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    02/11/2022

    Il faut réunir 600.000 euros par an

    Comment on finance un média indépendant ?

    Par StreetPress

    StreetPress, c’est 15 journalistes et vidéastes, 600.000 euros de budget par an, pour produire nos enquêtes, nos documentaires, nos contenus sur les réseaux sociaux et nos newsletters. Mais comment on finance ce média indépendant ?

    On nous demande souvent comment fonctionne StreetPress et comment notre média se finance. La vérité, c’est que ça n’est pas facile tous les jours et qu’on a construit notre modèle de revenus au fil des ans. Alors qu’on lance un appel à soutien financier auprès de nos lecteurs, on vous raconte ici comment depuis 12 ans, on a développé notre média d’enquête et d’impact, avec une équipe soudée et déterminée et des moyens qui restent très limités.

    Les vrais indés reconnaissent les vrais

    La première chose qu’il me semble important de dire, c’est que StreetPress est par essence un média indé. Quand on a lancé StreetPress, il y a 12 ans maintenant, on tenait presque dans une cabine téléphonique : Robin d’Angelo, Jacques Torrance et moi étions trois jeunes journalistes, la vingtaine, aucun d’entre nous n’était du sérail des écoles de journalisme, et pourtant nous étions là. Où ça là ? Dans la moitié d’un petit studio prêté par l’historien Patrick Weil (qui est donc indubitablement le premier soutien de StreetPress). Et l’argent au début ? C’est simple, on n’en avait pas : juste 5.000 euros empruntés à la banque au prétexte de faire des travaux chez moi.

    Au fur et à mesure, on a professionnalisé StreetPress, on a renforcé l’équipe, on a affûté notre ligne éditoriale, amélioré nos méthodes. Mais on sait d’où l’on vient. On sait qu’on n’a pas de gros actionnaires derrière nous, qu’à chaque fois qu’on risque d’être en déficit, c’est tout le projet qui risque de s’écrouler. Personne ne comble nos découverts. Alors, on gravit les étapes marche après marche, en veillant à ne pas se casser la gueule en voulant aller trop vite.

    Rien à voir en tout cas avec ces médias qui se lancent en grande pompe en mode startup, avec des fonds d’investissement et des milliardaires derrière eux (coucou Konbini et tous les autres), on garde la foi, on sait pourquoi on est là, et surtout où on va…

    Le modèle économique de StreetPress, c’était un peu la quadrature du cercle…

    La foi dans un journalisme engagé certes, mais avec quel argent ? Construire le modèle économique de StreetPress, ça a été compliqué. On a d’abord procédé par élimination :

    > Pas de riches oligarques pour nous financer : Vu le tort que Drahi, Bolloré et les autres font aux médias indépendants, on devait passer notre chemin.

    > Pas ou (vraiment très peu) de pub. Entre jouer la course à l’audience avec des articles « putaclics », ou développer une info de qualité avec des lecteurs qui nous font confiance sur la durée, il fallait choisir. Si l’on a de temps en temps de la publicité, c’est de la part de marques ou d’institutions avec qui on partage des valeurs, et surtout au travers des pubs qui s’affichent automatiquement sur notre chaîne Youtube, quand nos vidéos ne sont pas démonétisées par la plateforme.

    Partant, on a commencé – il faut être honnête – par bricoler. On n’avait pas de caillasse, mais beaucoup de volonté pour développer StreetPress, pour agrandir l’équipe. Alors, comme on savait faire des vidéos et écrire des articles, je suis allé frapper aux portes d’ONG, d’institutions ou de marques à qui j’ai proposé les services du studio StreetPress. On leur a proposé de réaliser des vidéos ou des magazines pour eux, sans que StreetPress n’apparaisse. On a fait de belles productions, pour des ONG comme Médecins du Monde, le Secours Populaire, des associations comme Féministes contre le cyberharcèlement, le Fonds pour une presse libre et on a aidé d’autres médias, comme récemment Basta! ou Le vent se lève. Aussi des mairies, des petites entreprises, qui en faisant appel à nous soutiennent aussi notre projet. Et c’est grâce à ces revenus qu’on a tenu bon les premières années.

    On a aussi, petit à petit, mieux compris le fonctionnement des subventions de l’État aux médias. D’année en année, ces revenus vont croissant et nous aident bon an, mal an, à nous développer. Mais attention : cet argent public file d’abord droit dans les caisses des journaux détenus par des milliardaires et les médias indépendants se partagent quelques miettes.

    Fin 2018, l’équipe de StreetPress, c’est sept personnes : Mathieu Molard pilote la rédaction et multiplie les enquêtes avec Tomas Statius ; Matthieu Bidan et Inès Belgacem enchainent les mini documentaires et lancent la chaîne Youtube de StreetPress ; à bord de notre frêle embarcation, il y a aussi Elsa Bastien (qui depuis a rejoint nos amis de Reporterre), Mathieu Bardeau et Saïd Belhamsali. Une équipe en or. Mais voilà qu’on se retrouve avec zéro thune dans les caisses.

    Après avoir tenté beaucoup de choses (on a même essayé de faire miner des cryptomonnaies à nos lecteurs pour financer le média, sans succès), on est au pied du mur. On manque d’argent pour acheter des caméras, des ordinateurs de montage, agrandir l’équipe et se développer. Une chose que j’ai apprise avec StreetPress : si un média ne se développe pas, ne se fixe pas de nouveaux objectifs, il recule et est de moins en moins utile. Et seconde chose dont je suis convaincu : si un média n’est plus utile, s’il ne sert plus les citoyens qu’il est censé servir, autant ne pas s’épuiser à le maintenir en vie, et mieux vaut se dire au revoir et poursuivre nos combats ailleurs.

    Bref, fin 2018, on doit trouver notre modèle de revenus ou mettre la clé sous la porte. Je vais demander des conseils, et plusieurs personnes suggèrent que l’on développe le modèle de l’abonnement : des contenus réservés aux abonnés, une base de lecteurs qui va croissant, des revenus récurrents, c’est alléchant…

    Sauf que notre combat depuis nos débuts, c’est que nos enquêtes, nos documentaires, qui souvent parlent du quotidien des jeunes et des précaires, soient lus par les premiers concernés ! À quoi bon une enquête qui dénonce des violences policières récurrentes dans un commissariat, un documentaire sur les gens du voyage et la pollution sur leur aire d’accueil, un reportage sur les fermetures massives de restos universitaires, si les gardés à vue, les habitants des aires d’accueil, les étudiants ne peuvent les lire ? Pour nous, l’accès libre à une info de qualité est une nécessité.

    Depuis 2019, StreetPress est un média à prix libre, financé par ses lecteurs

    Début 2019, après avoir retourné la question de l’accès libre dans tous les sens, on décide d’en faire une force, en devenant un média à « prix libre » : les lectrices et lecteurs qui le peuvent contribuent au média, en fonction de leurs moyens, et permettent aux articles de rester disponibles pour tous.

    En quelques mois, ce modèle change tout pour nous : on devient d’abord redevables de nos lecteurs, l’indépendance de notre média est renforcée et nous avons un cap ! En trois ans, les soutiens de nos lecteurs n’ont fait que progresser : 56.000 euros en 2019, 91.000 euros en 2020, 138.000 euros en 2021. Plus de 6.000 lecteurs ont déjà contribué à StreetPress, devenu média à « prix libre ». Merci à eux, merci à vous si vous nous lisez : vous avez permis à nos enquêtes et documentaires non seulement d’exister, mais surtout d’être accessibles à tous.

    Désormais, les dons de nos lecteurs font partie à part entière de notre modèle de revenus, d’une manière semblable aux ventes de journaux ou aux abonnements pour les médias traditionnels : On s’abonne à un journal en ligne ou à une plateforme vidéo, on achète un quotidien ou un magazine et… on soutient StreetPress à prix libre.

    Ce modèle que nous construisons avec nos lecteurs est vertueux : chaque révélation publiée par StreetPress suscite de nouvelles contributions, qui sont autant de moyens pour lancer de nouvelles enquêtes. Pour l’instant, ces dons reçus tout au long de l’année ne suffisent pas à atteindre nos objectifs de revenus, et nous devons faire appel chaque automne au soutien financier de notre communauté.

    La campagne d’appel aux dons que nous lançons cette semaine rappelle que le journalisme de qualité a un coût. StreetPress compte sur ses lectrices et lecteurs pour pouvoir continuer à faire son boulot. On doit réunir 80.000 euros avant le 2 décembre pour boucler l’année à l’équilibre.

    Plus que jamais, on compte sur votre soutien, en fonction de vos moyens : streetpress.com/soutenir

    J’espère que ces lignes vous auront éclairé sur le sens de cet appel et sur les objectifs que nous nous donnons au sein de la belle rédaction de StreetPress : 15 journalistes, qui tous les jours se battent pour que vos combats, nos combats, soient portés dans le débat public.

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    L'équipe de StreetPress. / Crédits : Yann Castanier

    Si vous avez d’autres questions sur notre fonctionnement éditorial ou financier, je vous invite à lire le rapport d’impact que nous publions cette semaine.

    Je reste à votre disposition pour échanger sur tout cela, parler du modèle économique du média ou à votre écoute si vous souhaitez nous apporter votre soutien ; n’hésitez pas à m’écrire par mail à jo (at) streetpress (.) com ou sur twitter à @joweisz

    Très sincèrement,

    Jo Weisz
    Fondateur de StreetPress

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
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