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    09/04/2012

    Paul-Henri, 26 ans, jeune chômeur de la semaine

    « Ne plus être au chômage, c'est renoncer à mon idéal de vie »

    Par Elodie Font

    Paul-Henri est au chômage depuis près d'un an mais il y voit peu d'inconvénients. Son idéal ? Un job à mi-temps, pour continuer à retaper la maison de son grand-père. D'ailleurs il ne serait pas contre « l'abolition de la valeur travail. »

    Paul-Henri est de passage à Paris, une ville qu’il connaît par cœur pour y avoir étudié longtemps. Il est 11h du mat’ et, après avoir regardé sa montre en rigolant, il commande une bière. « C’est l’heure de l’apéro, non ?! » Dans trois heures, il passe un entretien dans une boîte qui l’intéresse. Pas de quoi le stresser : pour Paulo, comme ses amis le surnomment, le chômage n’est pas une tare, c’est plutôt un temps de cerveau disponible pour bricoler et profiter de la campagne mayennaise, où il a élu domicile en septembre dernier. Quatrième de notre série, Paul-Henri sourit en mimant la tête de ses interlocuteurs quand il leur avoue qu’avec deux diplômes d’ingénieurs, il est au chômage depuis près d’un an.

    ASV (Age, sexe, ville, remember Caramail) Paul-Henri, homme, près de Craon, en Mayenne. Le premier mai prochain, ça me fera un an de chômage… Un an… Vu comme ça, c’est impressionnant. Avant, j’habitais à Marne-la-Vallée, en région parisienne. J’étudiais en alternance entre Valeo et une école d’ingé.

    Pendant plusieurs mois, honnêtement, je n’ai pas vraiment cherché d’emploi. Je regardais un peu les annonces le matin, je me disais : « j’ai quand même deux diplômes d’ingénieur, je vais bien finir par trouver. » Bon, il s’avère que c’est un petit peu plus compliqué !


    [La carte des street chômeurs]

    Ton activité la plus récurrente ? Retaper la vieille ferme de mon grand-père, dans laquelle je vis avec ma copine, en Mayenne. J’ai toujours été bricoleur – là je viens de refaire tout le mobilier de ma cuisine. En fait, très vite après la fin de mes études, on est partis s’installer là-bas. C’était un projet qui nous trottait dans la tête depuis un moment, même si honnêtement je ne pensais pas qu’on franchirait le pas. Et puis, quand mon appart à Marne-la-Vallée a été mis en vente, et que le CDD de ma copine n’a pas été renouvelé, on s’est lancés.

    J’avoue, je passe plus de temps à bricoler, à jardiner, à nourrir mes poules qu’à chercher du boulot. Je le revendique même. J’ai lu un bouquin, je ne sais plus le titre, je crois que c’est « Perdre sa vie à la gagner » (ndlr : ne pas perdre sa vie à la gagner, de Baptiste Mylondo), qui prône l’abolition de la valeur travail. Je trouve que la société met une pression considérable sur les chômeurs. Je ne suis pas militant, hein, mais hédoniste. C’est génial de vivre comme un retraité !

    A quoi t’as renoncé ? À une vie sociale ! Haha ! C’est vrai qu’en Mayenne, on s’accroche un peu à tous les gens qu’on croise en espérant qu’ils deviennent nos amis. Et puis si je veux aller boire une bière avec un pote pour parler de bricolage, bon, c’est pas trop possible. C’est pour ça que j’ai quand même envie d’avoir un emploi : pour avoir une vie sociale et pour savoir quoi répondre quand je croise quelqu’un qui me demande où je bosse. Parce que c’est rare que les gens comprennent mon mode de vie. Je sens direct les regards réprobateurs.

    Mais c’est comme ça : pour moi, ne plus être au chômage, c’est renoncer à mon idéal de vie. Même si je sens bien que, mois après mois, la pression monte. Je peux encore recevoir des allocs pendant un an (comme je bossais en alternance), mais j’ai de plus en plus de potes qui me disent de faire gaffe, que je commence à sortir du circuit. Comme je fais un métier technique, je ne peux pas me le permettre.


    Paul-Henri | Street CV

    Paul-Henri, 26 ans, Craon (Mayenne), permis B
    Etudes : 7 ans d’études, 2 diplômes d’ingénieurs. Diplôme généraliste aux Arts et Métiers puis, en deux, une formation d’ingénieur informaticien à Orsay.
    Expérience pro : Alternance chez Valeo
    Poste recherché : Développement de logiciels/industrie dans petites boîtes

    C’est rare que les gens comprennent mon mode de vie. Je sens direct les regards réprobateurs

    Ton petit plaisir grâce au chômage J’en ai beaucoup. Je prends le temps, je n’ai aucune obligation, j’occupe ma journée comme je rêve de l’occuper. Je m’occupe de mes animaux – on a un bouc depuis deux jours… Si j’ai la malchance de trouver un boulot, je n’aurai pas le temps de tout faire… L’idéal, ce serait d’être à mi-temps mais faut pas rêver.

    Le job le plus débile proposé par Pôle Emploi ? J’ai pas d’idée d’offre vraiment stupide… Sincèrement, ils m’envoient des propositions qui ne sont pas aberrantes, mais le truc, c’est que généralement, c’est à 3h d’ici, et je ne suis pas très mobile. Mais bon, ça, ils y peuvent rien.

    Ce que le chômage a changé en toi ? En moi, rien du tout, j’ai toujours eu le même état d’esprit. Par contre, au niveau du taf, j’ai réduit mes exigences. Notamment au niveau du lieu : j’ai élargi le périmètre dans lequel je cherche. Tant pis si c’est à une heure de route. Le problème, c’est que quand t’habites à la campagne, tu fais vite beaucoup de kilomètres et ça te coûte super cher. Pareil pour le chauffage, on a dû apprendre à avoir froid. Ça, ça a changé en moi ! Bon, après, on n’a jamais eu un train de vie très élevé, donc j’ai pas l’impression de franchement me priver.

    Par contre, le chômage a eu plus de conséquences sur ma copine : elle ne veut plus du tout faire le même métier. Avant, elle était animatrice, aujourd’hui, elle veut devenir agricultrice.

    Son conseil ? Ne pas se dire qu’on est un poids pour la société. Ça va, hein, la société fonctionne aussi avec des chômeurs. Le cancer de la société, franchement ce n’est pas nous. Je coûte quoi ? 800 € par mois ? Et encore, je ne sais même pas si on peut dire ça, parce que la quasi-totalité de cette somme, je la dépense ! Arrêtons avec les chômeurs !

    C’est génial de vivre comme un retraité !

    J’avoue, je passe plus de temps à bricoler, à jardiner, à nourrir mes poules qu’à chercher du boulot

    Edit du 10.04.12: StreetPress a porté chance à Pierre-Henri (ou alors il s’est porté chance à lui-même !). L’entretien qu’il passait juste après cette interview s’est révélé être positif. Et hop, un de moins sur la liste de Pôle emploi. Bravo ! Et bon courage pour mêler vie à la campagne et vie professionnelle.

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