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    31/10/2012

    De l'acier et des épaules luxées

    Fight Club Médiéval

    Par Robin D'Angelo

    Discipline très confidentielle, le Full Contact Médiéval associe art martial et reconstitution historique. Pour la 1ère fois, une compétition internationale de ce sport ultra-bourrin venu de Russie était organisée en France. Attention les dents !

    Montbazon – Indre-et-Loire. Et si Bertrand du Guesclin – chevalier breton du 14e siècle surnommé « le Dogue noir de Brocéliande » – avait appris le Full Contact par l’entremise de Jérôme Le Banner, le superchampion gaulois de K1, ce sport de combat ultra-violent où tous les coups sont permis ? Le grand chevalier, héros de la guerre de Cent ans, aurait à coup sûr éclaté quelques crânes, brisé quelques fémurs et arraché une poignée de doigts, pour remporter haut la main le premier tournoi international de full contact médiéval organisé en France.

    MAP Montbazon, c'est où?

    Une soixantaine de combattants, 9 équipes, des Russes, des Lituaniens, des Allemands, des Anglais, des Espagnols et même un Australien… Le week-end du 28 octobre, la forteresse du Faucon Noir, dans la cité médiévale de Montbazon à côté de Tours, accueillait « le plus grand tournoi de combat médiéval » jamais organisé en France.

    Le « combat médiéval », sport ultra-violent parfois appelé « full contact médiéval », une discipline qui se trouve quelque part entre le K1, le football américain et… Intervilles :

    > Le K1. Parce que presque tous les coups sont permis (sauf les tatanes à l’arrière des genoux)

    > Le foot US. Parce qu’un joueur est éliminé dès qu’il tombe par terre et parce que les phases de jeu sont très courtes et intenses – un round dure entre 10 et 45 secondes.

    > Intervilles. Pour les armures, les épées, les fauchons et les marteaux. Sauf qu’ici, les armes ne sont pas en mousse mais… en acier. Aïe !

    Fight-club

    Vêtu d’une cotte d’arme bleue en chanvre, mouchetée de fleurs de lys, l’organisateur du tournoi, Edouard Eme, 26 ans, explique ce qui fait la spécificité de son sport dans l’univers du combat médiéval :

    « Le combat médiéval est déjà pratiqué en France par des tas de gens. En gros, ils se touchent avec des épées et ils comptent les points. Mais là, c’est full contact. On ne compte pas les touches, le but est de mettre tous les adversaires au sol et on utilise les armes à pleine puissance sur toutes les parties du corps. »

    Un sport ultra-bourrin qu’ils sont une petite élite – environ trente kamikazes – à pratiquer en France. En équipe de 5 contre 5, ou en 1 contre 1. Edouard Eme, ancien militaire passé par les armées française et belge avant de se reconvertir dans le tourisme du côté d’Angers, ajoute :

    « Il y a un héroïsme qu’on ne retrouve pas dans la vie de tous les jours, ni dans les autres sports. Ça se rentre dedans, ça se tape, ça finit au sol. Et quand t’as gagné, t’as gagné. Là ce n’est pas parce que tu as mis un ballon dans un trou. C’est un peu le premier qui meurt qui a perdu. »

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    « Il y a un héroïsme qu’on ne retrouve pas dans la vie de tous les jours. » / Crédits : Robin D'Angelo

    À vos marques…

    Il est 14h passées à Montbazon. Premier combat. Dans l’arène, Arma Duellum, l’équipe belge, affronte les Russes de Prince Noir. Les 10 combattants sont face à face dans un bac à sable géant au pied du donjon du Faucon Noir, construit autour de l’an 1.000. Les deux team s’élancent et se rentrent dedans. Un Belge est pris à partie par deux Russes qui essaient de l’assommer avec une vouge – sorte de faucille géante – et une épée de 1,8 kilo. Un autre est mis au sol par un chevalier russe qui lui assène un coup de bouclier dans la nuque après une course de plusieurs mètres. En 15 secondes, c’est terminé. Les 5 Belges effondrés ont du mal à se relever. Plusieurs pièces d’acier, qui se sont détachées des armures sous la violence des coups, sont retrouvées par les arbitres dans le bac à sable.

    « Le mec, il est arrivé à toute vitesse avec la tranche de son bouclier en mode free fight ! Là, je vois ma visière qui s’écrase sur mon nez et le sang qui commence à pisser », raconte, bravache, quelques secondes après le combat, un des survivants belges au reste de son équipe. Son coéquipier, Paul d’Outre-Meuse, 28 ans, participe à son troisième tournoi de full contact médiéval. Pas peu fier, il se souvient pour StreetPress de sa pire blessure en armure :

    « Je me suis brisé les 5 phalanges en même temps à cause d’un coup d’épée sur les doigts. Les phalanges sont sorties de ma main. Le problème c’est que les armes ne coupent pas mais qu’elles écrasent. Pour les os, c’est terrible. »

    Bilan à la fin de la journée de samedi : deux « évacuations pompiers » pour une épaule luxée et une élongation au genou. Un combattant de l’équipe Arma Duellum, voit, lui, « un point blanc » entre ses deux yeux… On ne compte plus les abandons à cause de blessures aux cervicales, de doigts enflés ou de bras fêlés tout au long de la journée.

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    « Le problème c’est que les armes ne coupent pas mais qu’elles écrasent. » / Crédits : Robin D'Angelo

    Relais châteaux

    Au mois d’avril 2012, Edouard Eme, a déposé en préfecture les statuts d’une association : France Médiéval Full Contact. La discipline se pratique en France depuis environ 2 ans, mais Edouard a quand même ressenti le besoin de donner un cadre légal à son sport, notamment vis-à-vis des assurances. Pas folle la guêpe :

    « On a envoyé des vidéos, des explicatifs, au ministère des Sports et à différentes préfectures. À chaque fois, ils nous ont dit qu’il n’y avait pas de problème et que le cadre “association 1901 plus assurance” était suffisant. »

    Mais si certains directeurs de châteaux sont très heureux d’accueillir une animation pour faire tourner leur buvette – ils seront quelques centaines de spectateurs à assister aux joutes à Montbazon – d’autres voient la pratique d’un mauvais œil.

    Pierre, doyen de l’association à 28 ans et concepteur du site web, en a gros sur la patate : « J’ai reçu un mail d’un directeur de château très connu qui m’a tenu des propos très durs. Ils disent qu’on est la honte de la reconstitution historique, qu’un jour, il y aura un blessé grave et que ça nuira au secteur. »

    Le gros nounours d’1m95 pour 120 kilos et amateur de black metal d’ajouter : « Moi je suis sensible. Franchement ça m’affecte. »

    Médiégeeks

    Car c’est aussi « la recherche culturelle » qui motive les combattants de Montbazon. Beaucoup d’entre eux pratiquent des arts martiaux – du kick-boxing pour Paul d’Outre-Meuse, Pierre vient de s’inscrire à la Boxe Thaï. Mais tous sont venus au full contact médiéval par le biais de « la reconstitution historique. » Grosso modo, une passion dont un des symptômes consiste à cracher du feu dans un pyjama d’époque pendant une foire médiévale à Provins. Dans la forteresse de Montbazon, on mange des « fouées » comme du temps de Rabelais et on croise Rémi, venu assister aux combats dans son costard de « haut-noble du 14e siècle. » Quand on le surprend avec notre appareil photo en train d’envoyer un texto, Rémi l’a mauvaise : « Non, non, non pas de photo ! Que de “l’histo” s’il te plaît ! »


    Vidéo – 15 secondes de tatanes en acier

    « L’équipement doit être exactement fidèle aux sources historiques. On est aussi dans une démarche culturelle en même temps que sportive », explique Edouard qui porte sur lui pour plus de 2.000 euros d’équipement. Que du sur-mesure en acier trempé, fabriqué par des forgerons en Ukraine. Le costume de Pierre, surnommé le « Panzer Normand », est, lui, emprunté aux armures vikings du 10e siècle. « Parce que je suis normand, et que la Normandie est un duché viking ! » Son armure lamellaire fait sa fierté : elle est la copie d’un original retrouvé dans une sépulture du comptoir de Birka, au nord de la Suède. Valeur : 900 euros.

    Et l’ingénieur informaticien d’enchaîner sur l’histoire de son scramasaxe – « un gros couteau scandinave » – de ses protections valsgardes et de son casque norvégien. « Il y en a qui vont jusqu’à reproduire l’équipement d’une seule excavation pour être le plus fidèle possible. » Le Normand au physique de rugbyman a, comme Edouard, tout commandé « à l’est », avant de se faire livrer par La Poste. « Là-bas, c’est moins cher et il y a une demande.»

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    « Les Russes, les Polonais, les Ukrainiens : tout ce qui est viril est très valorisé chez eux. » / Crédits : Robin D'Angelo

    Pussy Riot

    Sur le champ de bataille, les Russes de l’équipe Prince Noir continuent leur massacre en écrasant toutes les équipes concurrentes. Robon, un des membres des Rodeurs de l’Odan, est en colère : « Moi, je ne comprends pas qu’ils soient acceptés ! » Un de ses coéquipiers au crâne rasé, la quarantaine passée, ne veut pas remonter dans l’arène pour les affronter : « J’ai déjà un fils qui ne voit plus clair à cause d’eux. Non, je n’y vais pas. C’est vraiment des enculés, les Russes. » Les Russes remporteront le tournoi et le prix de 500 euros sans concéder le moindre round.

    Quand on demande à Evgueny, 26 ans, cuisinier de profession et pilier de l’équipe russe, pourquoi son équipe détruit tout sur son passage, il est débordé par ses élans patriotiques :

    « Je suis russe. C’est lié à notre esprit. L’esprit du combat, de la gagne, de nos ancêtres russes qui ont remporté toutes ces batailles par le passé. Notre pays travaille plus que vous, les Français. On ne boit pas, on ne se drogue pas. »

    Puis il s’en prend à l’immigration venue d’Asie centrale, avant de se définir comme nationaliste et d’appeler l’Ukraine, la Biélorussie et tous les Slaves à être intégrés à la Russie. Un discours qui plaît à Pierre « le Panzer Normand », rangers et treillis dans le civil :

    « Les Russes, les Polonais, les Ukrainiens : tout ce qui est viril est très valorisé chez eux. Et ils sont assez patriotiques. Ils n’ont pas peur de se blesser pour le pays. La plupart des gens n’ont pas ces valeurs-là. »

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    « Leur entraînement, c’est 3 heures par semaine de Muay-Thaï et 3 heures de combat en armure. » / Crédits : Robin D'Angelo

    Battle of Nations 2013

    Edouard a une autre hypothèse moins mystique pour expliquer le succès incontesté des Russes :

    « Chez ces mecs-là, ce sport existe depuis 7 ans. Ça fait 7 ans qu’ils en font tous les mois, qu’ils se battent contre d’autres équipes à pleine puissance. Ils ont énormément d’expérience par rapport à nous. Leur entraînement, c’est 3 heures par semaine de Muay-Thaï (ndlr, Boxe-Thaï en VO) et 3 heures de combat en armure. »

    En Russie, il estime à 500 le nombre de pratiquants de full contact médiéval tandis qu’un mystérieux milliardaire, Eugene René, qui aurait fait fortune dans la finance, sponsoriserait grassement le développement de la discipline. C’est d’ailleurs lui qui aurait payé le voyage de la délégation russe à Montbazon. Et qui financerait leur équipement dernier cri tout en acier-trempé : les armures des combattants français pèsent entre 30 et 40 kilos, celles des Russes moitié moins.

    Eugène René, le milliardaire russe, est passé faire un coucou discret samedi à Montbazon. « Il est venu pour évaluer l’organisation. Je crois que cela lui a plu », se réjouit Edouard Eme. L’enjeu est énorme : la France est en lice pour organiser la prochaine Battle of Nations) – la coupe du monde de full contact médiéval – en avril prochain, dont M. René est un des organisateurs. En 2012, ils étaient plus de 8.000 spectateurs à être venus assister aux 4 jours de joutes en Pologne. Joint par StreetPress, Eugène René n’a pas souhaité répondre à nos questions pour nous dire si la France avait ses chances.

    En attendant, Edouard mise sur la médiatisation du full contact médiéval pour que la discipline dépasse la centaine de pratiquants en France. « On veut que ce soit reconnu comme un vrai sport et que les mairies mettent des salles à notre disposition avec des créneaux. Comme pour ceux qui font du hand. » Pour le moment, les amateurs de full contact médiéval s’entraînent en armure seulement quelques fois dans l’année, et le tournoi de Montbazon n’était que la 3e compet’ organisée dans le pays.

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