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    08/11/2017

    C’est illégal

    La Banque Postale refuse d’ouvrir des comptes à certains demandeurs d’asile

    Par Tomas Statius

    Selon plusieurs travailleurs sociaux de Seine-Saint-Denis, la Banque Postale refuse d’ouvrir des comptes à certains demandeurs d’asile. Le défenseur des droits a été saisi car c’est illégal.

    Aubervilliers (93) – « En août dernier, on a accompagné deux personnes à la Poste du Fort d’Aubervilliers pour qu’ils ouvrent un compte », se souvient Hélène (1), travailleuse sociale dans le département. Les deux hommes sont demandeurs d’asile. Ils sont hébergés dans un centre géré par Adoma, l’un des plus gros bailleurs sociaux français. Cette ouverture de compte est vitale pour eux. « Au début, les employés de la Poste croyaient que c’était pour nous, donc ils étaient disposés à nous recevoir », rembobine la jeune femme.

    Au bout de quelques minutes, les masques tombent. Si Hélène et son amie ont poussé la porte de l’agence, c’est bien pour ouvrir un compte aux deux hommes. « Quand ils ont compris, ils ont refusé de les prendre en rendez-vous », se lamente Hélène :

    « Ils leur ont dit de revenir le jeudi matin. A priori, c’est le créneau réservé pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Ils nous ont dit qu’ils ne faisaient que 15 ouvertures de comptes par semaine. »

    Quelques semaines plus tard, l’un des deux exilés annonce à Hélène qu’il peine toujours à faire valoir ses droits :

    « Ils ne voulaient toujours pas lui ouvrir de compte. Ils lui ont dit que s’il n’était pas content, il fallait s’adresser à la mairie. »

    Fin août, un haut cadre d’Adoma rapporte à ses salariés la discussion qu’il a eue avec plusieurs responsables de la Poste à propos de la situation à Aubervilliers. Il n’y aura plus d’ouvertures de comptes dans cette agence pour les hébergés, affirme t-il :

    « La Poste dit “Nous c’est niet. On a assez de misère sociale pour ne pas avoir à en gérer d’autres”. »

    Une enquête du Défenseur des droits est en cours

    Cette situation, ils sont plusieurs travailleurs sociaux du 93 à la dénoncer. Dans une saisine du Défenseur des droits, que StreetPress a pu consulter, ils accusent ce bureau de la Banque Postale de procéder à un tri entre les clients et de refuser d’ouvrir un compte aux migrants hébergés par Adoma. « Certains refusent parce qu’ils disent qu’ils sont surchargés avec Coallia [un autre bailleur social avec lequel la Poste a passé une convention] », explique ainsi Marie (1). Une situation que confirme un employé de la Poste à demi-mot :

    « Il n’y a pas d’accord avec Adoma. Je pense que c’est pour ça qu’ils les repoussent. »

    Tous, intervenants sociaux ou employés de la Poste, dénoncent les conditions d’accueil des migrants dans les agences de la banque publique. « [À Aubervilliers] certains hébergés se retrouvent à faire la queue devant l’agence toute la nuit pour ouvrir un compte », raconte Hélène. En cause, toujours la fameuse limite de 15 ouvertures de comptes par semaine. Passé ce quota, il faut revenir. Des conditions d’accueil déplorables dont la direction locale a connaissance. « Il arrive qu’il existe des difficultés dans ce bureau de poste », reconnaît le service communication de la Banque Postale :

    « On a décidé de concentrer toutes les demandes de demandeurs d’asile sur le jeudi matin. Mais ce n’est pas tenable. Des ajustements sont en train d’être faits. »

    Quand aux refus d’ouvertures de comptes, ils seraient consécutifs à l’absence de certains documents, tente encore le service presse.

    Ce n’est pas un cas isolé

    La situation d’Aubervilliers serait loin d’être isolée. « On a plusieurs témoignages qui vont dans ce sens », relève Emmanuel Cottin, délégué syndical CGT pour le groupe la Poste :

    « Alors que c’est l’une des 4 missions de service public du groupe La Poste, cela arrive que l’on décide de ne pas ouvrir de comptes à des gens qui n’ont pas de revenus. »

    Cette même politique insidieuse est dénoncée par Nicolas Galepides, secrétaire général Sud PTT :

    « Il n’y a pas d’instructions écrites de la part de la direction mais des consignes sont données à l’oral. Et puis pour certaines personnes, on coupe les cheveux en 4. Il manque toujours quelque chose, un document… »

    « La Banque Postale n’est plus la banque des pauvres », finit par lâcher un employé de la Poste dans le 93 :

    « Maintenant, ils veulent devenir une banque comme les autres. Et ouvrir ce type de comptes, ça les embête. »

    (1) les prénoms ont été modifié

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