Champs-sur-Marne (93) – Mahamadou Camara est debout à l’arrière d’une camionnette, micro en main. L’homme porte un t-shirt blanc barré d’un message : « Gaye, une justice pour reposer en paix ». Ce samedi après-midi, lui et ses proches marchent en mémoire de son frère, Gaye Camara, un peu plus d’un an après son décès. Ils accusent la police de l’avoir assassiné. Devant une foule de plusieurs centaines de personnes, Mahamadou énonce les noms des morts de violences policières : Adama Traoré, Shaoyo Liu, Babacar Gueye, Angelo Garand, Cyrille Faussadier… Lorsque vient le nom de Gaye, la voix de son aîné se brise. Après quelques secondes, soutenu par son entourage, il reprend difficilement :
« Gaye c’était le frère de tout le monde. Marcher aujourd’hui pour lui, c’est marcher pour toutes les victimes. »
Le jeune homme de 26 ans est mort d’une balle dans la tête. Depuis, la famille attend l’issue de la procédure judiciaire. S’ils organisent une marche pour demander justice, c’est pour faire entendre leur voix dans une affaire qui n’avance pas.
« La police assassine »
La foule scande « Urgence, urgence, la police assassine ». C’est au tour d’un ami de la famille de prendre la parole sur le camion, alors que le cortège est en marche. L’homme porte une barbe rouge et parle d’un ton assuré. Il raconte ce qui est arrivé à Gaye, le soir du 16 janvier 2018. Il est à Épinay-sur-Seine (93), en voiture avec deux amis. Au même moment, la police est en planque dans une impasse. Les agents surveillent une Mercedes signalée comme volée. Gaye Camara est au volant. Un de ses passagers qui descend pour monter dans la fameuse Mercedes se fait interpeller dans la foulée. Les policiers foncent ensuite sur la voiture de Gaye, qui est en train de repartir. Alors que le véhicule est en marche, face à eux, les agents ouvrent le feu à huit reprises. Fort, révolté, l’ami crie au micro :
« Gaye a pris une balle dans la tête. »
Il est transporté à l’hôpital, mais décède le lendemain des suites de ses blessures.
Les trois policiers ont la même version des faits : Gaye leur aurait foncé dessus. Le témoin, qui se trouvait du côté passager, affirme pourtant que les agents n’étaient pas sur la trajectoire du véhicule. Pour Mahamadou, le frère, la loi du 28 février 2017 qui redéfinit la légitime défense de la police est en cause. Elle leur permet d’utiliser leur arme plus aisément quand ils se sentent menacés. Il conclut, indigné :
« L’État a donné le droit à la police de tuer. »
/ Crédits : Jeanne Seignol
Où en est l’enquête ?
En aparté, Mahamadou Camara fait le bilan des procédures en cours. Une enquête a été confiée à l’IGPN, la police des polices. Les premières conclusions dédouanent les policiers : il s’agirait bien de légitime défense. La famille a également déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « homicide volontaire ». « L’affaire traîne, le procureur a pris quatre mois pour désigner un juge d’instruction, ce n’est pas normal », gronde Mahamadou :
« Le policier qui a tué mon frère n’était pas en situation de légitime défense. Il a reconnu avoir tiré trois fois, alors que le véhicule l’avait déjà dépassé. Le procureur a qualifié les faits de violences volontaires, car Gaye a reçu une balle dans une zone létale. »
Pourtant, à l’heure actuelle, « seuls les deux témoins ont été entendus par le juge d’instruction. Pas la famille, ni les policiers », précise-t-il. Par ailleurs, Gaye n’avait aucune arme sur lui lors de son interpellation. « Il ne présentait aucune menace ! » Soutenu par la foule, le frère de Gaye le jure :
« Je ne m’arrêterai pas ! Je ne me tairai pas ! C’est le combat d’une vie. »
/ Crédits : Jeanne Seignol
Des affaires qui traînent
Dans le cortège, certains brandissent des pancartes. « Justice pour Gaye », bien sûr. Mais aussi des messages en mémoire d’autres victimes de bavures policières. Plusieurs autres familles en deuil portent l’énorme banderole de début de cortège : Assa Traoré et Awa Gueye, les sœurs d’Adama et de Babacar, ou encore des proche de Lamine Dieng ou d’Ali Ziri. Toutes ces familles empêtrées dans des procédures judiciaires interminables continuent de réclamer justice.
« On se doit d’être solidaires. Sans justice, on n’aura pas de deuil », souffle Awa Gueye, la sœur de Babacar, un jeune Sénégalais de 27 ans mort le 3 décembre 2015 à Rennes. Il a reçu cinq balles lors d’une intervention. La jeune femme à frange, pull noir « Vérité et justice pour Babacar » sous son manteau bleu et vert au motif écossais, a changé d’avocat récemment. Elle regrette toutefois que l’affaire n’avance pas assez vite :
« C’est trop long d’attendre. Je ne dors plus depuis la mort de mon frère. »
Pour Youcef Brakni, membre du comité Vérité pour Adama, « il faut lutter contre l’isolement en rassemblant les familles qui vivent la même chose ». Il accompagne depuis deux ans la famille Traoré dans son combat. En septembre dernier, un quatrième rapport d’expertise médicale dédouanait les gendarmes.
« N’attendez pas que ça touche quelqu’un que vous connaissez, car en réalité, la police tue tout le monde », assure Mahamadou sur la fin de la marche. Aujourd’hui, lui et sa famille gardent espoir. « On se bat parce qu’on n’a pas le choix. La justice, j’y crois ! Mais avec les affaires qui se multiplient, je commence à douter. » Il n’espère qu’une chose :
« Que la justice française montre qu’un policier est à la même hauteur qu’un citoyen lambda et non armé. »
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER