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    17/12/2025

    « On n’est pas des voleurs, on est des travailleurs »

    Une centaine d’exilés occupe la Métropole de Grenoble pour être relogés

    Par Yannis Angles , Margaux Houcine

    Depuis un mois, plus de 150 exilés occupent le siège de Grenoble Alpes Métropole, accompagnés par des militants du droit au logement, pour réclamer une solution d’hébergement après les expulsions menées par le bailleur social Actis.

    Grenoble (Isère), 1er décembre — « On n’est pas des voleurs, on est des travailleurs », lance Mohamed Fofana, 35 ans, secrétaire général de la CGT des livreurs à vélo, chasuble du syndicat sur le dos. Sa voix résonne dans le dortoir improvisé dans les locaux de la Métropole de Grenoble (38). Depuis le 19 novembre, le siège de la collectivité est occupé jour et nuit par plus de 150 personnes, dont une majorité de familles. Tous protestent contre les expulsions menées ces dernières semaines par le bailleur social Actis, détenu et administré par Grenoble Alpes Métropole.

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    De nombreuses personnes se sont vues expulsées de leur logement loué par le bailleur social Actis, détenu et administré par Grenoble Alpes Métropole. / Crédits : Margaux Houcine

    « On a décidé de se mobiliser pour obtenir une solution de relogement pour l’ensemble des occupants », raconte Mohamed Fofana. Comme lui, les locataires expliquent n’avoir jamais versé de loyer directement à Actis mais à des marchands de sommeil. En apprenant qu’ils étaient dans l’illégalité, certains sont partis, les autres ont arrêté de payer. Ils ont fini par être expulsés. Tous ont trouvé refuge ici, en espérant se rendre visibles pour réclamer un relogement digne.

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    Depuis un mois, plus de 150 exilés occupent le siège de Grenoble Alpes Métropole. / Crédits : Margaux Houcine

    Marchands de sommeil

    « Je payais, je pensais donc que c’était légal », affirme Aboubacar, arrivé en France en 2023 à 25 ans. Le livreur à vélo, sans-papiers, louait une chambre à un marchand de sommeil à la Villeneuve — un quartier au sud de Grenoble — dans des appartements appartenant à Actis. Il décrit :

    « 150 euros par semaine pour une chambre, alors qu’on n’avait ni chauffage ni électricité. On avait de l’eau par intermittence. »

    « Quand on a su que c’était illégal, on a décidé d’arrêter de payer le loyer », confie Adama (1), assise à côté de son matelas posé à même le sol. Dessus, sa fille de 19 mois est absorbée par des dessins animés. Guinéenne, Adama est arrivée en France il y a deux ans, après avoir fui un mariage forcé : « Je voulais épouser mon compagnon de l’époque, mais ma famille a refusé parce qu’on n’était pas de la même caste. » Les yeux fixés sur son enfant, elle raconte avoir tout tenté pour faire accepter cette union, jusqu’à tomber enceinte pour forcer la décision. Elle a dû partir seule. Son parcours l’a menée du Mali à l’Algérie, en passant par la Tunisie, puis par l’Italie avant de rejoindre Grenoble « un peu par hasard ». Un trajet de plusieurs mois, dont elle préfère taire les détails.

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    Du Mali à l'Algérie, en passant par la Tunisie et l'Italie, Adama, Guinéenne, est arrivée en France il y a deux ans. / Crédits : Margaux Houcine

    Adama a vécu près d’un an dans la rue avec sa fille et son conjoint rencontré en France, avant de tomber entre les mains de marchands de sommeil. « La nuit, on dormait sous les ponts ou dans les parcs. La journée, je la passais dans les transports en commun avec ma fille pour qu’on soit au chaud », dit-elle. Comme beaucoup d’exilés guinéens dormant au siège, les deux parents ont vu leur demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Adama a engagé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, afin de contester cette décision.

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    « Retournés à la rue »

    « Un jour, notre propriétaire est venu et a essayé d’entrer chez nous, armé d’un couteau, pour nous réclamer les loyers qu’on refusait de lui payer », raconte encore, sous le choc, Mam, une autre personne installée dans un coin du dortoir. Quelques jours plus tard, elle et son conjoint, tous deux originaires de Guinée, quittent les lieux avant l’expulsion menée par la police le 18 novembre. « On est retournés à la rue. J’ai pu être hébergée quelques jours chez le petit frère de mon mari avant de le rejoindre dehors », se souvient-elle. Ensemble, ils ont tenté d’obtenir une solution de relogement auprès d’Actis « mais ils ne voulaient rien nous proposer ».

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    Depuis fin novembre, occupants et militants demandent la réquisition de l'ancienne cité U du Rabot, fermée cet été. / Crédits : Margaux Houcine


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    Situé sur les hauteurs de Grenoble, le bâtiment compte plus de 521 chambres. / Crédits : Margaux Houcine

    Contacté par Streetpress, le bailleur rejette le terme d’« expulsion ». « Nous sommes dans le cadre d’une évacuation de squat qui obéit à des règles juridiques différentes », explique Pierre Bejjaji, président du conseil d’administration d’Actis. En cas d’occupation illicite d’un logement sans droit et sans titre, le bailleur social et les forces de l’ordre peuvent en effet engager une procédure d’évacuation, même durant la trêve hivernale. Pierre Bejjaji affirme que quatre familles ont été évacuées et relogées par l’État et la Métropole. Il reconnaît toutefois que certaines se sont retrouvées à la rue à la suite de ces opérations mais tient à préciser que « l’hébergement d’urgence relève de la compétence de l’État, et pas d’un bailleur social ». La préfecture n’a pas répondu.

    « Réveiller tout le monde »

    Dans un coin du dortoir, les enfants en bas âge transforment les matelas repliés en un trampoline de fortune, sautant et riant. Certains occupants tentent de récupérer quelques heures de sommeil après des nuits trop courtes, épuisés par quatre semaines d’occupation et de lutte. « Les enfants tombent malades chacun leur tour. On peut parler d’une vraie épidémie, et après eux, ce sera nous », raconte Mam, avachie sur une montagne d’affaires rangées dans des sacs. Âgée d’une trentaine d’années, elle souffre de maux de tête récurrents : « Il y a beaucoup de tout-petits qui ne font pas encore leurs nuits, et il suffit qu’un seul se réveille pour réveiller tout le monde », explique-t-elle en se massant le crâne.

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    Dans le dortoir improvisé au siège de la Métropole de Grenoble, de nombreux enfants en bas âge crient et jouent en sautant sur des matelas de fortune. / Crédits : Margaux Houcine

    Mam n’a pas seulement perdu un logement mais aussi son lieu de travail : « J’utilisais l’appartement la journée comme salon de coiffure car je fais des tresses. » Aujourd’hui, elle s’efforce de ne pas perdre la main en coiffant gratuitement ses camarades, improvisant dans le dortoir un salon de coiffure. À ses côtés, ses compagnons de galère acquiescent en entendant son récit.

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    Les conditions de vie sont particulièrement difficiles pour les plus de 150 occupants car il n'y a que deux toilettes, pas de salle de bain et pas de cuisine. / Crédits : Margaux Houcine


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    La température ne va pas au-delà de 15 degrés dans le dortoir. / Crédits : Margaux Houcine

    Les conditions de vie sont particulièrement difficiles pour les plus de 150 occupants. « On n’a que deux toilettes, pas de salle de bain, pas de cuisine », détaille Aboubacar, assis sur une chaise dans le couloir où il vit depuis bientôt trois semaines. Lui ne dort pas dans ce dortoir improvisé par les nouveaux occupants du siège de la Métropole. Par manque de place, il a dû s’installer dans ce couloir entre la sortie et la salle principale. « Il fait froid la nuit, je me retrouve entre la porte d’entrée qui ne ferme jamais et le dortoir », dit-il, emmitouflé dans une grosse doudoune, alors que la température ne dépasse pas les 15 degrés en journée.

    Maintenir la pression

    « Des logements pour qui ? », lance Mohamed Fofana. « Pour tout le monde ! », répondent en chœur les occupants réunis autour de lui. Les slogans résonnent sous les plafonds de la Métropole. Une nouvelle manifestation s’organise pour demander, une énième fois, au maire de Grenoble Éric Piolle de mettre en œuvre l’engagement pris en mai dans un autre contexte : à savoir réquisitionner les logements vacants. Les chasubles passent de main en main, d’autres apposent des stickers « droit au logement » sur leurs vestes. Les occupants se rendent une nouvelle fois devant la mairie, à quelques mètres de là, pour rencontrer les élus de la ville.

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    Leur volonté est de se faire entendre par le maire de Grenoble qui avait pris l'engagement, dans un autre contexte, de réquisitionner des logements vacants. / Crédits : Margaux Houcine

    « Il ne faut pas que la pression redescende », souffle Mohamed. Contactée, l’adjointe à la précarité de la ville en charge du dossier, Céline Deslattes, n’a pas répondu. Du côté de la Métropole, aucun commentaire officiel pour le moment. Toutefois, selon nos informations, elle se montrerait plutôt accommodante envers ses occupants et aurait d’ailleurs rejeté, dès les premiers jours, la proposition de la préfecture d’évacuer les lieux par la force.

    Dormir dans une ancienne cité U

    Tous gardent l’espoir d’être relogés en urgence. Depuis fin novembre, l’association d’aide au logement de l’Isère — DAL38 — et les occupants réclament la réquisition de l’ancienne cité universitaire du Rabot, un vaste bâtiment du Crous, fermé définitivement cet été, situé sur les hauteurs de Grenoble, qui compte plus de 521 chambres. « Elle fait partie des solutions possibles pour reloger dignement les occupants et les occupantes avec leurs enfants », affirme Raphaël, membre du DAL38.

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    La Métropole a rejeté la proposition de la préfecture d'évacuer les lieux par la force. / Crédits : Margaux Houcine

    Toujours selon les militants, les logements sont vides depuis l’été mais « sont toujours chauffés. Il y a largement de quoi mettre à l’abri toutes ces familles », continue Raphaël. Contactée au sujet de cette proposition, la préfecture de Grenoble n’a pas répondu. Le 18 décembre, les militants et les occupants renfileront leurs chasubles pour une nouvelle manifestation avec l’espoir d’être enfin entendus par les services de l’État pour qu’une solution se dégage rapidement.

    (1) Le prénom a été changé.

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