Dans son salon exigu, Mario Seabra, barbe et cheveux blancs, retire d’énormes classeurs d’un tiroir. Il en ouvre un et fait défiler les dizaines de documents, précieusement préservés sous plastique. Tous concernent le conflit qui l’oppose à l’ambassade de Norvège. Le bonhomme, immigré portugais, y a été chauffeur et gardien pendant 27 ans.
À partir de 2014, l’institution qu’il a servie si longtemps lui a successivement fait subir des sanctions disciplinaires, la retenue de ses indemnités de licenciement et son transfert dans un appartement plus petit. « En plus du harcèlement », assure Mario Seabra. L’ancien employé raconte, fébrile et de manière désordonnée, les différentes bribes de son histoire.
Surveillance et reproches quotidiens
Sa femme le dit, Mario a toujours été un employé modèle. Assise à la petite table du salon, bavarde, elle raconte qu’ils habitaient en famille dans la résidence de l’ambassade, dans le VIIIe arrondissement. Une vie paisible dans ce 77 mètres carrés. Et un travail qu’il aimait, jusqu’en 2014 et l’arrivée d’un nouvel ambassadeur. « De son bureau, il me voyait. Dès que je me levais pour aller aux toilettes ou autre, il m’appelait, me demandait où j’allais. Il me disait qu’il y avait des choses à faire », assure Mario, encore ahuri. Surveillance, brimade, accusations, son quotidien aurait tourné au calvaire. Lui parle de harcèlement et énumère les situations à l’infini. « Quand je descendais préparer la voiture avant de partir, la consule me reprochait de voler du temps à l’ambassade. Une fois, j’ai déposé l’ambassadeur à cinq mètres de la porte au lieu de l’amener juste devant, parce qu’il y avait un obstacle. J’ai eu droit à des réflexions aussi. » Des caméras sont installées dans la cour en 2015. « Ils observaient mes faits et gestes, et me faisaient des réflexions ensuite. »
Il a tout gardé dans son classeur. / Crédits : Léo Derivot
Bientôt, ses boss lui demandent de faire la peinture, la menuiserie, de déplacer des meubles… Autant de tâches qui ne sont pas stipulées dans son contrat. Ce qu’il signale à ses supérieurs. Les répercussions ne se seraient pas fait attendre : l’ambassade aurait profité de son retour dans un logement de la résidence après quelques mois de travaux pour lui faire signer un nouvel avenant de contrat de travail. La mention « Aides diverses selon les besoins » a été ajoutée à la liste de ses missions. Des termes vagues qui justifient désormais toutes les demandes. « Je me suis senti obligé de signer, j’avais ma famille à nourrir », raconte Mario.
Sanctions et menaces à répétition
En 2016, l’état de santé de Mario se détériore. Il développe un asthme sévère, ainsi qu’une faiblesse à l’épaule droite. Une maladie chronique liée à son poste de travail. « Je ne pouvais plus bouger », se souvient-il, portant sa main à l’épaule pour la pousser en arrière, mouvement devenu un tic. Son arrêt de travail se prolonge pendant plusieurs mois.
"C'est du harcèlement", jure-t-il. / Crédits : Léo Derivot
Commence alors un ballet de courriers de l’ambassade, qui met en cause son comportement au travail. Accompagnés, à chaque fois, de menaces de licenciement pour faute grave. En janvier 2017, alors qu’il est toujours en arrêt-maladie, il est informé par courrier d’une première mise à pied de 10 jours. Une seconde suit en octobre 2017. « Tous les reproches qu’ils m’ont faits étaient infondés », se défend Mario. Pour le prouver, il brandit des lettres élogieuses écrites par différents ambassadeurs à leur départ de leur poste. Il en est persuadé : « Dès qu’ils ont compris que mon arrêt-maladie allait durer, ils ont cherché par tous les moyens à me faire craquer pour se débarrasser de moi. » Pendant cette période, Mario commence à se faire suivre par un psychologue. Les yeux brillants, il poursuit :
« Heureusement que j’ai ma femme et mes enfants qui me soutiennent, parce qu’ils m’ont massacré psychologiquement. La façon dont ils m’ont traité, les reproches qu’ils me balançaient, c’était de l’humiliation. »
En 2018, il est déclaré inapte au travail. Raison pour laquelle il est licencié le 19 octobre. « C’était justifié, j’allais partir sans faire d’histoires », assure le désormais ex-employé. Seul hic : l’ambassade décide de retenir ses indemnités de licenciement et ses soldes de tout compte jusqu’à la restitution de son appartement de fonction. Comme l’exige la loi, il a trois mois pour le quitter. « Sans mon argent, on ne pouvait pas prendre un nouveau logement ! », s’exclame Mario. Dans l’attestation destinée à Pôle Emploi que StreetPress a consultée, l’employeur déclare pourtant avoir procédé à tous les versements.
L'ambassade de Norvège, « reconnaît avoir été informée de l'existence d'un dossier amiante sur les parties privatives ». / Crédits : Léo Derivot
Mario Seabra engage une procédure d’assignation en référé. En janvier dernier, l’ambassade est condamnée à payer l’indemnité de licenciement. Une somme de 44.688€. Mario la reçoit six mois après son licenciement. « On en est déjà à 23.000€ d’avocat, et ce n’est pas fini. Que va-t-il rester de mes indemnités ? »
Un nouveau logement de fonction
Surtout que Mario et son épouse viennent de porter plainte un nouvelle fois contre l’ambassade, cette fois pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ». Le couple a été transféré dans un appartement à Alfortville en avril 2018, pour cause de « travaux dans la résidence de l’ambassade ». Le contrat de location, auquel le couple vient d’avoir accès, stipule que l’ambassade de Norvège, « reconnaît avoir été informée de l’existence d’un dossier amiante sur les parties privatives ». Le couple d’occupants n’a cependant pas pu accéder à ce dossier amiante. Impossible donc pour le moment de savoir si le bâtiment est sain. Mais la situation inquiète ses occupants.
En plus, leur logement fait 42 mètres carrés, soit 35 de moins que celui que le couple occupait à l’ambassade. Un changement qui les a obligés à mettre leurs deux enfants de 22 et 26 ans à la porte. « On l’a su seulement 3 jours avant d’emménager. C’est vraiment dénigrer et rabaisser les gens, c’est dire : “Toi, tu n’es rien”. » Sa voix se brise lorsqu’elle raconte :
« Quand on est arrivés ici avec nos meubles, même les déménageurs nous ont dit, en voyant la cave insalubre dans laquelle ils devaient poser la machine à laver : “C’est vraiment ici que vous allez habiter ? Mais ils n’ont pas honte !” C’est tellement dégradant… »
Saisir la justice pour obtenir réparation
Parallèlement à la plainte pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui », Mario Seabra a saisi le Conseil des prud’hommes. Il accuse notamment l’ambassade d’atteinte à la vie privée et familiale et de harcèlement moral au travail. Contactée par StreetPress, l’ambassade de Norvège conteste ces allégations. « C’est devant les juridictions saisies que nous ferons valoir nos arguments », précise-t-elle, refusant de répondre plus en détail à nos questions.
Parallèlement à la plainte pour « Mise en danger délibérée de la vie d'autrui », Mario Seabra a saisi le conseil des prud’hommes. / Crédits : Léo Derivot
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