Calais (62) – Le 29 septembre 2020, dès six heures du matin, près de 800 personnes étaient expulsées par les forces de l’ordre d’un bidonville surnommé Hospital Jungle, situé sur le secteur de la lande de Virval. Gendarmes, CRS, police nationale et police aux frontières exécutent ce jour-là un ordre de « mise à l’abri » des exilés.
Huit associations d’aide aux migrants (L’Auberge des Migrants, la Cabane Juridique, la Fondation Abbé Pierre, Help Refugees, Project Place, Salam, le Secours Catholique et Utopia 56) et 11 personnes exilées, représentées par l’avocate Eve Thieffry, contestent la légalité de la procédure. Le 27 octobre dernier, elles ont assigné la préfecture du Pas-de-Calais pour voie de fait. Margot, de la Cabane Juridique explique :
« L’évacuation du 29 septembre se base sur la flagrance, un procédé qui permet seulement de récolter des preuves, qui ne permet pas une expulsion de cette ampleur. L’État n’avait pas le droit d’intervenir. Il ne prend même plus la peine de saisir la justice avant d’expulser les migrants ! »
En effet, une procédure d’expulsion implique l’autorisation d’un juge, d’effectuer un diagnostic social et d’identifier en amont le nombre de personnes présentes, l’âge, le genre et la nationalité. Elle nécessite une préparation et une discussion avec les personnes expulsées afin de trouver des solutions de relogement. « Le problème avec la flagrance, c’est qu’il n’y a aucune base légale, aucune possibilité de recours, aucun contradictoire », précise Margot.
Pour justifier cette expulsion, la préfecture prétexte de son côté « une opération de mise à l’abri (…) avant la période hivernale ». Il s’agit « d’une mise à l’abri forcée », taclent les associations. Pendant l’opération, « la police isole et nasse les personnes exilées ». Chloé, de Human Rights Observer :
« Ils ont attendu pendant des heures, jusqu’au moment où la police a reçu l’ordre de les emmener aux bus. Ça montre bien le caractère contraint, forcé, de la mise à l’abri. »
Les personnes exilées sont ensuite réparties entre les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale et les Centres d’accueil et d’examen et même temporairement dans un hôpital psychiatrique de la Région Hauts-de-France, mais aussi d’autres régions françaises. « Certains se retrouvent à Dijon, pour une nuit dans un hôtel, sans bouffe prévue, et le lendemain, ils les ont mis dehors », explique Pierre, de l’association Utopia 56. Enfin, « 34 personnes en situation irrégulière ont été interpellées en vue d’un placement en retenue administrative », précise la préfecture du Pas-de-Calais dans un communiqué. Dès le lendemain, certains migrants étaient déjà de retour à Calais.
Les huit associations dénoncent les pratiques de l’État en matière d’expulsion. Pour Chloé, avec cette procédure, il s’agit « de faire en sorte que l’État ne puisse plus utiliser la base de la flagrance pour faire ce type d’opération. C’est une base légale qui a été utilisée de manière totalement abusive. On veut de la jurisprudence qui mette un terme à ces opérations ! ».
Les exilés encore plus précarisés
Ces expulsions précarisent encore plus les exilés et perturbent le travail des associations. Les migrants perdent souvent leurs maigres biens. « Une équipe de nettoyage vient avec deux camions, un ouvert où sont placées les affaires qui vont directement à la déchetterie. Un fermé, où les affaires sont placées dans un container » détaille Chloé. Pour récupérer ce qui n’a pas été jeté, les exilés doivent se rendre à un guichet, accompagnés par le représentant d’une association. Human Rights Observer note que « depuis le début de l’année, sur les rares personnes qui sont venues, 30 % ont réussi à récupérer leurs affaires, sans qu’elles soient cassées, aient été traînées dans la boue ou volées ».
Cette politique d’expulsions à répétition débouche sur une dispersion des migrants et des phénomènes d’errance dans le centre-ville de Calais. Un éclatement qui complique leur accompagnement par les associations, qui voient des personnes disparaître du jour au lendemain. Pierre d’Utopia 56 :
« On est dans une situation d’urgence permanente, on aimerait pouvoir réfléchir au projet migratoire des gens, les aider dans leurs démarches, or, ces expulsions-là sapent tout le travail qui est fait sur le long terme avec eux. »
En assignant la préfecture du Pas-de-Calais, ces associations espèrent mettre fin aux expulsions illégales quotidiennes auxquelles font face les exilés. L’audience est fixée au 18 novembre prochain au tribunal de Boulogne-sur-Mer.
Contactée par StreetPress, la préfecture du Pas-de-Calais nous renvoie vers son communiqué du 29 septembre 2020.
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