Paris, 20e – Etienne Ambroselli s’enfonce dans la banquette du café Les Foudres, un lieu qu’il affectionne. L’avocat à la cour d’appel de Paris, veste grise assortie à ses cheveux ébouriffés, n’habite pas très loin. Il revient tout juste de Bure (Meuse), village de 60 habitants, où l’Etat prévoit d’enfouir des déchets nucléaires. « Ce projet, présenté comme inéluctable depuis 20 ans, est complètement hors-sol », commente l’avocat engagé dans la contestation :
« On ne baissera pas les bras ! »
« On » désigne les zadistes de Bure, surnommés les hiboux. Issu d’un milieu bourgeois et catholique, rien ne prédestinait Etienne Ambroselli à épouser leur cause et devenir leur avocat référent. Aujourd’hui, le mot zadiste l’horripile : « Je préfère dire ces belles personnes », reprend l’homme de droit, tout en beurrant sa tartine. « Il y a un imaginaire négatif autour du mot zadiste. » En août 2016, une vingtaine d’opposants s’installe au bois Lejuc, tout près de Bure. Cabanes et barricades sont construites afin d’empêcher le début des travaux des galeries souterraines. Mais fin février, 500 gendarmes les expulsent. « La période est extrêmement tendue », note-t-il.
Zadistes au tribunal
Lorsque les « belles personnes » comparaissent au tribunal, Etienne Ambroselli est à la barre. Dernier procès en date, lundi 19 mars, jour des 42 ans de l’avocat. A Bar-le-Duc, l’ambiance est électrique. Un hibou, « un copain » dit-il, est condamné à 3 ans ferme, plus 2 ans d’interdiction de territoire en Meuse et Haute-Marne pour avoir brûlé sa cabane lors de l’expulsion du bois. Etienne Ambroselli s’énerve :
« C’était de la légitime défense. Le but de ces actions est de présenter les militants comme des délinquants. Les peines sont démesurées, c’est scandaleux ! »
En sortant de l’audience, les soutiens du zadiste cassent une statue de Marianne, graffent sur les murs « justice fasciste ». « Des gens sont virés de chez eux à 6h du mat en plein hiver ! C’est normal qu’il y ait des réactions vives ! », tonne Etienne Ambroselli :
« Les bourgeois n’ont qu’à sortir de chez eux et voir concrètement ce qu’il se passe. Notre violence est dérisoire par rapport à ce que l’on subit. »
Enfance bourgeoise
Les bourgeois justement. Etienne Ambroselli traîne avec eux durant toute son adolescence. Né à Boulogne-Billancourt (92) de parents catholiques, il entre à 11 ans à Saint-Louis de Gonzague, établissement privé jésuite du XVIe arrondissement. Les cours ne le passionnent pas, lui est fan de violoncelle et de musique baroque. A 18 ans, il suit, sans grande conviction un ami, dont le père est avocat, en licence de droit.
Après quatre années de fac, il prète serment puis collabore avec un cabinet d’avocats à mi-temps. Mais la passion n’est toujours pas là. Tout s’arrête en 2004 après un grave accident de voiture. Son dos est paralysé. Il est coincé au lit de longs mois. Sensibilisé aux questions écologiques depuis petit, « ma mère votait écolo », il profite de ce repos forcé pour s’intéresser au nucléaire. Il a trouvé son combat :
« Je suis convaincu qu’une catastrophe peut arriver en France à tout moment si on continue comme ça. Pour moi lutter contre le nucléaire, c’est vraiment lutter contre une pulsion de mort. »
Il quitte le cabinet d’avocat « trop ennuyant » à sa sortie de l’hôpital pour mener une vie de « saltimbanque ». Des cours de droit par-ci, des cours d’éco-gestion par-là, des concerts de violoncelle aussi. « C’est la galère », jusqu’en 2008, année de naissance de son fils. Il se spécialise alors en droit environnemental et rejoint Benoît Buisson, avocat du réseau Sortir du nucléaire, qu’il assiste pendant trois ans. « J’ai bossé comme un fou pour me stabiliser. »
Devenir un hibou
Avocat, militant anti-nucléaire et maintenant zadiste ? Etienne Ambroselli enfile de nombreux costumes depuis l’ouverture de son cabinet en 2012. Si sur Paris il s’occupe « d’affaires classiques d’urbanisme qui l’ennuient profondément », sur Bure il partage la vie des activistes. En juin 2016, il vit pendant un mois avec son fils et d’autres opposants au bois Lejuc. Il y « tisse des amitiés extrêmement fortes », jusqu’à une première expulsion en juillet, par les gendarmes.
Lorsqu’il repasse à Bure, l’avocat débat de longues soirées au coin du feu avec les zadistes, loge à la Maison de la résistance et en manif porte un masque comme les hiboux. « Me défendre lui a permis de connaître le dossier des déchets nucléaires », croit savoir Michel Gueritte, leader d’opposition à un autre projet de stockage de déchets nucléaires dans l’Aube, et client d’Etienne Ambroselli en 2010. « Aujourd’hui, il a complètement épousé la cause des gens qu’il défend. C’est devenu un hibou. Il porte des vêtements sales, laisse pousser sa barbe, n’est pas très propre », blague Michel Gueritte.
Début mars, après l’expulsion au bois Lejuc, Etienne Ambroselli achète une maison en son nom dans un village à côté pour organiser avec eux la résistance :
« Les hiboux sont des amis, je les aime. J’admire leur courage et leur détermination. »
Dans le XXe c’est une autre histoire. Etienne Ambroselli a une « vie à peu près normale », mais sans dîner ou sortie entre amis car il ne « supporte plus ce genre de choses ». Il ne voit que sa famille. « J’ai juste besoin d’avoir une façade d’avocat de temps en temps », avoue-t-il :
« Cela me repose. Ces actions et cette lutte sont énergivores. Je suis éreinté. »
Médiatiser la lutte
Les zadistes se méfient des journalistes, lui accepte de répondre – non sans crainte. Il veut se garder des caricatures, ne pas être présenté comme « l’avocat anarcho-appello. Ce que je ne suis pas ! » précise-t-il. Son objectif est de médiatiser les luttes. « Le droit nucléaire est hyper technique, les gens ne captent pas forcément les enjeux », estime Me Ambroselli. Avec Sortir du nucléaire et d’autres associations écolos qu’il représente, la stratégie est simple : poursuivre les exploitants des sites nucléaires pour faire du bruit :
« Le but n’est pas de gagner, mais d’en parler. »
Il y a bien quelques victoires. En 2014, EDF est condamné pour non-respect des préconisations de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN). Autre exemple, en début d’année, après un recours déposé par l’avocat, un arrêté du tribunal administratif stoppe le lancement du méga-complexe de loisirs et de commerces EuropaCity aux portes de Paris. Mais le projet n’est pas encore abandonné.
« On n’a jamais autant eu de reportages sur Bure et la question des déchets. C’est très nouveau, je suis content », sourit Etienne Ambroselli qui multiplie les recours juridiques. Une quinzaine au total. La majorité est encore en cours. « Le plus important dure depuis 6 ans, raconte l’avocat. On accuse l’Andra d’avoir caché un potentiel géothermique sur Bure. » Le lieu pourrait permettre la production d’électricité renouvelable. Une épine dans le pied de l’agence car l’installation d’un stockage nucléaire souterrain ne peut se faire près d’un potentiel géothermique, selon le règlement de l’ASN.
Porte-voix
Etienne Ambroselli avale la fin de son café. « Cette lutte est passionnante. Chaque réunion avec eux [les zadistes] est une libération de la pensée. Ils m’aident à comprendre qui je suis. » Défendre leurs droits est sa manière de leur rendre la pareille. Il se lève, enfile son grand manteau, lance :
« Bure est en état de siège, ça va être dur. Mais il n’y a jamais eu autant de monde là-bas. C’est exaltant. »
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