Plouégat-Guérand (29), Finistère, 8 novembre — Une cagoule surmontée de branches feuillues, un crop top destructuré et une jupe qui tombe jusqu’aux chevilles. Myosotis, perchée sur des plateformes d’une vingtaine de centimètres, se déhanche sur le remix d’un son IA, popularisé sur Internet. La drag queen adepte du tricot captive le public venu assister à la dernière date de la tournée 2025 des Joyaux de l’Arrée.
Les Joyaux de l'Arrée au complet avec les « précieux », de gauche à droite : Alan, Romain, Nombril du Monde, Myosotis, La Julie Pétrie et Tristan. / Crédits : Maud Veith
« C’est dans cette tenue que j’ai fait ma première scène ouverte drag à Brest », raconte Théo, son prénom dans le civil, la veille du spectacle, dans le salon de sa maison à Huelgoat (29), commune de 1.400 habitants au cœur des Monts d’Arrée, dans le Finistère. Ancien fleuriste en Moselle, il a grandi dans l’Est de la France avant de « tomber amoureux de Huelgoat ». Il a emménagé il y a trois ans et demi et exerce en tant que surveillant dans un établissement scolaire. Lors d’une précédente date, des élèves l’ont reconnu à la fin du spectacle :
« Depuis, tout le lycée sait que je suis drag queen et ça se passe bien ! »
C’est ici, entre les vinyles d’icônes comme Kate Bush, Britney Spears et Mylène Farmer, et l’intégrale en DVD de Jacques Demy et d’Agnès Varda, que les numéros et costumes de Myosotis ont été imaginés. Un avenir prometteur se dessine d’ailleurs pour la drag queen qui, à l’étage de sa demeure, aligne les projets en cours de confection : des moisissures en crochet « pour un prochain look de faune futuriste », un corset-papillon ou une cagoule d’inspiration corail, décrit le trentenaire avant de charger le coffre de sa voiture de ses costumes et accessoires. Une cagoule noire à paillettes surplombée de plumes de paon, une valise cabine rose et turquoise, une mallette à maquillage de plusieurs étages et quatre caisses en plastique d’où dépassent « les lots à gagner au cours de la soirée ».
Myosotis imagine ses costumes et numéros en s'inspirant des icônes comme Kate Bush, Britney Spears et Mylène Farmer. / Crédits : Maud Veith
Le véhicule traverse la forêt de Huelgoat et ses attractions touristiques : la roche tremblante, la grotte du diable et la mare aux fées. Plus haut à l’est, le massif montagneux des Monts d’Arrée déroule son paysage aride du centre Finistère avec ses collines en enfilade, bordées de fougères, d’ajonc et de bruyères. À quelques kilomètres à la ronde, on y trouve aussi bien le Mont Saint-Michel de Brasparts, l’un des points culminants de la chaîne des Monts d’Arrée, que le site nucléaire de Brennilis, où l’ancienne centrale est en démantèlement depuis 1985.
Chargée de plumes de paon, de maquillage, de vêtements à paillettes, Myosotis traverse la forêt de Huelgoat. / Crédits : Maud Veith
Au plus haut des Monts d'Arrée, en centre Bretagne, un paysage de collines et de fougères. / Crédits : Maud Veith
« Le weekend, tu es en porte-jarretelles »
Après s’être perdue sur la route de longues minutes, Myosotis, tout sourire, arrive enfin à La Dérive, ancienne scierie située à Pont-Menou, hameau isolé appartenant à la commune de Plouégat-Guérand. Elle retrouve Nombril du Monde, le nom de scène de Kevin, qui s’active depuis le début d’après-midi à transformer le hangar principal en salle de spectacle. Deux larges rideaux noirs, habillés d’une arche en dentelle blanche, délimitent l’espace scène des coulisses. Des fauteuils rouges de théâtre occupent les deux premiers rangs et des chaises dépareillées complètent le reste.
D'ordinaire, La Julie Pétrie assure l'installation du décor, cet après-midi, elle a juste le temps de se maquiller. / Crédits : Maud Veith
Le show peut débuter ! Tristan, un « précieux » distribue des feuilles de bingo. / Crédits : Maud Veith
La Julie Pétrie, Thomas dans le civil, assure d’habitude l’installation du décor. Mais en ce vendredi après-midi, le quadragénaire est retenu à sa boulangerie. Ses deux camarades se chargent donc d’installer et d’emballer des paquets cadeaux, un chariot de supermarché pour stocker le nécessaire à bingo et leurs « gros lots-lots », ainsi qu’une reproduction de « La Naissance de Vénus ». Nombril du Monde, la seule de la bande à posséder un utilitaire grâce à son métier de paysagiste, transporte les plus gros éléments du décor de son domicile aux scènes. « J’ai effectué mon chargement hier, entre deux averses, avec les branches et la débroussailleuse d’un côté et le décor de l’autre », se marre-t-elle. Avant de marmonner ses lignes de dialogues, elle ajoute :
« C’est à l’image de mon quotidien : la semaine tu plantes, tu tailles, tu débroussailles et le weekend, tu es en porte-jarretelles. C’est dur d’attaquer le lundi ! »
Tout est fait maison par les drag queens, aidées de leurs « précieux » assistants bénévoles, Tristan, Alan et Romain, qui complètent cette troupe attachée à son « drag rural et local ».
Myosotis, entourée de deux « précieux », est prête à faire le show. / Crédits : Maud Veith
Sortir de l’entre-soi
C’est en 2024 que l’idée de monter un spectacle en ruralité s’impose. « Myosotis m’a initiée à la couture et au maquillage drag », raconte La Julie Pétrie depuis le bureau de La Dérive reconverti pour l’occasion en loge. À quelques heures du spectacle, le visage recouvert de fond de teint, elle agite un éventail avec sa main manucurée pour faire sécher sa colle à faux-sourcils. « On a créé des personnages et des costumes et quand on a été prêtes, on a voulu se montrer sur des scènes ouvertes à Brest », poursuit celle qui, dans la vie civile, tient une boulangerie à Botmeur, depuis 2022.
La Julie Pétrie tient, dans la vie civile, une boulangerie à Botmeur, depuis 2022. / Crédits : Maud Veith
En décembre, une association locale propose à Myosotis et à La Julie Pétrie de jouer un spectacle programmé pour février. « Nombril du Monde, qui vient du théâtre et de la mise en scène, a relié nos numéros et a créé une histoire. » Le public répond présent, et l’organisation doit même laisser des gens à l’entrée, faute de place. Le bouche-à-oreille fonctionne et Les Joyaux de l’Arrée sont contactées pour une dizaine de dates de Morlaix à Châteaulin en passant par Saint-Jean-du-Doigt et Plestin-les-Grèves « face à un public d’estivants », se souvient Nombril du Monde.
Myosotis, habillée d'un crochet fait main, parodie Josiane Pichet connue pour sa danse de la forêt. / Crédits : Maud Veith
« C’est peut-être contradictoire mais le milieu du drag ne m’attire pas du tout », précise l’intéressée, originaire des Côtes-d’Armor et installée à Botmeur après avoir suivi une formation en arts dramatiques au conservatoire de Rennes et vécu à Paris et à Lyon. « Je n’avais pas envie qu’on joue dans les grandes villes bretonnes où il existe une scène drag imprégnée des codes à la “Drag Race”. C’est une émission que je trouve capitaliste, consumériste et peu inclusive. Il faut avoir la plus belle tenue, le plus beau maquillage, être la plus belle drag pour poster la plus belle photo sur Instagram », juge Nombril du Monde. Elle précise :
« Quitte à faire du drag, je veux y voir des bourrelets, faire avec ce qu’on a car tout n’est pas iconique, légendaire, publicitaire. »
C’est ainsi qu’en guise de décor, les Joyaux de l’Arrée ont misé sur le minimalisme et, pour la mise en scène, la proximité avec le public. Avec cette volonté de proposer un show familial, accessible à tous et à toutes et, surtout, de sortir de l’entre-soi. « Notre projet est politique sans avoir besoin d’une pancarte », précise Théo, après avoir appliqué sur ses pupilles des lentilles vertes lui faisant un regard inquiétant de fée des bois :
« Dans notre spectacle, le drag n’est pas un sujet, on le normalise. Cela me fait beaucoup de bien car je ne me reconnais pas toujours dans les luttes. Avec le drag, j’ai trouvé ma place. »
Entre tradition et ruralité
Alors que dans les loges, les drag queens appliquent leurs dernières touches de maquillage, la salle se remplit. Tristan, Alan et Romain distribuent des grilles de bingo. Quelques proches occupent le premier rang. Une poignée d’habitués se saluent, accoudés devant un large tonneau faisant office de bar. Le reste ? Des non-initiés au drag, alliés ou non à la cause LGBTQ+, ainsi que des enfants. « Nous n’avons jamais eu de problème », assure le trio tandis que Kevin évoque la spécificité de ces territoires isolés bretons où « le troc est monnaie courante et les différences n’empêchent pas de faire société et de vivre ensemble ».
Initiés au drag ou non, alliés à la cause queer ou non, tous les spectateurs font « société » ensemble le temps du spectacle. / Crédits : Maud Veith
« Il y a des ruralités », abonde l’interprète de La Julie Pétrie. « En Bretagne et plus spécifiquement dans les Monts d’Arrée, il est certainement moins difficile de vivre en tant que queer qu’ailleurs en France », pose-t-elle avant d’évoquer le « tissu associatif solide » avec « des lieux qui peuvent nous accueillir et qui partagent nos valeurs » :
« Nous-mêmes, en dehors du drag, sommes implantés dans les activités culturelles et les associations locales. »
Performances de lipsync, bingo et jeux de mots… Les Joyaux de l’Arrée reprennent des classiques de la tradition drag et y insufflent leur spécificité : des musiques originales et « Questions pour un Breton », format interactif inspiré de jeux populaires télévisés. Sur la scène improvisée de La Dérive, un adolescent, un père et sa fille ainsi que deux autres concurrentes répondent à des questions de culture générale sur la Bretagne et les Monts d’Arrée. Le tout est animé par Nombril du Monde et son personnage de « Jean-Pierre Fouqueer », chef d’orchestre d’une troupe qui termine son show avec une standing ovation.
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