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    12/09/2024

    Une conséquence des relations très froides entre Paris et Bakou ?

    Le Français Théo Clerc est emprisonné depuis six mois en Azerbaïdjan pour… un graffiti

    Par Nada Abou el Amaim

    Théo Clerc est graffeur reconnu dans le milieu de l’art urbain. Depuis fin mars, il est en prison en Azerbaïdjan pour avoir fait un graffiti. La justice azérie lui a collé un autre chef d’accusation et son avocat dénonce « une affaire politique ».

    Depuis presque six mois, un Français est emprisonné au fond du Caucase, en Azerbaïdjan, pour un tag. Théo Clerc a été arrêté le 30 mars dernier. La veille, dans la nuit, armés de pinceaux et de quelques bombes aérosols, Théo et ses deux amis, Ali et Don (1), ont infiltré le dépôt de métro de Bakou, la capitale azérie, où ils sont arrivés trois jours auparavant. Sur l’un des wagons, le trio esquisse quelques lettres, laissant à peine deviner le mot « Jaezo ». « Ce graffiti n’a rien de politique, ce ne sont que des lettres qui ne veulent pas dire grand-chose », affirme l’Australien Don à StreetPress. Pourtant, les autorités locales y voient une « atteinte grave à la dignité nationale et à l’ordre public ». Les trois artistes sont embarqués au poste de police. « Là-bas, on a été interrogés pendant des heures », se souvient Don :

    « Ils ont fouillé nos sacs, nos téléphones, nous ont confisqué nos passeports. Ils étaient assez agressifs physiquement. »

    Envoyés en comparution immédiate devant le tribunal administratif, les trois hommes se retrouvent face à une juge qui, dans un verdict expéditif, les condamne à une amende de 10.000 manats, soit 5.325 euros, avant de prononcer leur libération. « À notre retour à l’hôtel, je me souviens que la police nous suivait partout, à la salle de sport, au restaurant… À chaque entrée et chaque sortie, on pouvait les croiser. » Mais cette semi-liberté n’est que de courte durée pour Théo. Dès le lendemain, la police annule le verdict de la veille, et l’homme de 38 ans est de nouveau arrêté, seul cette fois-ci, et placé en détention provisoire pour « dégradation des biens de l’État ».

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    Le wagon sur lequel Théo Clerc et ses deux amis ont graffé le terme « Jaezo ». « Ce graffiti n’a rien de politique, ce ne sont que des lettres qui ne veulent pas dire grand-chose », affirme l’Australien Don. / Crédits : DR – Famille Clerc.

    Une accusation de « hooliganisme » et quatre ans de prison

    Théo Clerc voit alors un nouveau chef d’accusation s’ajouter à son dossier : celui de « hooliganisme », qui ouvre la voie à une enquête labyrinthique qui s’étend sur cinq mois. L’infraction, dont la définition au sein du droit azéri est vague, donne à la justice carte blanche pour englober un éventail d’agissements. Une situation que la famille de Théo trouve injuste. Et si le Quai d’Orsay affirme suivre « avec attention », le sort du graffeur n’a pas suscité de réactions de l’État français, tenu au courant depuis avril dernier. Ce n’est que le 4 septembre dernier que le ministère des Affaires étrangères semble faire écho à la situation de Théo Clerc quand il publie une note sur son site à propos de l’Azebaïdjan. Il y déconseille les ressortissants, y compris binationaux, de se rendre en Azerbaïdjan, au risque de « s’exposer à un risque d’arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable ». Les relations entre les deux pays n’ont jamais été au beau fixe, en raison du soutien de la France à l’Arménie, état frontalier et parfois en guerre avec l’Azerbaïdjan. Mais elles sont depuis des mois au plus bas. La France a rappelé son ambassadrice en avril dernier et a accusé l’État azéri d’ingérence en Nouvelle-Calédonie.

    De son côté, la note de la diplomatie française du 4 septembre a amené le porte-parole du ministère des Affaires étrangères local à mettre fin à la « campagne de diffamation ». L’affaire a-t-elle davantage corsé la situation de Théo ? Son frère, Charlie, avance que « tout s’est accéléré » depuis. Au tribunal de Narimanov à Bakou, ce mardi 10 septembre, le procès « relevait d’un autre monde », selon les proches du détenu. « Tout le monde dans la salle était d’accord sur le fait que le graffiti n’avait pas de connotation politique », se souvient Don, sur le banc des accusés. « La juge elle-même l’a dit. » Selon Charlie, dont un proche a assisté à l’audience, « les témoins qui devaient être auditionnés ont été dispensés et nous sommes directement allés vers le verdict ». Le procureur a demandé quatre ans d’emprisonnement pour Théo et trois ans et demi pour les deux autres. « Et puis la juge s’est absentée pendant longtemps, elle était probablement au téléphone… », raconte Don. À son retour, la sentence tombe : trois ans d’emprisonnement pour le Français. Ses amis, eux, reçoivent l’équivalent de plus de 2.000 euros d’amende.

    « Des signes croissants de détresse psychologique »

    Aucune justification n’a été donnée pour cet écart de peines. « C’était pourtant un procès collectif », réagit l’avocat de Théo et de ses deux amis anglo-saxons, Elchin Sadigov. Le Français a d’ailleurs payé plus de 5.000 euros en échange d’une libération immédiate qui n’a jamais vu le jour. Une preuve, selon son avocat, que la justice azérie « ne respecte pas ses propres textes de lois » :

    « Il est clair que nous sommes témoins d’une affaire politique, car en Azerbaïdjan, la pratique habituelle ne prévoit pas d’incarcération si l’amende est réglée. »

    Les conditions d’emprisonnement du Français semblent déplorables. Pendant des mois, Théo a été enfermé dans une cellule de 20 m2 avec huit personnes. « Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’un de ses co-détenus avait été attaqué au couteau », raconte Charlie. Il raconte que son frère « montre des signes croissants de détresse psychologique », et développe des « tocs » et un comportement de plus en plus perturbé. « Il ne voulait pas raconter ce qu’il se passait à l’intérieur », ajoute-t-il. Alors que Théo continue de languir dans sa cellule, la diplomatie française reste figée. Pire, la consule de France à Bakou, Mathilde Guiraud – qui n’occupe plus ce poste aujourd’hui – aurait confié lors d’une rencontre avec les proches du détenu qu’« ici, tout passe par les pots-de-vin ». Quelques rumeurs évoquent un éventuel échange de prisonniers : Théo contre le blogueur azéri Mahammad Mirzali, réfugié politique en France et placé sous haute surveillance après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinats. « La France n’acceptera jamais de le renvoyer en Azerbaïdjan, il risque l’exécution », explique une source. Alors que l’Azerbaïdjan doit accueillir la Cop29 dans quelques semaines, la famille de Théo souhaite alerter sur sa situation et a lancé une pétition. Elle en appelle « à la justice et à la clémence ».

    À LIRE AUSSI : « Ma famille a été persécutée en Azerbaïdjan parce que j’ai demandé l’asile en France »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

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