Notre webdoc Haïti: Retrouvez la partie 1 Do you speak logbase, la partie 2 Laisse béton, la partie 3 « Moi avant j’étais chef », la partie 4 Camp Durable, la partie 5 Une génération sacrifiée et la suite à venir sur StreetPress
Dix heures du matin, au croisement de Delmas et de l’avenue Martin Luther King à Port-au-Prince. Des femmes sont assisses à même le sol, à leurs pieds des bassines multicolores remplies de fruits. Sous une chaleur déjà insoutenable, les transactions vont bon train. On ne négocie pas trop malgré les prix élevés. Le long de l’avenue Delmas on trouve de tout : meubles, chaussures, vêtements, nourriture, médicaments, essence, gazinières…
Les vendeurs ambulants de retour
« Dans les jours qui ont suivi le tremblement de terre, les commerces se sont très vite réinstallés un peu partout dans les rues. On ne trouvait pas de tout bien sûr, mais j’arrivais à me fournir correctement », raconte Lionel, cuisinier à Port-au-Prince. Malgré un pays en ruine, les Haïtiens ont immédiatement fait preuve d’une capacité à restaurer des apparences de normalité impressionnantes. Une fois les rues débouchées, les vendeurs ambulants se sont réinstallés aux carrefours stratégiques de Port-au-Prince. Dans les campagnes, les étals des marchés se remplissent de jours en jours même s’il manque encore de tout.
Les prix ont quadruplés
« Ici tout coûte de plus en plus cher. Les prix sont exorbitants » se plaint une vieille femme au regard vif, dans une rue de Léogâne, ville de 60.000 habitants à une heure et demie au sud de Port-au-Prince et située à seulement quelques kilomètres de l’épicentre.
Et pour cause, depuis le séisme les prix ont quadruplés, voire parfois été multipliés par dix. Plus de deux dollars le gallon d’essence (3,5 litres) sur le marché informel. Inaccessible pour la plupart des Haïtiens surtout lorsqu’on sait que le salaire quotidien avoisine les deux dollars et demi en moyenne.
« Comme si rien ne s’était passé »
Mais ça et là comme si rien ne s’était passé, l’activité reprend. Entre deux maisons en ruines, des réparateurs de motos s’affairent à réparer le mode de transport favori des Haïtiens, du moins ceux qui peuvent encore se le permettre. Des vendeurs de pochettes d’eau haranguent à la criée, des porteurs ambulants proposent toutes sortes de médicaments à prix d’or et les stands de T-shirt ont refait leur apparition le long des artères des villes.
A l’entrée des camps, les vendeurs d’électricité
Plus étonnant, à l’entrée des camps de déplacés, des jeunes hommes équipés d’un générateur et d’une batterie proposent pour une poignée de gourdes, la monnaie nationale haïtienne, de recharger leurs appareils électriques : portables, réveils, radios portatives et même caméscopes. Des camions chargés de sacs de ciment commencent déjà à approvisionner certains quartiers de Port-au-Prince. Et hissés sur des échafaudages incertains, des ouvriers s’attèlent à la consolidation de certains bâtiments faiblement endommagés.
De « véritables fortunes » se contruisent
« Certains sont en train de bâtir de véritables fortunes », constate un Haïtien employé par une ONG internationale. « Ceux qui connaissent des douaniers font importer des voitures des Etats-Unis pour les revendre ici à des sommes insensées », explique-t-il.
« Les gens récupèrent les métaux dans les décombres »
Mais la reprise économique n’est pas en ligne de mire pour tous les Haïtiens. La plupart de ceux qui avaient la chance d’avoir un emploi officiel l’ont maintenant perdu. Les écoles, les hôpitaux, les bâtiments administratifs et les infrastructures routières ont durement été touchés par « l’événement ». Doux euphémisme pour une catastrophe qui a mis à plat une économie déjà au bord de l’asphyxie avant le séisme. Beaucoup de policiers et de membres de la garde présidentielle ont perdu leur emploi et sont maintenant chauffeurs ou agents de sécurité pour les organisations internationales arrivées en masse.
Mais tous n’ont pas eu cette chance. Alors pour beaucoup, c’est l’économie de la débrouille qui fait légion. Vendre ce que l’on trouve pour survivre. Il n’est pas rare de voir des jeunes hommes avec une scie essayer de récupérer ce qu’ils peuvent de métaux dans les décombres d’immeubles. Le marché informel est en plein essor. Quoi de plus normal dans une économie de survie. Alors les sacs de riz de l’aide alimentaire trônent fièrement en bord de route sur les stands de marchands qui les revendent quelques dizaines de gourdes le kilo.
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L’Etat haïtien toujours logé dans du préfabriqué
Mais le plus alarmant pour la reprise économique demeure la chute de l’état haïtien. Les structures de pouvoir ont été décimées. Les ministères sont à terre, du personnel manque à l’appel et les jardins de la Primature (palais du gouvernement) se sont transformés en un immense camp de fortune. L’affaiblissement de l’Etat pose le problème de l’ingérence étrangère dans la reconstruction du pays. « Si l’aide internationale ne donne pas les moyens à l’Etat haïtien de prendre en mains l’avenir de la reconstruction du pays, Haïti replongera dans le chaos et la misère chronique », constate amèrement le conseiller commercial et économique du Premier ministre. L’homme, ordinateur portable sur les genoux, est assis sur une chaise au milieu d’un préfabriqué situé dans les jardins de la Primature. Comme un symbole d’un pouvoir décimé, il poursuit : « Aussi bien intentionnés que peuvent l’être les étrangers, la reconstruction doit se faire de concert avec le peuple haïtien pour éviter un nouveau pillage de l’économie nationale, mais surtout afin de développer les capacités de l’économie haïtienne sur le long terme ».
Le redressement économique est aussi à ce prix. Mais déjà, des compagnies dominicaines et internationales se placent pour l’acquisition des marchés de la reconstruction. Télécommunications, énergies, textile, transports… Dans un marché haïtien béant, la chasse est aujourd’hui ouverte.
Voir aussi :
Partie 1: Do you speak logbase
Entre beaux gosses bronzés et spaghettis auto-chauffantes, le kit de survie de l’humanitaire dans la logbase de Port-au-Prince
Partie 2: Laisse béton
En Haïti, la vie « comme si rien n’avait jamais eu lieu »
Partie 3: Moi avant j’étais chef
Chômage et déclassement en Haïti, où les ONG croulent sous les CV
Partie 4: Camp Durable
Dans le camp de la mairie à Léogâne, le film de ce soir chez Greg Ciné, c’est 2012
Partie 5: Une génération sacrifiée
Dans les ruines de l’université de Quisqueya, à la recherche d’un diplôme
Et la suite du webdoc à venir sur StreetPress
Source: A Port au Prince, Gaylord Van Wymeersch | StreetPress
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