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    05/09/2012

    « Bon ben, on n'a pas pu l'inscrire, ils nous ont dit de revenir jeudi »

    A Saint-Denis, la rentrée compliquée des jeunes Roms

    Par Emma Paoli

    A l'école des Francs-Moisins, celle des Cosmonautes ou à Jolliot-Curie, les mamans de plusieurs dizaines d'enfants Roms essayaient mardi d'inscrire leurs enfants dans les écoles de Saint-Denis (93).

    Saint-Denis (93) – « Bon ben, on n’a pas pu l’inscrire, ils nous ont dit de revenir jeudi ». Aïe ! Chou blanc pour Marie*. Mardi 4 septembre, pour la rentrée scolaire, la jeune militante de 25 ans, accompagnait le petit Marius – 4 ans – et sa maman pour son inscription en classe de maternelle à l’école des Francs-Moisins, à quelques mètres du Stade de France.

    Les problèmes de traduction et les deux heures de retard sur l’heure de la rentrée ont eu raison de la bonne volonté de la famille de Marius : « C’était impossible pour l’école de communiquer avec la maman », regrette Marie. Marius reviendra donc jeudi avec sa mère, et peut-être un traducteur franco-roumain, pour inch’Allah réussir sa rentrée des classes et formaliser son inscription.

    Camp Voltaire Quelques heures plus tôt, mardi matin, une petite dizaine de bénévoles s’était rendue à 8h à l’entrée du camp Voltaire, installé il y a à peine 6 mois à proximité de la cité des Cosmonautes. Le terrain – raccordé à l’eau et à l’électricité – a été cédé par la préfecture pour une durée renouvelable de 3 ans. Avec des baraques en préfabriqué, des douches et des sanitaires financés par la mairie de Saint-Denis.

    Armée des convocations de rentrée envoyées par la mairie, les bénévoles venaient accompagner dans leurs écoles respectives les 44 enfants du village. Mais sur place, beaucoup de jeunes manquent à l’appel. Yves Lavergne, membre du Réseau 1427 (date d’arrivée des Roms sur le territoire français, ndlr) qui milite pour l’intégration de la communauté Rom en France, explique la raison de l’oubli :

    « La plupart d’entre eux ne sont pas allés en cours depuis mai dernier, date à laquelle ils sont arrivés au campement Voltaire. »

    Avant d’ajouter :

    « Je dois aussi reconnaître que certains parents sont peu convaincus à l’idée de mettre leurs gamins à l’école. Surtout quand ils n’y sont pas allés eux même. »


    Sur le chemin de l’école…

    Cité des cosmonautes A quinze minutes à pied du camp, la maternelle et l’école primaire de la cité Cosmonautes. On y retrouve Maria, une maman Rom : « l’école, c’est très important, au moins pour savoir lire et écrire. Moi, je n’y suis allée que cinq ans. C’est pas grand-chose mais ça m’a permis de m’organiser dans la vie », explique-t-elle avant d’ordonner à sa fille, Juliette*, de rejoindre ses camarades de grande section de maternelle. Mais devant l’entrée de l’école, la petite s’agrippe à sa mère de toute ses forces. « Si la maman craque, c’est mort », confie Adriana, chargée du suivi des familles pour la mairie de Saint-Denis. Maria cède et Juliette n’ira pas à l’école aujourd’hui malgré l’intervention plus ou moins bienveillante d’une parent d’élève :

    « Ben alors… elle va y aller la petite, hein, parce qu’elle doit apprendre le français pour travailler comme les autres. »

    Il est 8h30. De l’autre côté de la cour de récréation, les primaires sont en rang d’oignons. Léonard*, 12 ans, rentre en CE2 aujourd’hui. Petit nouveau, il regarde avec anxiété les autres élèves. Lui n’a pas de cartable, ce qui lui vaut une réflexion plus ou moins directe d’un instituteur :

    « Il y en a même qui sont venus sans aucune fourniture, alors on va pas pouvoir faire grand-chose aujourd’hui…»

    Une surveillante lui demande son âge. Muet comme une carpe, il lui montre seulement quatre doigts de sa main puis chuchote à l’oreille de sa mère : «Et la maîtresse, elle est Roumaine ?»

    « Si la maman craque, c’est mort »

    Francs-Moisins A l’école élémentaire des Francs-Moisins, situé à 20 minutes de marche du terrain, c’est aussi la langue qui pose problème. Les 3 enfants de la famille Belica , ont réussi à aller à l’école pour ce premier jour, mais que ce fut difficile.

    Ils habitent un camp de Roms non autorisé de Saint-Denis et à 9 heures passées, leur maman paniquée ne savait toujours pas à quelle école se rendre. Heureusement, elle croise 2 bénévoles au hasard d’une rue : après un coup de fil et l’inspection d’un plan de la ville, l’école élémentaire est enfin localisée.

    Mais une fois dans le bureau de la directrice, une heure après, les ennuis continuent : celle-ci découvre qu’ aucun des enfants – âgés de 7 à 11 ans – ne parle français. Dans l’improvisation, la directrice choisit de les répartir dans les classes en fonction de leur âge et des places disponibles. Née en 2001, ce sera le CM2 pour Agatha, bien que son niveau de français soit extrêmement faible. Accompagnée par se mère, elle entre dans la classe devant les yeux ronds, et parfois les sourires moqueurs, de ses petits camarades.

    « Cette famille ne vit pas dans le village Voltaire », explique Adriana pour justifier le premier jour d’école improvisé pour les petits Belica*. Pour pouvoir vivre au village Voltaire – intégralement financé par la mairie de Saint-Denis – les familles doivent justifier de 4 ans de présence continue sur le territoire national et que leurs enfants soient scolarisés au moins depuis 2010.

    Jolliot-Curie C’est le cas de la famille Nicloae*. Scolarisée depuis la maternelle en France, Rita 11 ans, qui parle parfaitement Français, va rentrer en CM2 à l’école élémentaire Joliot-Curie*. Après avoir longé une bretelle d’autoroute, la petite fille, toute vêtue de rose, son petit frère Selim* et ses cousins Ricardo* et Sara*, arrivent devant leur nouvelle école élémentaire. La maman, anxieuse, inspecte les listes punaisées à l’entrée de l’établissement pour vérifier que les noms de ses bambins y sont bien inscrits dans une classe. Oui, ils y sont ! Les bénévoles se chargent de remettre au directeur les convocations. En échange, il leur remet une fiche pédagogique à remplir par les parents.

    La petite Rita peut découvrir sa nouvelle cour de récréation. Ses petits frères et ses cousins ne la lâchent pas d’une semelle. Le visage soucieux et les yeux humides, ils attendent que la maîtresse les appelle pour rejoindre leur classe respective. L’année peut commencer.


    Une élève rom réconforte sa petite soeur

    *Tous les noms, sauf celui d’Adriana ont été modifiés

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