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    23/06/2025

    La monarchie fait sa propagande

    Binationaux, luxe et « Sahara marocain » : bienvenue à l’université d’été du Maroc

    Par Lina Rhrissi

    Chaque année, le Maroc organise un séjour tous frais payés pour 300 étudiants de la diaspora, dont des dizaines de Franco-marocains. Un moyen de se reconnecter à leur pays d’origine pour les participants et un outil d’influence pour le royaume.

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    « J’ai rencontré des grosses têtes marocaines, des ministres, des hommes d’affaires, des docteurs en intelligence artificielle… J’ai même été au cinéma ! Bref, j’ai vu une facette du Maroc que je n’avais jamais vue », se remémore Riyad, étudiant en école d’ingénieur en région parisienne qui a participé à la 14ème édition de l’université d’été organisée à Rabat, en 2023. Le Franco-marocain de 21 ans était plutôt habitué aux deux mois de vacances d’été dans la région de ses parents, vers Figuig, ville du Nord-Est, rythmés par les retrouvailles familiales et les visites touristiques.

    Chaque année, depuis 2009, l’État chérifien invite plusieurs centaines de Marocains âgés de 18 à 25 ans qui étudient dans une autre nation pour une grosse semaine de conférences et de festivités. Le futur ingé a eu vent du plan par son grand frère, qui a participé il y a quelques années. « Quand il y est allé, ils devaient être une quarantaine. Ça a grossi depuis », relate celui qui a postulé sans succès une première fois avant d’être sélectionné parmi quelque 2.000 candidats. Lors de la dernière édition, du 6 au 14 juillet 2024, 300 jeunes femmes et hommes détenteurs d’une carte d’identité marocaine, binationaux ou non, se sont envolés avec Royal Air Maroc en direction de Tanger, au Nord-Ouest du pays. Parmi eux, une cinquantaine de Franco-marocains ont répondu à l’appel de la « mère patrie », les plus nombreux après les Italiens.

    Pour ces « Marocains du monde » – expression désormais privilégiée par la monarchie pour remplacer celle longtemps utilisée de « Marocains résidents à l’étranger » (MRE) –, ce voyage tous frais payés par le ministère des Affaires étrangères marocain est un moyen de resserrer leurs liens avec leur pays d’origine, de faire du réseau et de regonfler leur nationalisme. « On est vraiment accueillis comme des princes », estime Riyad. Pour le régime de Mohammed VI, c’est un outil de soft power qui lui permet de former une armée d’ambassadeurs officieux dans leur deuxième pays. Contacté, le gouvernement marocain n’a pas souhaité répondre.

    « Zmagri » du monde entier

    « Jusqu’à ce que je reçoive mes billets d’avion, je me disais qu’à tous les coups c’était une arnaque », s’amuse la Bretonne Inès, qui a participé à l’édition de 2023 à Rabat. C’est en tombant sur un prospectus en noir et blanc au consulat du Maroc de Rennes (35), alors qu’elle venait renouveler sa carte nationale, qu’elle a connu l’existence du programme gratuit. Sa promo est la première à avoir été filmée et mise en avant sur le compte Instagram du département des MRE. « C’était dix jours hyper denses », prévient l’étudiante en droit de 24 ans, bonne élève.

    Au menu : ateliers et conférences sur des thèmes politiques, économiques et sociétaux délivrés par des pontes le matin. Musées ou visites historiques l’après-midi, puis soirée à l’hôtel pour discuter entre Marocains venus des quatre coins de la planète. « Dès le bus à 8h du matin, tu rencontres plein de nouvelles personnes. Tu n’as qu’envie de parler », se remémore l’avocate en devenir. Différences linguistiques oblige, alors que tous ne maîtrisent pas forcément la « darija », l’arabe dialectal marocain, les interventions étaient traduites en français, anglais et arabe. Ismaïl, un participant de l’édition de 2024, raconte en se marrant :

    « Les Franco-marocains, on était ceux qui se faisaient le plus chambrer de “zmagri”, parce qu’on est souvent ceux qui parlent le moins bien darija. »

    Une expression dérivée du mot français « émigré » qui désigne les MRE au Maroc. « Il y avait 72 pays représentés, des gens d’Afrique du Sud, d’Algérie, d’Allemagne, de Chine… Il y avait même une fille de Palestine et une autre d’Israël », complète sa camarade de promo de 24 ans, Oumaima, qui étudie pour devenir infirmière :

    « Ça été l’une des meilleures expériences de ma vie. Ça m’a rendue heureuse qu’ils prennent soin de nous alors qu’on vit loin de notre pays. Je me suis sentie tellement connectée au Maroc ! »

    Après le séisme dévastateur de septembre 2023, deux mois après l’université d’été, Inès a de nouveau fait le trajet de la Bretagne au Maroc, cette fois jusqu’à la région d’Al-Haouz, la plus sinistrée, où elle a passé dix jours. « On considère le Maroc comme les vacances, on kiffe puis on rentre chez nous. Mais on oublie parfois ce qu’il se passe là-bas alors qu’en vrai c’est notre devoir de l’aider. »

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    Documentaire sur 2M

    Un autre programme illustre cette volonté du gouvernement de consolider le lien du pays avec sa diaspora : « Morocco with purpose ». Lancé en 2022 par la binationale marocaine et canadienne Hiba El Aïdi, il est organisé en partenariat avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication du Maroc. La fondatrice du projet, jeune avocate du barreau de Québec dont les parents sont originaires de Fès, explique avoir eu l’idée pendant la pandémie du Covid-19 :

    « J’ai commencé à suivre des créateurs de contenu marocains, à voir le Maroc différemment à travers les yeux de cette jeunesse. »

    Le créateur de contenu Franco-marocain de 24 ans Sinan, @sinan_leptitmarocain sur Instagram, a participé à la troisième édition, en 2024 : « C’était incroyable ! Par exemple, on a découvert le Maroc institutionnel, en allant au Parlement. Quand t’es de la diaspora qu’est-ce que tu connais du système politique marocain ? » Le natif de Paris avait décidé de prendre une année sabbatique au Maroc pour apprendre la darija que son père ne lui avait pas transmise, avant que Hiba El Aïdi ne lui propose de rejoindre Morocco with purpose. Des documentaires sur ces aventures ont été diffusés sur la chaîne de télévision publique 2M. Pour Sinan, passer sur la chaîne qu’il regardait par-dessus l’épaule de son père quand il était ado, a été « une immense fierté ».

    Un accueil qui contraste avec l’ambiance politique et médiatique dans l’Hexagone. « D’un côté, on a une atmosphère oppressante en France avec un gouvernement qui parle de l’immigration comme si on était le problème et de l’autre le Maroc qui a compris que sa diaspora était une énorme richesse », fait remarquer l’influenceur.

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    Pour recevoir ses futurs ambassadeurs, le Maroc met les petits plats dans les grands. L’université d’été de Tanger s’est achevée avec un gala de clôture en grande pompe au bord de la piscine du complexe hôtelier, avec repas de traiteur, concerts, et drapeaux. / Crédits : DR

    Les services secrets aux manettes ?

    L’État chérifien, où la nationalité se transmet par la filiation, a toujours eu un lien particulier avec sa diaspora. Elle représenterait plus de 15% de la population marocaine. Dans les années 1960, des milliers de Marocains quittent leur pays pour servir de main-d’œuvre dans les usines ou étudier dans les facs françaises. Le monarque Hassan II, père de Mohammed VI, insiste sur le statut de sujets du roi de ceux qu’on désignait alors par le terme « Travailleurs Marocains à l’Étranger » (TME). C’est également une façon de maintenir une forme de surveillance sur ses ressortissants, alors que la torture et les disparitions d’opposants sont légion pendant ces « années de plomb ». En 1990, les questions relatives aux désormais « MRE » passent officiellement du giron du ministère du Travail à celui du ministère des Affaires étrangères.

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    Mais d’après le militant des droits de l’Homme Fouad Abdelmoumni, fin connaisseur des arcanes du pouvoir marocain, « le véritable pilotage des universités d’été n’émane pas du ministère des Affaires étrangères, mais de la DGED ». Selon lui, la Direction générale des études et de la documentation, dirigée par l’un des hommes forts du régime Yassine Mansouri, est l’instance qui gérerait toutes les actions à destination des Marocains de l’étranger influents… ou qui pourraient le devenir. Une mainmise des services secrets qui illustrerait le penchant autoritaire du Maroc, malgré la volonté affichée de tourner la page des années Hassan II. En 2020, l’affaire Pegasus a révélé que le régime avait surveillé de nombreuses personnalités tandis que plusieurs activistes et journalistes ont été emprisonnés. En mars dernier, le militant Fouad Abdelmoumni a été condamné par la justice marocaine à six mois de prison pour « diffusion de fausses informations », après une publication Facebook évoquant le logiciel espion Pegasus. Par précaution, un participant de l’université d’été sollicité par StreetPress a préféré décliner notre demande d’interview :

    « J’espère que tu comprendras. La presse et le Maroc, ce n’est pas facile. »

    Ambassadeurs du royaume

    « Vous êtes tous des ambassadeurs du Maroc dans votre pays de résidence », a tonné à sa jeune audience le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger le 9 juillet 2014, à Tanger, devant l’habituel portrait de Mohammed VI. Pour le régime, ces programmes à destination des binationaux sont un moyen de lutter contre la fuite de cerveaux, d’attirer des devises, de futurs investissements… et de former des représentants du pays diplômés et connectés. Un rôle que le Franco-marocain de 24 ans Ismaïl endosse avec enthousiasme : « On est heureux de l’être ! » Comme d’autres participants, ce diplômé en ingénierie industrielle a été recontacté après l’université d’été pour représenter le Maroc lors d’événements diplomatiques ou des salons. Le jeune start-upper se dit fier « d’avoir un roi qui a une vision » et met en avant le dialogue social qui serait permis au Maroc, « dans un espace démocratique sous l’égide de Sa Majesté ». Il assure que des « échanges très virulents » ont émergé pendant l’université d’été « sur des thématiques comme la langue amazigh ou l’islam. »

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    Faouzi Lekjaa, président de la fédération royale marocaine de football, intervient devant la promo de l'université d'été 2024 à Tanger. / Crédits : DR

    Il y a pourtant un point sur lequel les interventions ne laissaient pas de place au dialogue : le Sahara serait marocain. Une position sur laquelle Emmanuel Macron s’est récemment aligné, qui reste contestée par le droit international. Le Sahara occidental est l’un des derniers conflits colonial à ne pas être résolu. Dans les faits, le Maroc contrôle plus de 80% de ce territoire considéré comme non-autonome par l’ONU, tandis que le Polisario, soutenu par l’Algérie, en contrôle moins de 20%. Pour fourbir leurs arguments, les participants de l’université d’été de 2023 ont assisté à la conférence : « La cause nationale : processus de règlement onusien et les évolutions des chantiers de développement dans les provinces du Sud. » Pour ceux de l’année suivante, la variante : « Développement de la façade atlantique du Sahara marocain : une initiative royale pour un continent africain intégré. » Et, par-ci, par-là, des incitations à investir dans les villes contestées de Laâyoune et Dakhla, notamment dans l’immobilier.

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    Chaque année, le Maroc organise un séjour tous frais payés pour 300 étudiants de la diaspora, dont des dizaines de Franco-marocains. / Crédits : DR

    En 2023, « Morocco with purpose » a été jusqu’à reconstituer la « Marche verte » de 1975. « Imaginez la sensation qu’on a partagée avec les deux millions de personnes qui ont vu notre documentaire », s’émeut Hiba El Saïd, la fondatrice de ce projet monté en collaboration avec le gouvernement. Cette année-là, un Hassan II en proie à l’opposition avait mobilisé 350.000 Marocains pour marcher pacifiquement vers le Sahara que les Espagnols venaient de quitter. C’est depuis cette date que le Maroc a fait de la marocanité du Sahara la cause nationale au cœur de sa diplomatie.

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    « Le budget est inexplicable »

    Pour recevoir ses futurs ambassadeurs, le Maroc met les petits plats dans les grands. L’université d’été de Tanger s’est achevée avec un gala de clôture en grande pompe au bord de la piscine du complexe hôtelier, avec repas de traiteur, concerts, et drapeaux. « C’est le Royaume qui régale », publie l’un des participants dans l’une de ses stories Instagram en filmant une appétissante pastilla. Le Breton Mohammed, étudiant en finance de 21 ans dont les parents sont Tangérois, a halluciné en découvrant qu’il partagerait une chambre dans l’hôtel 4 étoiles Kenzi Solazur, qu’il sait être l’un des plus luxueux de la ville :

    « Ils nous en ont mis plein les yeux ! Je m’attendais pas à une aussi grosse qualité, le budget est inexplicable. Même en Europe ils n’arrivent pas à faire des événements d’une telle envergure. »

    Selon l’ancien secrétaire général de Transparency Maroc, Fouad Abdelmoumni, ces largesses s’expliquent par le commanditaire : « Lorsqu’une action est présumée venir du sommet de l’État ou est encadrée par le renseignement, il n’y a plus de contrainte budgétaire à prendre en considération. » Quitte à endormir l’esprit critique des participants ? En off, l’un de nos témoins admet :

    « J’avoue, le Maroc est très fort en propagande. »

    Illustration de Une de Joseph Colban.

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