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    10/07/2018

    À Vieux-Pays de Goussainville, tout le monde est parti

    Nicolas, le bouquiniste de la ville fantôme

    Par Laura Bonnet , Lola Blassieaux

    Nicolas Mahieu fait office de derniers des mohicans à Vieux-Pays de Goussainville. La bourgade a été désertée depuis belle lurette. Mais lui tient encore l’unique commerce du coin : la librairie Goussainlivres.

    Rue Brûlée, Vieux-Pays de Goussainville (95) – Il n’y a pas âme qui vive dans cette bourgade du Val-d’Oise. Ruines, maisons dépecées, graffs foireux, mauvaises herbes et déchets, l’ancienne artère de Vieux-Pays de Goussainville est morte. Seul un homme, debout devant sa camionnette, s’active. Comme un mirage. Nicolas Mahieu décharge ses bouquins, alors que les bruits des moteurs d’avion raisonnent Place Hyacinthe Drujon :

    « Je suis souvent tout seul ici. »

    Nico tient le dernier commerce des environs : sa librairie Goussainlivres. Depuis 1974 et l’arrivée Roissy-Charles de Gaulle, la municipalité s’est progressivement vidée. Les aéroports de Paris ont racheté la plupart des habitations. Seul un périmètre de 500 mètres autour de l’église est habité. Sa boutique, Nicolas aime l’appeler « le under the dome du 95 », en référence au roman de Stephen King. À l’intérieur, ça sent le grenier et les vieux papiers humides. Plus de 40.000 ouvrages s’entassent dans différentes pièces bordéliques. Littérature, SF, philo, BD, sport, histoire… L’ancienne maison cressonnière déborde. Chaque pièce est une caverne d’Ali Baba. À quelques détails près. La poussière et les araignées ont remplacé l’or.

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    Ça déborde ! / Crédits : Lola Blassieaux

    Nico Solo

    Créée en 1997, Goussainlivres a longtemps été le point de chute des habitants abandonnés :

    « Avant les années 2000, il ne se passait pas une journée sans que je ne vois un client. C’était une boutique de copains. »

    À l’époque, les jeunes du quartier viennent jouer sur Atari ou Nintendo dans la librairie. Nicolas se souvient nostalgique de tous les prénoms de la bande de potes : « Il y avait Cédric, Pascal, Kévin… ». Il raconte les matchs de foot dans le parc, les parties de pétanque devant les étagères de bouquins. Aujourd’hui, les ados sont devenus adultes. Ils ont déserté Vieux-Pays : « La dernière fois, l’un d’entre eux est venu me déposer une caisse de livre. Il vient de s’acheter une liseuse », déplore Nicolas.

    Parfois, Goussainlivres est envahie par des amateurs d’Urbex. Nico ne les porte pas dans son cœur :

    « Ils rentrent et ils prennent des photos sans demander. Est-ce que je viens chez les gens pour prendre des photos moi ? En plus, ils n’achètent jamais rien. »

    Plutôt bobos en quête de sensation qu’explos-urbain juge-t-il : « Franchement, le vrai amateur d’Urbex il ne viendrait même pas ici », se moque le libraire en roulant une clope.

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    Le rayon des livres coquins. / Crédits : Lola Blassieaux

    Dans « sa pièce de vie », une chambrette d’ado dans un coin de la librairie, il mange, fume et joue de la gratte. Parfois, il n’a pas le courage de rentrer chez lui, à 100 km de Goussainville. Alors il dort là. Dans la boutique, il n’y a ni l’eau courante, ni le chauffage. Mais il se sent bien dans son petit coton emménagé. Et puis il est prêt à bondir si un client arrive.

    Internet, je t’aime moi non plus

    Cet amateur d’une vie sans contrainte reçoit malgré tout encore quelques acheteurs. Des habitués pour la plupart : « Il y a celle qui vient pour les romans japonais, celui qui est obsédé par les volcans, le geek à lunettes fan de SF ». Mais ce n’est pas grâce aux 300 habitants du coin que Nico peut vivre. La cinquantaine passée, il est retourné vivre chez sa mère :

    « Je vis en dessous du seuil de pauvreté. »

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    Nico ! / Crédits : Lola Blassieaux

    Côté finances, c’est la loose. Ebay et Amazon sont les ennemis de cet amoureux des belles lettres. Internet a bousillé le business des bouquinistes. Mais il a fallu être pragmatique et faire avec. « pour survivre », souffle-t-il. Il a crée son site, qu’il promet complet. Pour diversifier son catalogue, il déterre, farfouille et court les salles des ventes à la recherche de la perle rare. Tous les mois, il satisfait aussi les commandes, parfois pointues, de ses clients :

    « J’ai un gars qui m’a demandé une édition ultra spécifique d’un livre sur la fessée. Je crois que c’était “Confession sur la fessée”. Je l’ai trouvé et je lui envoie bientôt. »

    Sa dernière trouvaille ? Un Chagall dédicacé. Ce sera peut-être 10.000 euros dans la caisse.

    Article en partenariat avec le CFPJ

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