile, après qu’une convention d’habitation a été signée entre la maire Catherine Peyge (PCF) et les familles.

    En 2014, patatras ! La ville passe à droite après plus de 100 ans de mandatures communistes. Les ennuis commencent alors pour les Rroms de Bobigny. C’est d’abord le propriétaire du terrain qui tente de les faire expulser en septembre 2015, alors que la convention d’habitation vient tout juste d’expirer. « Le nouveau propriétaire du terrain, Sequano, est une société d’économie mixte. C’est elle qui a assigné les habitants. La mairie est d’ailleurs un actionnaire de cette entreprise », complète Maître Löwy, l’un des avocats qui suit le dossier. Déboutée en première instance, l’entreprise a fait appel. Le match retour devait se jouer le 9 octobre prochain.

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    En octobre 2012, une poignée de famille s’installait sur ce petit terrain, siège autrefois d’une concession automobile. / Crédits : Tomas Statius

    C’est à présent la mairie qui prend le relais. « Bien sûr qu’on est énervé », vocifère Petreus, marcel sur le dos et imposant tatouage de la vierge sur le biceps droit :

    « La mairie ne nous a pas prévenus. Elle nous ramène une feuille [l’arrêté d’expulsion, ndlr], qui nous donne 48 heures pour partir. Elle était avec nous et maintenant, elle est contre nous. C’est bizarre. »

    « Il était urgent que l’on intervienne pour assurer la sécurité des habitants », oppose le cabinet de la mairie de Bobigny. Branchements sauvages à l’électricité, amoncellement d’ordures, stockage de matériels électroménagers, blocage des issues de secours… L’hôtel de ville a une liste de griefs longue comme le bras. Et, selon la municipalité, impossible de proposer une solution de relogement :

    « Ce n’est pas à la ville de faire des plans de relogement. L’Etat aussi doit prendre ses responsabilités. »

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    Petite déco / Crédits : Tomas Statius

    Incompréhension

    « Moi je ne veux pas partir. Si la police vient, je leur dirai de venir boire un café avec nous », lance à la dérobée Petreus, chef auto-proclamé du camp :

    « Je dis aux gens qu’il faut rester. Je crois que la mairie va réfléchir. S’ils nous donnent quelque chose, s’il y a une solution, nous on veut bien partir. »

    Dans les allées du camp de Bobigny, l’inquiétude se lit sur les visages. Ion, 56 ans, 17 ans en France et près d’une décennie de vie à Bobigny a déjà bouclé son bagage en prévision de l’expulsion probable et il n’est pas le seul. Devant sa maison, l’homme à la petite moustache ne peut s’empêcher de pester contre la mairie. Pour lui, on fait un mauvais procès aux Rroms de Bobigny. « Ma femme est malade, ce n’est pas possible de nous traiter comme ça », explique t-il alors qu’à l’intérieur son fils s’abreuve de télé roumaine :

    « Ici, tout le monde travaille. Il n’y pas de voleurs, on a tous une entreprise. Certains vendent des voitures, d’autres font dans la ferraille. Tout le monde paie ses impôts. »

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    « Où est ce que l’on va partir ? Je ne sais quelle solution on peut trouver. » / Crédits : Tomas Statius

    Même son de cloches 10 mètres plus loin avec Marcel. « Moi je travaille, je suis entrepreneur de Ferrari. Je paie de l’argent aux impôts. Mes enfants ont grandi en France, ils parlent mieux français que moi », souffle l’homme la cinquantaine bien sonnée :

    « Pourquoi la mairie nous traite comme ça ? »

    Un recours a été lancé

    Les assos de soutien aux Rroms, elles, ne désarment pas. Deux recours ont d’ores et déjà été déposés pour empêcher l’expulsion du camp. L’un devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’autre devant le tribunal administratif de Montreuil. « Ce que je vais développer au tribunal, c’est que cette mesure est disproportionnée », détaille Maitre Löwy :

    « Elle viole un certain nombre de droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Et puis, les habitants n’ont pas été consulté et ça, ça va aussi à l’encontre de l’un des principes du droit administratif. »

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    Hyper connecté / Crédits : Tomas Statius

    « Moi, je peux dormir à la rue. Mais avec mon enfant, ce n’est pas possible », se lamente Stéphan. L’homme s’est installé à Bobigny il y a un an, après avoir vécu pendant de longues années à Montreuil. Sans travail et sans thunes, ce jeune père qui balbutie son français, est dos au mur :

    « On peut dormir à 5 dans ma voiture. Mais avec mon enfant, je ne sais pas… »

    Francesca ne dit pas autre chose. Assise devant la maison de sa mère, la jeune femme donne à manger à sa petite fille tout juste âgée de deux ans. Cela fait quatre ans et demi qu’elle a posé ses bagages ici. La petite brune semble encore sonnée par l’annonce de l’arrêté d’expulsion :

    « On a des enfants, on a des papiers. On va aller où ? »

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    Depuis l’arrêté d’expulsion, l’ambiance est plutôt électrique au 165 rue de Paris / Crédits : Tomas Statius

    La police rôde

    A l’entrée du camp, bien posé sur sa chaise de bureau dernier cri, l’autocrate Petreus vocifère à l’intention de ses administrés. En cause, un camion mal garé devant les grilles du 165 rue de Paris. Ça gueule, les grilles crissent et le camtar stationné devant le portail finit par déguerpir. Le calme revient finalement au bout de quelques minutes.

    Depuis l’arrêté d’expulsion, l’ambiance est plutôt électrique sur le platz. Chacun voit des signes d’intervention imminente de la police partout. Dimanche 28 mai, le passage de plusieurs fonctionnaires aux abords du camp a foutu les jetons à tout le monde. Depuis, les rumeurs vont bon train. « C’était des civils », décrypte Francesca :

    « Ils ont dit qu’ils allaient revenir ».

    Malgré les recours déposés par les associations de soutien, le camp peut être légalement démantelé. La mairie ne donnait que 48h aux Rroms pour plier bagage. « La préfecture n’a pas voulu se prononcer sur la suspension de l’expulsion », regrette Maître Löwy. Le platz de Bobigny vit peut-être ses dernières heures. En sursis.

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    Les familles ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangé / Crédits : Tomas Statius

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