Bois-Colombes (92), 16 octobre 2024 – Sur les coups de 19 heures, le maire Yves Révillon convoque un petit cercle de proches à hôtel de ville. Dans son bureau, huit hommes prennent place autour d’une grande table en bois. Comme à l’accoutumé dans ces réunions, alcool, whisky et bières sont de sorties. « Plus la soirée avance, plus les échanges deviennent vifs », se remémore Gaël Barbier, un élu local présent lors des discussions. Car ce jour-là, l’édile de cette riche commune des Hauts-de-Seine planifie sa succession. Après trente années passées à la tête de Bois-Colombes, Yves Révillon ne se représentera pas aux municipales de 2026.
Au cours de la soirée, plusieurs élus font part de leurs ambitions, mais un seul a les faveurs du maire : Pierre Crosnier Leconte, son adjoint à la planification des projets structurants, élu en 2020. Une figure qui représente « une droite très conservatrice », glisse un élu de la majorité, sous couvert d’anonymat. Une conseillère d’opposition renchérit sur ce profil « très gentil au demeurant » :
« Il est surtout très très conservateur. »
Militant Les Républicains (LR), Pierre Crosnier Leconte s’est impliqué au sein du Mouvement conservateur, anciennement Sens commun — une association de droite traditionaliste née sur les traces de La Manif pour tous. Un engagement confirmé par des publications Facebook, au moins jusqu’à la fin de l’année 2021. Affilié à LR, le Mouvement conservateur s’est rallié à la candidature d’Éric Zemmour en décembre 2021. De 2018 à 2024, le parti est présidé par l’eurodéputée Laurence Trochu, élue sous l’étiquette Reconquête, qui a trahi le parti avec Marion Maréchal-Le Pen lors des élections législatives anticipées. Tout naturellement, Pierre Crosnier Leconte a été de ceux qui ont manifesté dès 2013 contre l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Entre 2020 et 2021, la nouvelle tête de liste de la majorité s’est affichée à des manifestations organisées par « Marchons enfants », groupe issu de La Manif pour tous, pour s’opposer à la PMA pour toutes les femmes. Un projet de loi qui, selon lui, « révèle un changement de civilisation ».
À LIRE AUSSI : Assistants parlementaires du RN : la galerie des horreurs
La désignation de ce conservateur, qui n’a pas répondu aux questions de StreetPress, a provoqué une fracture dans la majorité locale à l’image de l’écartèlement qui alimente Les Républicains au niveau national : être en faveur d’une droite dure et conservatrice ou pousser pour un rapprochement avec le centre et la droite libérale ?
La fronde
Un début de fronde s’est mis en place dans la ville cossue du 92. Le conseiller municipal Gaël Barbier, en poste depuis 2014, a ainsi quitté la majorité pour créer un nouveau groupe, Agir pour Bois-Colombes, avec trois membres de la liste En Marche de 2020. « J’ai été le seul à m’opposer officiellement à la candidature de Pierre Crosnier Leconte », raconte cet ancien adjoint à l’urbanisme. « J’avais plaidé pour une ouverture de la liste vers le centre. Mais lui et Yves Révillon sont incontestablement anti-Macron. »
À LIRE AUSSI : On était à la soirée de Stérin et Bolloré qui veulent allier l’extrême droite à l’ultralibéralisme
Il a été suivi par un seul autre membre de la majorité : Aymeric Claussmann. Sur la place du marché de Bois-Colombes, autour d’un café, le jeune élu défend son choix : problèmes de gouvernance, choix de projets jugés « irrationnels »… Certains membres de la majorité lui semblent également « trop conservateurs ». Cet habitué de la paroisse Notre-Dame de Bon Secours raconte avoir été abordé à la sortie d’une messe :
« Un élu m’a demandé ce que je comptais faire pour les élections. Je le questionne sur le projet de Pierre. Il me répond que je dois les rejoindre car je suis chrétien. »
Aymeric Claussmann a refusé la proposition. Ce dernier affirme « séparer » son engagement de sa foi, « qui n’est pas un marqueur identitaire ». Une distinction loin de faire l’unanimité dans la majorité.
En 2024, des élus ont organisé une grande messe dans le parc des Bruyères à Bois-Colombes. Une quasi privatisation de l’espace public, qui a fait grincer des dents au sein des LR locaux : « Ça m’a choqué. Si cela concernait la cérémonie d’une autre religion, la décision aurait probablement été différente. »
Pas une dérive mais une « continuité »
Au sein de l’opposition bois-colombienne, les soubresauts de la droite locale laissent dubitatifs. « Gaël Barbier a quasiment tout voté durant les mandats », commente le conseiller municipal EELV David Mbanza. « Le côté droitier ne le gêne que depuis décembre. C’est un slogan de campagne. » Il ajoute :
« La désignation de Pierre Crosnier Leconte n’est pas une dérive droitière, c’est la continuité d’une liste qui a toujours regroupé des profils centristes et des personnes très conservatrices. »
À l’image de son successeur, Yves Révillon et certains de ses adjoints ont affiché leur opposition au mariage entre personnes de même sexe, et se sont rendus à La Manif pour tous. Le maire qualifiait d’ailleurs la loi de « scélérate », et la compare « aux lois de M. Pétain », « que des personnes ont refusé d’obéir » selon le compte-rendu du conseil municipal et le récit d’une élue d’opposition. Gaël Barbier confie : « Certains membres de la majorité refusent toujours de marier des couples homosexuels. » Une information confirmée par plusieurs élus.
Tous les conseillers municipaux interrogés par StreetPress ont également rapporté des propos à caractère raciste tenus par des élus de la majorité, y compris le maire, dans un climat de tolérance généralisée. Lors d’un vote concernant une subvention à l’association SOS Méditerranée (1), le 7 février 2023, l’élue de la majorité Anne-Christine Jauffret a critiqué les bateaux humanitaires, qui feraient « le jeu des passeurs ». Au même conseil municipal, Yves Révillon a déclaré que « s’il y a encore des gens qui veulent partir, c’est parce qu’il existe énormément de fraudeurs en Afrique ». Le dissident Gaël Barbier rapporte également à StreetPress qu’« un élu important » lui aurait demandé s’il n’avait pas « peur que ses enfants apprennent l’arabe dans l’école publique ».
L’édile Révillon s’est toujours montré très conciliant avec l’extrême droite durant ses mandats. Dans Bienvenue au Front, journal d’une infiltrée, de la journaliste Claire Checcaglini (éditions Jacob-Duvernet, 2012), il estimait qu’il y avait « une caricature du FN ». En 2022, dans un esprit « démocratique », Yves Révillon est le seul maire du 92 à donner son parrainage à la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle. « La proximité idéologique d’Yves Révillon avec l’extrême droite est réelle », affirme un élu de sa majorité, qui renchérit :
« Il a toujours été fan de Zemmour avant même qu’il ne devienne une personnalité politique. »
Contactés, le maire Yves Révillon et la conseillère municipale Anne-Christine Jauffret n’ont pas répondu aux questions de StreetPress.
(1) La subvention de 2.000 euros n’a pas été votée à 7 élus contre 24, dont l’opposition de Gaël Barbier.
Illustration de Une de Caroline Varon.
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER

