Aubervilliers (93), 14 heures – « Le pressing ! Jouez plus haut ! », s’époumonent les supportrices agrippées aux filets entourant les terrains du Five Villette, dans un brouhaha incessant. Tout l’après-midi, des footballeuses aux lacets arc-en-ciel, aux brassards avec les couleurs du drapeau LGBTQIA+ et aux maillots floqués « féministe » enchaînent les matchs devant des banderoles « Free Palestine » ou « Carton rouge aux oppresseurs ». Ici, le foot se veut politique.
Venues de toute la France, 230 personnes queer ont participé à la 9e édition de la coupe « Bernard Tapine ». / Crédits : Jeanne Gobin
L'idée de ce tournoi est de célébrer les « identités multiples ». / Crédits : Jeanne Gobin
Ce samedi 27 septembre, 230 joueuses queer venues de toute la France participent à la 9e édition de la coupe au nom décalé : « Bernard Tapine ». Anaïs, coorganistarice depuis deux ans avec Label Gouine, une association qui milite pour la visibilité lesbienne, résume :
« C’est plus qu’un tournoi de foot, c’est un vrai moment joyeux. C’est l’occasion de se retrouver et de créer des espaces “safe” pour la communauté. »
L’événement sur inscription — entre 70 et 100 euros — mélange le sport, la fête et le militantisme. Il rassemble autant des collectifs autogérés que des clubs affiliés à la Fédération française de football (FFF).
En lice cette année, il y a des nouveaux venus comme le collectif nantais Footoir. / Crédits : Jeanne Gobin
En lice en 2025, le club des Dégommeuses, composé en majorité de lesbiennes et de personnes trans, ou le FC Paris-Arc-en-ciel, club et association LGBTQIA+, mais aussi des nouveaux venus comme le collectif nantais Footoir ou le Madras, club de l’association afro-caribéenne Diivines LGBTQIA+. Seule condition : la mixité choisie. À la Tapine, il n’y a pas d’hommes cisgenres sur le terrain.
Le club des Dégommeuses est composé en majorité de lesbiennes et de personnes trans ; les hommes cisgenres ne sont pas acceptés sur le terrain. / Crédits : Jeanne Gobin
Pierrette, présidente de l'association afro-caribéenne Diivines LGBTQIA+ dont les membres font également partie de l'équipe Madras. / Crédits : Jeanne Gobin
Visibiliser la communauté queer
« Le Footoir, c’est le bordel », hurle l’équipe du même nom. Sur le terrain numéro 2, le collectif nantais exulte après sa première victoire. « Quand on a monté notre équipe, je me suis dit : “Imaginez, un jour, on joue avec les stars de Paris ?” Et je pensais à la Tapine », s’enthousiasme Léa, 29 ans. Le tournoi annuel est progressivement devenu une référence dans les milieux militants LGBTQIA+. « C’est un moment où l’on se célèbre dans la joie. On en a besoin dans les sphères militantes », résument Cha et Victoire de l’organisation.
Les membres des équipes abordent tous et toutes des lacets arc-en-ciel et des brassards avec les couleurs du drapeau LGBTQIA+. / Crédits : Jeanne Gobin
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« Et si on créait un tournoi où on n’est pas les dernières ? », se demandent en 2015, Baston et Courtoisie, l’équipe créée par une bande de potes lesbiennes. Alors en pleine période de la Manif pour Tous, où les militants contre le mariage homosexuel défilent chaque week-end armés de leurs pancartes aux slogans lgbtphobes, le groupe d’amies fan de ballon rond lance un tournoi amateur 100 % féminin :
« D’habitude, on était seules à jouer sur notre créneau de Five. Quand on a vu 100 personnes débouler pour la première édition, les mecs n’en revenaient pas ! Là on a compris que c’était politique. »
Anaïs de l'organisation est membre de Baston et Courtoisie, qui a lancé ce tournoi amateur 100 % féminin en 2015. / Crédits : Jeanne Gobin
Dix ans après son lancement, le tournoi amateur affiche complet avec 28 équipes venues de tout l’Hexagone. « D’année en année, on s’est rendu compte que c’était plus qu’une blague entre potes », explique Anaïs. Habituellement foulés par des hommes, les terrains sont aujourd’hui envahis par un « océan de gouines », rigole-t-elle.
Avec ce tournoi de football, c'est l'occasion de voir les terrains envahis par un « océan de gouines ». / Crédits : Jeanne Gobin
Et avec elles, des symboles. / Crédits : Jeanne Gobin
« Quand j’ai vu que cinq terrains étaient remplis de personnes queer, j’ai été ému·e », lâche Jim du Footoir. Sur le parking du Five, au milieu des accolades et des éclats de rire, on danse au rythme de Theodora et de Bad Bunny. Les joueuses défilent devant un photoshoot. Victoire, coorganisatrice explique :
« L’idée est de célébrer nos identités multiples et d’archiver ces moments. »
Certains ont le foot dans la peau. / Crédits : Jeanne Gobin
Sur le parking du Five, on danse au rythme des chansons de Theodora et de Bad Bunny. / Crédits : Jeanne Gobin
Plus inclusif
« Le tournoi est moins blanc qu’avant », constate Anaïs, qui a vu la coupe évoluer au rythme de la société. À l’image de Madras, l’équipe francilienne, dont les membres font partie de l’association afro-caribéenne Diivines LGBTQIA+, qui participe à sa première Tapine. Pierrette, présidente de l’association, a recruté ses camarades de manif’ et même Alice Coffin, élue écologiste au Conseil de Paris, militante lesbienne et ancienne membre des Dégommeuses :
« C’est aussi du foot afro-queer. On se réunit autour de valeurs d’amour et de partage. »
Alice Coffin, élue écologiste au Conseil de Paris et militante lesbienne, a participé à cette édition avec les Madras. / Crédits : Jeanne Gobin
Les membres de l'équipe de foot afro-queer, Madras. / Crédits : Jeanne Gobin
En 2021, le tournoi « féminin » devient en « mixité choisie » — sans hommes cisgenres — et cette année, une équipe de personnes trans, Transversale, est accueillie. « Ici, on est félicitées pour notre foot et le reste n’existe pas », confie Edda, qui a rejoint le Toofball Club de Caen (14), il y a un an. Elle ajoute :
« Je joue depuis mes 15 ans et j’ai connu l’ambiance toxique du foot masculin. »
Pour la première année, l'équipe de personnes trans, Transversale, est accueillie. / Crédits : Jeanne Gobin
Pour elle, « il faut profiter de ces instants rares où il y a plus de sororité que de peur ou de danger ». Depuis quelques années, la transphobie se classe dans le Top 3 des LGBTIphobies recensées par SOS Homophobie, qui comptabilise 371 témoignages d’agressions ou de discriminations en France en 2024.
Tout l'après-midi, les encouragements se font entendre. / Crédits : Jeanne Gobin
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Le rêve d’Edda ? Devenir la première femme trans à jouer en pro. Pour l’instant, leur accès au championnat FFF est encore restreint, la fédération exige que la personne ait changé son état civil.
Edda rêve de devenir la première femme trans à jouer en pro. / Crédits : Jeanne Gobin
Place à la fête
18 heures. La tension monte. Désormais, une défaite entraîne une élimination directe. Les premières séances de tirs aux buts font trembler les membres des équipes et le public. Clotilde, mégaphone en carton à la main, se présente comme la « mascotte humaine » des Futch 3000, une « équipe composée de 300 types de gouines en tout genre », qui tente de décrocher sa deuxième victoire à la Tapine, lance :
« La première fois que je suis venue, il y a quatre ans, j’ai été subjuguée de voir toutes ces lesbiennes réunies au même endroit. Je me suis dit qu’il fallait créer le KOP [tribune d’un stade où se réunissent les supporters d’un club de football, ndlr] qui va avec. »
Depuis, elle a ajouté une nouvelle pancarte « spéciale Tapine » à sa panoplie.
Clotilde est la « mascotte humaine » des Futch 300, une équipe de foot. / Crédits : Jeanne Gobin
20 h 30. Les allées du Five sont saturées pour assister à la finale opposant les Medusa SC, du nom de la figure antique devenue icône féministe, aux Futch 3000, qui l’emportent 4-1. L’heure est à la remise de prix. Les équipes repartent avec des goodies du tournoi : sticker Tapine et livret de Label Gouine mettant à l’honneur des coach de foot à l’identité queer. Le prix du « fairplay » est décerné au Footoir. Le gain de 100 euros est obligatoirement versé à une association. Cette année ce sera pour Paloma, une association nantaise accompagnant les travailleuses du sexe.
Le gain de 100 euros est obligatoirement versé à une association. Cette année ce sera pour Paloma, une association nantaise accompagnant les travailleuses du sexe. / Crédits : Jeanne Gobin
21 h 30, le Five Villette se transforme en dancefloor. Les maillots pleins de sueur laissent place aux habits de fête. Les corps fatigués connaissent un regain d’énergie. Au programme : (se) célébrer jusqu’au bout de la nuit, y compris pour la dizaine d’équipes restées sur la touche.
Cette année, pour la deuxième fois, ce sont les Futch 3000 qui l’emportent, 4-1, face aux Medusa SC. / Crédits : Jeanne Gobin
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