Chèvrerie du Ménérol, Saint-Martin-Sainte-Catherine (23) – « Ces fromages sont bons à aller en manif et à remplacer les pavés ! », lance Marion, la quarantaine, au sujet de ses tommes de chèvre affinées 18 mois. La propriétaire de la chèvrerie située dans les monts d’Ambazac, à cheval entre les départements de la Haute-Vienne et de la Creuse, fait visiter en cette matinée du 4 octobre son exploitation de 90 chèvres à une dizaine de personnes. Entre deux bêlements résonne l’hymne féministe « Debout les femmes ». À côté du bâtiment, abritée sous un chapiteaux jaune et bleu monté pour l’occasion, la chorale des Poupées gonflantes, composée d’une vingtaine de femmes, entonne des chants militants en chœur.
Marion héberge sur son site, perdu au milieu des champs, la deuxième édition du festival « Les Costaudes ». Organisé par une vingtaine de bénévoles via l’association éponyme, l’événement est gratuit après avoir été financé par des dons et deux subventions. L’édition souhaite visibiliser les violences conjugales en milieu rural – territoires où ont lieu 47% des féminicides –, créer du lien entre les femmes, rompre leur isolement et ainsi ramener les luttes féministes hors des grandes villes. Marion explique :
« Ce qui me plaît, c’est valoriser le travail des femmes dans les milieux ruraux, pour leur redonner de la place et leur faire prendre conscience qu’elles sont capables. »
Dans le Limousin — comme au niveau national — 30% des fermes sont tenues par des femmes, et dans 21% des cas, elles sont seules à gérer l’exploitation.
Malgré la pluie, la boue et une voiture embourbée sur le parking, le festival situé dans ce village d’un peu moins de 350 habitants a rassemblé près de 200 personnes sur la journée. / Crédits : Elisa Verbeke
Même les biquettes en ont profité ! / Crédits : Elisa Verbeke
Pour mettre en avant ces invisibles, la programmation 2025 se veut exclusivement féminine. Au programme : marché d’exposantes et de productrices locales, associations du cru, atelier mécanique en non-mixité et chorale féministe. Mais aussi une table ronde avec une sociologue sur la place des agricultrices dans le milieu rural, ou encore un théâtre de compagnie queer, et pour finir, un concert et DJ set — encore une fois féminins.
« Déromantiser la ruralité »
« Ma mère et ma grand-mère étaient agricultrices et se sont occupées de la ferme pendant des années, toutes seules », confie Boréale Mas de Feix. « J’ai eu la chance d’avoir des figures féminines très fortes autour de moi », ajoute-t-elle. À 28 ans, celle qui a grandi entourée de vaches décide de co-fonder l’association Les Costaudes en 2023 avec sa sœur et deux autres amies pour « ramener le féminisme à la campagne », alors que les événements militants se déroulent souvent dans des plus grandes villes. Celle qui est communicante et ancienne assistante parlementaire de la députée LFI Manon Meunier détaille :
« Il y a une vraie volonté de porter nos propres voix. Au moment où nous avons lancé le projet, on ne parlait quasiment pas des ruralités. »
Un moyen aussi « pour que les gens voient la réalité du terrain » et « déromantiser la ruralité ». Elle rit :
« Avec la pluie ce matin, ils voient vraiment ce que c’est d’être dans une ferme, sous la pluie, dans la boue, etc. »
Elise et sa petite fille Maïa ,qui viennent tout juste d’arriver, font la queue au stand maquillage. Elles habitent à 20km d’ici et sont venues via leur voisine, qui fait partie de l’organisation : « La programmation est très chouette, le sujet nous parle et le soutien aux associations locales est important ! »
Boréale Mas de Feix, une des cofondatrices de l'événément, a participé à créer l'asso Les Costaudes en 2023 pour « ramener le féminisme à la campagne », face aux événements militants plutôt citadins. / Crédits : Elisa Verbeke
Sur place, des personnes de tous les âges sont venues profiter de l'événement et du stand maquillage. / Crédits : Elisa Verbeke
Atelier mécanique
Le soleil a enfin remplacé la pluie. Au milieu du champ, un petit groupe de femmes accroupies dans l’herbe s’affaire à la réparation d’une vieille Renault Clio 1. À quelques pas d’elles, des hommes observent et commentent immobiles le changement de roue de la voiture. « Excusez-moi messieurs, mais c’est un atelier avec pas trop d’hommes », leur lance Véronique, aide à domicile et membre des Costaudes, un peu gênée mais sûre d’elle. Réponse lapidaire des inspecteurs des travaux finis :
« Ah, les chiennes de garde ! Bon bah, on se barre alors. »
Véronique, clé à pipe et traces de cambouis à la main plaisante amèrement :
« C’est en non-mixité parce que les hommes, en mécanique, c’est vraiment des cons ! Ils pensent tout savoir. »
Au milieu du champ, un petit groupe de femmes accroupies dans l’herbe s’affaire à la réparation d’une vieille Renault Clio 1, pour apprendre à changer des plaquettes de frein ou un disque. « Je n’ai pas été éduquée à faire ça », raconte une participante de 23 ans. / Crédits : Elisa Verbeke
Sous un chapiteau comble, après une table ronde entre sociologue et agricultrices, sont jouées plusieurs pièces de théâtre. / Crédits : Elisa Verbeke
Le but de cet atelier ? Apprendre aux femmes qu’elles peuvent, seules, changer des plaquettes de frein, une roue ou un disque. « Je me suis inscrite pour apprendre à le faire moi-même, car en tant que femme, je n’ai pas été éduquée à faire ça », raconte une participante âgée de 23 ans. Pénéloppe Mas de Feix, la sœur de Boréale — qui a travaillé dans des assos agricoles comme animatrice –, lui montre patiemment la graisse sur le disque de la roue et invite les autres participantes à le toucher. « Le festival n’est pas revendiqué comme féministe, même si, dans ses valeurs, il l’est. On ne veut pas être excluantes, car certaines personnes peuvent avoir peur du mot “féminisme” », prend le temps de préciser Boréale Mas de Feix, l’organisatrice :
« Il y a simplement des moments où certaines activités se déroulent sans les hommes, parce qu’on a besoin de ces espaces pour regagner confiance en nous-mêmes. »
200 personnes en ont profité
Pendant ce temps, sous le chapiteau, une table ronde est organisée avec Joane Chabassier, sociologue et deux agricultrices et productrices des environs sur le sujet de l’engagement des femmes sur leur territoire. Une trentaine de personnes est venue y assister. Puis, plusieurs pièces de théâtre sont jouées, sous un chapiteau comble. Un particulièrement apprécié est la pièce « Comment devenir riche », par la troupe queer basée en Creuse « La boucle de la boucle » que Boréale a rencontrée lors d’un séminaire féministe dans le même département :
« On a fait la programmation au bouche-à-oreille. Ces personnes galèrent à avoir des dates, c’est notre rôle de les programmer. »
Malgré la pluie, la boue et une voiture embourbée sur le parking, le festival situé dans ce village d’un peu moins de 350 habitants a tout de même rassemblé près de 200 personnes sur la journée.
L’édition souhaite visibiliser les violences conjugales en milieu rural – territoires où ont lieu 47% des féminicides –, créer du lien entre les femmes et rompre leur isolement. / Crédits : Elisa Verbeke
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER

