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    14/09/2012

    Tu l'as peut-être croisé derrière la caisse de ton Monoprix

    Michaël Mention, l'écrivain next door

    Par Robin D'Angelo

    Des milliers d'heures derrière une caisse enregistreuse, 18 romans rédigés et... une première rentrée littéraire. Sale temps pour le pays de Michaël Mention, 32 ans, est publié chez Rivages/Noir. Une récompense après des années de galère.

    A peine nous a t-il accueillis avec une bouteille de Heineken bien fraîche dans son appartement du 19e arrondissement à Paris que Michaël Mention nous met en garde:

    « Je suis très fatigué. Je dois me prendre la tête avec Pôle Emploi et le rectorat pour qu’ils me versent mon chômage. »

    Aie ! De quoi garder les pieds sur terre. A 32 ans, Michaël Mention fait partie des 644 heureux élus qui ont la chance d’être publiés pour la rentrée littéraire. Chez Rivages/Noir, une des références du roman policier. Mais en attendant d’enquiller les coupes de Dom P. avec ses nouveaux confrères James Ellroy , Elmore Leonard , ou Dennis Lehane – les superstars mondiales de sa maison d’édition – Michaël doit régler encore quelques problèmes très pratiques :

    « J’ai peur qu’ils me coupent complétement le chômage. Il faut que j’envoie des justificatifs pour mon ancien boulot d’auxilaire de vie. »

    Jobs alimentaires

    Un écrivain next door c’est quoi ? Peut-être un smicard qui décore son salon avec une affiche Sin City. Où qui vit avec sa copine et son lapin, Carotte, dans un deux pièces métro Danube. Et qui se retrouve persona non grata dans sa propre chambre quand sa soeur monte à Paris pour préparer ses oraux.

    Depuis 2001, Michaël enchaîne les jobs alimentaires comme Brett Easton Ellis les lignes de coke. Avec souvent du matos franchement bas-de-gamme – la caisse chez Monoprix, Auchan et MK2, le stand découpe-à-bois chez Casto, ou le job très valorisant d’homme de ménage. Et quelques fois des boulots enrichissants comme celui « d’auxiliaire de vie », où pendant 2 ans et demi Michaël a accompagné un enfant autiste à l’école.

    Mais attention, Michaël à la voix d’ordinaire très très très (très) douce, hausse le ton : « Je ne suis pas là pour faire genre je suis l’auteur qui souffre. Parce que ça, ça m’énerve ! »

    Stakhanoviste

    Son éditeur chez Rivages/Noir, Benjamin Guérif, n’hésite pas une seconde quand StreetPress lui demande ce qui l’a marqué chez son poulain : « Son enthousiasme. »

    « Il y a deux types d’écrivains pénibles : les snobs et les blasés. Ca peut être vraiment gavant. Michaël n’est pas du tout comme ça. Il s’obstine, il travaille, il est conscencieux. »

    La balance penche du côté de la bête de travail plutôt que vers l’écrivain maudit qui se morfond sur les conditions – ô combien précaires ! – de la vie d’artiste. Michaël s’inflige un régime que les plus flemmards d’entre vous pourraient qualifier volontiers de masochiste. Ecoutez-le raconter les 7 années pendant lesquelles il était caissier dans un cinéma MK2 - et qui ont accouché de Sale temps pour le pays:

    « Je travaillais de 13h à minuit. Puis je rentrais à la maison, et j’écrivais de 00h30 à 6 heures du matin. Je faisais ça tous les jours. Après je dormais 5 heures et je retournais travailler au ciné. Ca ne m’a jamais gêné de ne pas beaucoup dormir. »

    A 32 ans, Michaël a déjà écrit… 18 romans !

    Comme au cinéma

    Sale temps pour le pays – c’est son premier « roman noir » – est sorti le 5 septembre dans toutes les bonnes librairies. Hommage aux séries B, le roman s’inspire de l’affaire de l’Eventreur du Yorkshire, un tueur en série coupable des meurtres particulièrement sadiques – à base de marteau et de tournevis – de 13 jeunes femmes dans la région de Leeds (Nord de l’Angleterre) entre 1975 et 1981.

    Une enquête de 6 années déjà racontée dans une fresque de 4 romans par l’auteur anglais David Peace publiée… chez Rivages/Noir !

    « Ce n’est pas important l’histoire ! Des sujets comme ça, à la Jack l’Eventreur, on peut les réecrire cent fois ! Ce qu’il faut c’est qu’il y ait une voix. Qu’on puisse percevoir une voix originale », défend l’éditeur Benjamin Guérif.

    Alors c’est quoi, « la voix originale » de Michaël Mention ? Peut-être son style très cinématographique, jonché d’interludes pour donner « l’impression d’un montage alterné », comme il se plaît à le définir. Ses maîtres: Michael Mann et David Fincher. L’idée de son roman, il l’a d’ailleurs eue devant un écran de cinéma :

    « J’ai vu Zodiac et je me suis dit : ‘‘ce film est trop bien’‘. Il est palpitant alors qu’en même temps il ne se passe rien ! Pendant 2 heures et demi les flics font chou blanc. »


    Michaël Mention | Ze Story

    > 1979 : Naissance à Marseille
    > 1999 : 1ere expérience littéraire à un atelier d’écriture de la fac du Mirail (Toulouse)
    > 2001 : Monte à Paris pour une fille et enchaîne les petits boulots
    > 2008 : Son roman Le rhume du pingouin est publié aux éditions du Rocher
    > 2012 : Sale temps pour un pays, chez Rivages/Noir

    Google et moi

    Next door toujours, c’est en zonant devant son ordinateur, que Michael Mention trouve l’intrigue qui va lui permettre de concrétiser son projet de film…. Euh pardon de roman :

    « J’ai découvert cette affaire par hasard. En tapant sur Google : ‘‘tueur en série + Angleterre’‘. Les années 1970 c’est la musique que j’aime, le cinéma que j’aime. Et en même temps il y a la crise ! »

    Pendant 5 ans, Michaël Mention prend à bras le corps l’affaire de L’Eventreur du Yorkshire qui a traumatisé l’Angleterre des années Thatcher. Il recontre des spécialistes, des Anglais qui vivaient dans la région, regarde Kes et Get Carter et multiplie les aller-retours à la bibliothèque pour en connaître les moindres détails. Le tout sans jamais se rendre à Leeds pendant l’écriture :

    « Tu n’as pas besoin d’aller en Angleterre pour savoir que dans le Nord, il pleut ! »

    Une des spécifités du roman : Faire la part belle à l’histoire contemporaine du Royaume-Uni. Chaque chapitre est introduit par un événement lié de près ou de loin au thatchérisme. Une approche qui a séduit Benjamin Guérif, qui insiste sur la pertinence « du regard extéreur » :

    « Le livre est extrêment efficace et documenté. On suit la procèdure policière, l’histoire d’une Angleterre qui bouge, avec du rythme et du tempo. »

    Paris 19e VS St-Germain des prés

    Quand Michaël a appris qu’il allait être publié chez Rivages/Noir, il se souvient encore de sa réaction :

    « J’ai rappelé pour être sur qu’ils ne s’étaient pas trompés de nom. C’était vraiment improbable pour moi. Une chance inouïe ! »

    Benjamin Guérif de Rivages/Noir, qui a reçu le manuscrit de Sale temps pour le pays par la Poste, raconte l’univers impitoyable des maisons d’édition :

    « La sélection est terrible. Je reçois à peu près 500 manuscrits par an. Cette année, il n’y a que 3 nouveaux auteurs qui sortent. Et c’est une année particulièrement forte ! »

    Michaël Mention, lui, est déjà dans l’écriture de la suite de Sale temps pour le pays pour « ne pas perdre le fil » et surfer sur cette bonne dynamique. D’autres maisons d’éditions se sont déclarées intéressées pour acquérir les droits de ses romans précédents. « Je ne te cache pas que je suis quelqu’un de stressé. Alors j’ai peur que la galère continue », annonce-t-il comme pour conjurer le sort. Quitte à renier sa street credibility ?

    « Les Begbeider, BHL, Zeller… C’est un peu l’ennemi. Ils contribuent à l’image de l’écrivain intello, Saint-Germain-des-Prés. On fait tous pipi, on fait tous caca. Là on boit des bières et on parle bouquin ! »

    Pour Sale temps pour le pays, Michaël Mention a touché une avance de 3.000 euros. Et percevra 5% de chaque exemplaire vendu au-delà du 3.000e. Pas assez pour se payer des pintes au Café de Flore. Avis aux employeurs, il est à la recherche d’un nouveau job alimentaire.

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