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    27/02/2018

    « La psychiatrie est le parent pauvre du soin social »

    Des psys s'alarment de la santé mentale des migrants

    Par Lea Esmery

    Stress post-traumatique, dépression, suicides… Malgré les alertes, la santé mentale des migrants continue de passer au second plan. Face à ça, certains psys s’organisent. Le Collectif Quid’Autre fait notamment des consultations sur les camps de réfugiés.

    Depuis 2015, Marie et Margaux du collectif Quid’Autre arpentent les camps de réfugiés pour aider les exilés en difficulté psychique. Pour ces deux psys, la santé mentale est totalement oubliée dans la prise en charge des migrants :

    « La psychiatrie, c’est le parent pauvre du soin social. Mais ça se cumule avec une quasi-absence de prise en charge à tous les niveaux. »

    Depuis quand le Collectif Quid’Autre existe-t-il ?

    Marie : Tout a commencé en 2015, durant l’occupation du lycée Jean Quarré. On était une dizaine de psys à venir proposer du soutien aux migrants. On avait alors mis en place une permanence psy accolée à l’infirmerie. Quand le lieu a été évacué, le collectif s’est maintenu sous forme d’équipe mobile. On intervenait sur les campements qui se sont formés dans le quartier de La Chapelle entre l’automne 2015 et l’automne 2016.

    Margaux : Aujourd’hui, on est plus que cinq. Parmi celles qui sont restées, deux ont commencé par distribuer de la nourriture avant de se positionner en tant que psychologues. Pour ma part, j’ai commencé le soutien psychologique à Calais. J’intervenais auprès des femmes enceintes, en lien avec une association parisienne qui s’appelle Petits Bagages d’Amour.

    Quelle était la teneur de vos interventions à ce moment-là ?

    Marie : Sur les campements, on était sollicités au coup par coup pour des personnes qui allaient mal. Les signalements émanaient souvent des bénévoles sur place, mais aussi d’amis de la personne. Les consultations avaient lieu toujours à l’écart du campement pour éviter la stigmatisation. Et à cela s’ajoutaient souvent des problèmes d’interprétation. Bref, c’était du bricolage.

    Margaux : Il y avait aussi le problème du lieu, parce qu’on a pas de local. Donc proposer un espace à la fois sécurisant et confidentiel c’était compliqué. On allait dans des cafés, dans des parcs, ça nous arrivait aussi de faire des balades. C’est pour ça que la majeure partie de notre travail consistait surtout à les orienter vers les structures de droit commun.

    Quels problèmes de santé avez-vous constatés chez ces personnes en exil ?

    Marie : C’était un peu toujours la même chose : je me sens hyper agressif, j’ai l’impression d’être coupé des autres, je crie la nuit … Autant de symptômes d’un post-trauma.

    Margaux : Et il n’y a pas que les migrants qui souffrent. Ces derniers mois, on a beaucoup travaillé avec les associations, car elles se sont rendu compte de la fatigue et de l’épuisement psychique dans lequel pouvaient être de plus en plus de bénévoles. On a observé qu’il y avait comme un effet de contagion entre les migrants et les bénévoles. Des deux côtés, on retrouve les mêmes symptômes significatifs du trauma.

    Comment prendre en charge des personnes qui nécessitent une aide autre que celle des services psychologiques habituels ?

    Marie : C’est une question qui fait débat au sein des structures : est-ce que la prise en charge des migrants est une prise en charge spécifique ? Il y a des lieux de soin qui disent ‘nous le trauma de guerre on sait pas faire’. Mais, pour moi, un trauma c’est un trauma. Un francophone peut tout à fait être suivi en centre médico-psychologique.

    Margaux : Je dirais que ça fait partie du travail de psy de se départir de ses représentations, de ses schémas culturels. Il peut certes y avoir des prises en charge très compliquées, mais ça n’appartient pas qu’aux migrants. Ça fait partie de l’humain, tout simplement. En ce qui nous concerne, ce n’est pas tellement la question des traumas que des conditions d’exercice en fait. Tout le monde ne peut pas supporter de travailler en freestyle.

    Pourquoi la prise en charge de la santé mentale des migrants demeure-t-elle, malgré les multiples alertes, insuffisante ?

    Marie : La psychiatrie, c’est le parent pauvre du soin social. Mais ça se cumule quand même avec une quasi-absence de prise en charge à tous les niveaux. Un exemple : on va installer des migrants dans un gymnase, sur des lits de camp avec des draps en papier par exemple, et on estime qu’ils sont logés.

    Margaux : C’est général en fait. La question du psy et de la psyché est quand même beaucoup occultée. Il existe toujours des représentations du psychologue qui sont ambivalentes. Il y a encore un certain nombre de personnes qui considèrent que voir un psy c’est être fou.

    Marie : Ce qui me préoccupe également en ce moment c’est ce que l’inaction des pouvoirs publics entraîne : une professionnalisation des bénévoles, ça va de pair avec une disqualification des institutions et des services publics. C’est quand même préoccupant quand on entend ‘oh bah non on ne va quand même pas appeler l’ASE (aide sociale à l’enfance) pour ça’. Ou ‘on ne va pas l’envoyer à l’hôpital, ça ne sert à rien’. J’ai l’impression que, de plus en plus, la prise en charge des exilés relève de la débrouille avec un système parallèle tenu à bout de bras par des non-professionnels éreintés. Ça me met en colère ce gâchis, cette usure des personnes. Car toutes ces carences elles provoquent, derrière, des dégâts humains.

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