« 300 euros ». Depuis septembre 2022, Sabrina (1) a reçu dix amendes de stationnement dans Toulouse. Elle est pourtant détentrice d’une Carte de Mobilité Inclusion (CMI), qui lui permet d’utiliser gratuitement et sans limitation de durée toutes les places de stationnement ouvertes au public. Cette mère d’un adolescent autiste, elle-même en situation de handicap, l’utilise depuis sept ans. Mais depuis l’installation du nouveau système d’amende déployé à Toulouse, nommé le LAPI – pour Lecture automatisée des plaques d’immatriculation – Sabrina vit un calvaire :
« J’ai contesté toutes les amendes, mais cela prend du temps et entraîne beaucoup de stress. »
Le système de LAPI est installé sur deux véhicules qui sillonnent quotidiennement les rues de Toulouse à la recherche de ceux qui ne paient pas leur stationnement. Sauf qu’il ne prend pas en compte ces cartes réservées aux personnes en situation de handicap, accompagnants et invalides. Et les agents de surveillance de la voie publique (ASVP), censés contrôler depuis leurs voitures, ne semblent pas vérifier systématiquement si la CMI est affichée sur le pare-brise.
« On nous rajoute des contraintes pour faire rentrer du cash ! Les pouvoirs publics n’ont pas pris leur responsabilité », tonne Odile Maurin, élue municipale de l’opposition de gauche du groupe Alternative pour une métropole citoyenne. En situation de handicap, la militante surnomme le LAPI, la « sulfateuse à PV » :
« Le but de leur système est qu’il soit rentable et non équitable. »
Déjà en vigueur dans plusieurs villes de France (Paris, Bordeaux, Lille, etc), cet arsenal répressif est très efficace pour gonfler les recettes de la lutte contre la fraude au stationnement. Pour le seul mois de septembre, les véhicules LAPI ont amendé 35.322 véhicules sur les 16.600 places de parking que compte la ville de Toulouse selon Mediacités. Soit 2,5 fois plus qu’en 2021 selon les chiffres communiqués par la métropole au média indépendant. Depuis la mise en place du LAPI, l’association Handi-social, qui défend les droits des personnes en situation de handicap, a reçu au moins 24 demandes d’aide de personnes détentrices de la CMI et pénalisées par ce système à Toulouse.
Une galère au quotidien
Sabrina n’était pas au courant de la mise en place du dispositif en septembre. « C’était un enfer ! Nous avons reçu cinq contraventions ce mois-là », se souvient-elle :
« La première date du jour de la rentrée lorsque j’ai accompagné mon fils au lycée. Quatre autres ont suivi les semaines suivantes. »
« Globalement, je suis obligée de me mettre sur des places de stationnement payant quand je me déplace à Toulouse car il n’y a pas assez de places réservées aux personnes handicapées », commence Véronique (1), qui a vécu la même expérience. « Maintenant, on ne sait même pas qu’on en prend ! On est averti au moment où on la reçoit par courrier. » Les difficultés étaient telles qu’elle a décidé de changer ses habitudes :
« Je ne suis plus retournée en ville en voiture depuis décembre. J’essaye de prendre un maximum les transports en commun ou je fais en sorte de me faire déposer sur place. »
La mairie campe sur ses positions
Plusieurs solutions ont été proposées par le maire Les Républicains de Toulouse, Jean-Luc Moudenc. D’abord, Sabrina et Véronique ont la possibilité de contester en remplissant un formulaire intitulé : le recours administratif préalable obligatoire (Rapo). « Des démarches supplémentaires », fustige Véronique. La sexagénaire déplore également « l’absence d’interlocuteur réel » :
« Notre quotidien est assez pénible pour passer notre temps à faire des démarches. »
La mairie a également proposé des tickets « PMR gratuit » valables pour 24 heures maximum à récupérer à l’horodateur. « C’est tout simplement impossible pour nous. Les horodateurs ne nous sont pas accessibles », s’agace Odile Maurin, la présidente de Handi-Social, qui poursuit :
« Sur mon fauteuil, je suis bien trop bas et je ne peux pas lever mes bras. » (2)
Véronique, elle, remet en question la fiabilité des tickets : « J’avais garé ma voiture sur une place de stationnement payant, avec un ticket gratuit PMR. J’ai quand même reçu deux amendes de 30 euros… »
Une application mobile avec le même service a ensuite été proposée. Mais elle ne respecte pas les normes d’accessibilité aux personnes déficientes visuelles et aveugles. L’app’ pose également des questions de confidentialité. « On m’a demandé de rentrer mes coordonnées bancaires », raconte Sabrina. « Pourquoi faire ça, alors qu’on est censé bénéficier de la gratuité ? J’ai vite désinstallé l’application. »
Une mesure « pousse-au-crime »
La ville de Toulouse a par la suite mis en place une nouvelle application qui ne nécessite plus de donner ses codes de carte bancaire. Mais pour Véronique, cela ne change rien. Elle rappelle qu’à l’échelle nationale, la fameuse Carte Mobilité Inclusion est prévue et suffisante pour accéder à ses droits :
« J’ai vraiment l’impression d’être fliquée pour ce que je suis, ce n’est pas normal. »
Dernière possibilité : inscrire son véhicule et sa plaque d’immatriculation en ligne auprès de la mairie, à renouveler tous les deux ans. Cependant, un seul véhicule par personne est autorisé. « On enregistre le véhicule d’une auxiliaire de vie qui va donc pouvoir stationner gratuitement tout le temps, même si elle ne transporte pas la personne ? », souffle Odile Maurin, qui rappelle que les personnes en situation de handicap possèdent une CMI pour pouvoir être accompagnées par différentes personnes selon leurs besoins. « C’est du pousse-au-crime. En plus, tout le monde ne sait pas utiliser une application sur téléphone. »
Il n’existe aujourd’hui aucune base nationale pour centraliser les données de stationnement. Ce qui oblige les personnes handicapées à effectuer les démarches dans chacune des villes où sont utilisées les voitures LAPI.
Des solutions ?
Les associations comme Handi-social soutiennent ne pas être « fondamentalement contre la verbalisation du stationnement ». « On demande l’instauration d’un pré-contrôle, c’est-à-dire la vérification visuelle systématique par des agents des véhicules en infraction. De sorte à ne pas mettre d’amende à ceux avec une carte de stationnement », pose Odile Maurin. Ce qui en fait, devrait déjà être fait par les ASVP. Leur deuxième demande est « d’améliorer la caméra des véhicules de police pour flasher la carte de stationnement ».
À StreetPress, le service de communication de la mairie explique : « Un meilleur contrôle du stationnement payant permet de favoriser la rotation des véhicules sur les places de stationnement. (…) Cette amélioration du taux de rotation est aussi au bénéfice des PMR. » Ajoutant, après avoir énuméré les différentes propositions de résolutions citées dans l’article :
« Tout a été fait pour minimiser les contraintes pour les PMR lors de la mise en place du dispositif de contrôle à l’aide du LAPI. »
L’association Handi-social et Odile Maurin ont déposé le 15 décembre dernier un recours devant le tribunal administratif de Toulouse, qui demande l’annulation du dispositif. Le 27 décembre, l’élue a aussi déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) estimant que ce dispositif « bafoue » les droits des personnes handicapées. Lors d’une conférence de presse ce jeudi 5 janvier, la conseillère municipale et son avocat, maître David Nabet-Martin, ont assuré qu’ils allaient prochainement déposer une requête en référé devant la justice.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) Edit le 11/01/23 : Nous avions auparavant ajouté à cette phrase la citation suivante d’Odile Maurin : « Et si je suis accompagnée de mon auxiliaire de vie, cela voudrait dire que je devrais lui donner ma carte bleue et mon code confidentiel. Ce que je ne souhaite pas. » Mais elle ne parlait pas du parcmètre sur ce point mais bien de l’application mobile.
Image de Une : photo d’illustration d’un véhicule ASVP le 14 juillet 2018 par Benoît Prieur via Wikimedia Commons. Certains droits réservés
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