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    10/06/2022

    Il voulait savoir s’ils avaient du cyanure dans le sang

    Gilets jaunes : le biologiste Alexander Samuel jugé pour avoir prélevé du sang en manif

    Par Thierry Vincent

    Le biologiste Alexander Samuel et deux médecins avaient, pendant le mouvement des gilets jaunes, prélevé du sang à 14 manifestants. Ils voulaient savoir s'il y avait des traces de cyanure chez ceux qui ont inhalé des lacrymos. Mais était-ce légal ?

    Avec son look de hard-rocker déjanté, Alexander Samuel a, a priori, peu de chance, de faire bonne impression auprès d’une présidente de tribunal. Ses cheveux longs tombent jusqu’au milieu du dos et il joue dans un groupe de metal. L’homme est aussi un brillant scientifique, titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire. Il collabore notamment aux travaux de Dan Caszeta, le toxicologue attitré de la Maison-Blanche, une sommité en la matière. Mais que fait-il donc comme prévenu à la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris avec deux autres médecins à l’allure beaucoup plus classique ?

    L’histoire paraît ubuesque : il est reproché à Alexander Samuel d’avoir coordonné des prélèvements sanguins lors de manifestations de Gilets jaunes – et aux deux médecins de les avoir fait. L’affaire avait entre mai et juillet 2019 eu les honneurs de la presse. Le Parisien, France Info et d’autres s’interrogent sur qui sont ces mystérieuses personnes qui prélèvent le sang des individus pendant les manifestations. Des photos et vidéos, partielles et hors contexte, sont diffusées abondamment, laissant penser à des prélèvements sauvages. Sur les réseaux sociaux, ils étaient qualifiés de suceurs de sang, de quasi vampires.

    En 2019, le Parquet a ouvert une enquête pour violence volontaire aggravée qui a été ensuite requalifiée. Ils sont poursuivit pour avoir prescrit pratiqué ou fait pratiquer une recherche impliquant la personne humaine sans avoir obtenu l’avis favorable du comité de protection des personnes. Face à la justice, ce jeudi 9 juin, Alexander Samuel et ses deux acolytes expliquent qu’ils souhaitaient vérifier s’il n’y avait pas des traces de cyanure chez ceux qui ont été victimes de gaz lacrymogènes. Les tests se sont déroulés entre avril et juin 2019.

    Fake news

    Du cyanure dans les lacrymos ? Cette allégation de nombreux Gilets jaunes apparaît d’abord comme fantaisiste aux yeux d’Alexander. « Je n’y croyais pas du tout. Au départ, j’ai voulu “debunker” ce que je pensais être une fake news », explique le docteur en biologie. Car le scientifique consacre une partie de son temps à combattre les fausses infos : il travaille sur le sujet avec l’université de Nice, et collabore à l’émission de référence « vrai ou fake », sur France Info. Pendant toute la période de la pandémie, il s’oppose violemment à Louis Foucher, le médecin qui nie la réalité du Covid, et à Didier Raoult.

    Alexander est un boulimique de sciences. Il dévore toute la littérature de la moindre revue spécialisée. Alors, lorsque des Gilets jaunes l’alertent sur cette histoire de cyanure qui lui paraît bien fantaisiste : il traque jusqu’aux études les moins connues pour vérifier s’il y a des antécédents sur le sujet. Il tombe sur une vieille étude de l’armée américaine datant des années 50 pointant déjà ce danger. L’armée va même jusqu’à affirmer, peut-être avec excès, que les lacrymos sont aussi dangereuses que le gaz moutarde. Il déniche aussi une enquête du quotidien Der Spiegel, considérée comme très crédible, qui aboutit à la conclusion de la toxicité des bombes lacrymogènes : « Depuis les lacrymos sont interdites en Allemagne ». D’où ses doutes et le lancement de ces prélèvements.

    Procédé scientifique

    Des échantillons n’ont été prélevés que sur 14 personnes. Alexander reconnaît volontiers que cela n’a effectivement pas valeur d’étude scientifique :

    « Le but était de voir si le taux de cyanure était effectivement plus élevé après l’absorption de gaz lacrymogène, puis éventuellement de lancer une alerte de toxico vigilance. En aucun cas d’effectuer une étude scientifique au sens médical du terme. »

    Une pré-étude, en quelque sorte, qui montre chez les personnes exposées des taux de cyanure deux à trois fois plus élevés que la moyenne. En rigoureux scientifique, Alexander Samuel, tient à être précis et démentir quelques fake news :

    « Non, il n’y a pas de cyanure en tant que tel dans les bombes lacrymogènes, avec l’intention de tuer des gens comme on l’entend parfois chez certains Gilets jaunes. Simplement, leur jet libère du cyanure qui se métabolise ensuite dans le corps. »

    Mais pourquoi n’avoir pas effectué ces prélèvements tranquillement, après les manifs, loin de l’agitation qui y règne : « Le problème est que pour connaître précisément le dosage du cyanure, il faut effectuer des prélèvements tout de suite après l’exposition ». Aujourd’hui, il y a un quasi-consensus sur le fait que les lacrymos se métabolisent dans le corps en cyanure, la question étant de savoir si les quantités reçues sont dangereuses ou pas.

    À LIRE AUSSI : Ce que les gaz lacrymogènes font à nos utérus

    Est-ce bien éthique ?

    La présidente montre une certaine bienveillance à l’égard d’Alexander Samuel. Elle est studieusement à l’écoute, désireuse de comprendre une matière technique et une déontologie médicale qu’elle avoue humblement ne pas maîtriser complètement. J.C., une des médecins généralistes également poursuivie, explique sa conception de médecin :

    « J’ai vu des gens blessés, mon devoir est de la soigner et d’établir un diagnostic. Donc de simples prélèvements sanguins pour les faire ensuite analyser en labo… »

    Il est tout de même reproché à Alexander Samuel de ne pas avoir demandé l’avis du « comité de protection des personnes », un organisme public. « Mais cette institution est essentiellement sollicitée par les labos lorsque, par exemple, ils testent un nouveau traitement sur les êtres humains », se défend le biologiste qui met également en avant la dimension modeste de son projet : à peine 14 prélèvements. Il a par ailleurs, au préalable, fait signer un consentement.

    André Picot, 86 ans, un ponte de la toxicologie, ancien directeur de recherche au CNRS et qui a beaucoup travaillé sur Lubrizol est appelé à la barre comme témoin de la défense. Il explique que la pratique ne lui pose aucun problème. Le comble, c’est que même le Conseil de l’Ordre des médecins, gardien pointilleux de la déontologie, ne trouve rien à redire à cette pratique. Interrogée par StreetPress, l’un de ses représentants détaille :

    « Si une personne consent à un prélèvement biologique pour des motifs qu’elle connaît et que ce prélèvement est effectué par un professionnel qualifié pour le faire, il n’y a pas d’obstacle légal à sa réalisation. La seule réserve serait que le traitement de l’échantillon prélevé soit également effectué par un professionnel qualifié et identifié, afin que le résultat rendu soit techniquement fiable. »

    Alexander comme la docteure J.C. disent avoir pris soin d’informer les policiers de la raison de leur présence dans les manifestations. Et même le très droitier syndicat policier Alliance n’y voit rien à redire. « Je suppose que les lacrymos ont subi tous les tests nécessaires sur leur toxicité éventuelle. Mais les gens font ce qu’ils veulent. Si certains veulent sur-vérifier, pourquoi pas ? Ça ne nous gêne pas », déclare à StreetPress Frédéric Lagache, le secrétaire général du syndicat.

    Qui leur en veut ?

    Le paradoxe dans cette affaire est que les critiques ne viennent ni du Conseil de l’Ordre des médecins, ni de la police, mais de ceux qui théoriquement devraient être des alliés : les street medics. Alexander et les deux médecins s’adonnant aux prélèvements sont vilipendés notamment par un collectif baptisé SOS ONU (il n’a rien à voir avec l’organisation internationale). Une association fondée par une certaine Shirelle David, médium de profession avec laquelle Alexander et ses amis médecins travaillaient au départ en bonne entente. Jusqu’à ces fameux prélèvements. Les raisons de cette rupture sont très floues : « Je trouvais que ça allait trop loin », se contente-t-elle d’expliquer au téléphone, sans plus d’arguments.

    Au total, cette affaire, dont les prévenus ont attendu trois ans leur procès, apparaît comme une tempête dans un verre d’eau. Le procureur de la République considère tout de même que les actes de prélèvements relèvent de la recherche et non d’une procédure de diagnostic en vue de lancer une alerte de toxico-vigilance. Ils ont donc, selon lui, violé le Code de santé publique. Il a requis deux mois de prison avec sursis. Délibéré en septembre prochain.

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