« C’est super dur. » « Je me demande souvent si je suis pas en train de foncer dans le mur. » « Physiquement et mentalement, ça va pas trop. » « À chaque fois qu’on sort d’un exam, on pense que c’est mort, donc on n’est jamais vraiment heureux. » Postez-vous à la sortie d’un exam dans n’importe quelle prépa, aussi bien chez les littéraires que du côté des scientifiques, et vous entendrez ce genre de discours. La première – et la seule – prépa médecine de France n’échappe pas à la règle. Fatoumata, Suzia, Dounia, Imène et leurs acolytes ont quelques difficultés à digérer l’exam de maths qu’ils viennent d’ingérer. « Non mais même pour la bouche, même pour chaque partie du corps, les maths c’est une souffrance », sourit Kadidia. « Et puis le prof est sans pitié, c’est un prof de Paces ! » Le sigle est lâché, véritable sésame pour tous ces jeunes étudiants : la première année commune aux études de santé.
Le massacre de la fac de médecine Plus qu’une envie, un réel objectif, aussi bien pour la petite quinzaine d’étudiants que pour l’équipe professorale : intégrer la première année de la fac de médecine de Bobigny – l’université Paris 13. À l’origine, tous ces jeunes sont des bacheliers promo 2012, aucun n’a collé de mention sur son diplôme et certains même n’ont pas suivi de cursus scientifique. Brigitte Martin-Pont, la responsable de la formation, nous explique : « Grosso modo, ils ont deux origines… » Yassine, le seul garçon de la prépa, l’interrompt en rigolant : « Des noirs et des Arabes ? » « Mais non, sourit Brigitte Martin. Non, soit ils s’étaient inscrit en fac de médecine et ils font cette prépa parce qu’ils ont vite senti qu’ils allaient être trop justes. Soit ils viennent d’autres filières. » Comme Imène, qui s’était d’abord inscrite en sciences de la vie. Kadidia, elle, voulait faire médecine mais « ça aurait été un suicide d’y aller comme ça, direct. Faut dire la réalité des choses, c’est dur. »
[Map] -Bobigny, c’est où
Grosso modo, ils ont deux origines…
Séries Un parcours scolaire un peu hésitant, mais un fort « potentiel pour réussir » : « Il faut juste leur apprendre comment l’université fonctionne, comment s’organiser, et leur donner les bases dans des matières fondamentales », ajoute Brigitte Martin-Pont. Autrement dit, pour parler franchement : à moins d’un petit miracle, sans aide, ces jeunes auraient tenté médecine et auraient probablement échoué à la fin de la première année. D’autant qu’en médecine, l’écrémage entre la première et la seconde année d’études est un massacre. À la fac de Bobigny (la seule où l’on peut apprendre la médecine dans le 93), 1.200 fans de Docteur House s’inscrivent en première année. À la rentrée de deuxième année, ils ne sont plus que… 200 – et seulement 138 à suivre le parcours général, les autres bifurquant pour devenir pharmacien, dentiste ou sage-femme. Et le « pire », c’est que de plus en plus de jeunes tentent leur chance, même s’ils n’en ont pas les capacités. Jean-Luc Dumas, le doyen de l’UFR de santé, médecine et biologie humaine, observe, non sans étonnement, que « les séries télé où le médecin est à l’honneur ont donné envie à davantage de jeunes d’exercer cette profession. » Résultat : le nombre d’inscrits en première année a presque triplé entre 2005 et maintenant.
Plus de médecins dans le 93 La prépa médecine a donc été inventée, en septembre dernier, pour permettre à de jeunes bacheliers qui auraient le niveau si on les poussait de tenter leur chance en médecine. Au programme : biologie cellulaire, science du médicament, anatomie, maths ou encore, entre autres, méthodologie. Une fac particulièrement cool et aimante, Bobigny ? Oui et non. Ces étudiants ne se connaissaient pas avant septembre, mais ils ont (presque) tous un point commun : ils viennent de la Seine-Saint-Denis. Jean-Luc Dumas, le doyen de l’UFR, raconte : « Nous avons beaucoup d’étudiants parisiens qui viennent étudier à Bobigny et qui, une fois leurs études terminées, vont s’installer dans d’autres départements. »
Et alors, quel est le souci ? Le problème, c’est que le 93 est « aussi mal pourvu en médecins que la Creuse ». Jean-Luc Dumas ajoute :
« Nous avons fait des études avec l’ordre des médecins. Il en ressort que les jeunes qui habitent en Seine-Saint-Denis et qui font leurs études dans le 93 n’ont pas peur ensuite d’y rester pour leur vie professionnelle. Ce qui n’est pas forcément le cas des autres étudiants. Pour l’instant, on dépense de l’énergie sans qu’il y ait beaucoup de bénéfices pour le département. »
D’où cette volonté de mener davantage de bacheliers de la Seine-Saint-Denis vers les études de médecine. Une initiative politique, soutenue financièrement par le Conseil Général du 93 – à hauteur de « plusieurs dizaines de milliers d’euros ». Preuve que l’idée est départementale : les cours prodigués à Bobigny sont également diffusés, en streaming, dans un amphi d’Argenteuil où plusieurs dizaines d’étudiants prennent des notes à distance.
Et maintenant « C’est une année test », conclue Brigitte Martin-Pont, qui, avant de s’occuper de la prépa, a dirigé la première année de la fac de médecine pendant 15 ans. Même les élèves se savent être des « cobayes » : « C’est bien parce que ce sera encore mieux pour les années d’après. » Brigitte Martin-Pont et Jean-Luc Dumas avouent ne pas être « naïfs » : « On sait bien que tous ne réussiront pas. » Depuis la rentrée, certains ont d’ailleurs déjà lâché, d’autres sont à deux doigts. Premier vrai bilan à la fin de l’année, au moment où les élèves de la prépa devront valider 30 ECTS (sur 60) pour être admis en Paces. Deuxième bilan dans un an et demi pour savoir si certains auront réussi à passer entre les mailles du cruel filet des études de médecine.
bqhidden. Les séries TV où le médecin est à l’honneur ont donné envie à davantage de jeunes d’exercer cette profession
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