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    22/09/2011

    « Bouger ton cul dans tous les sens » et reconstruis la Nouvelle-Orléans

    Big Freedia: « Mes fans viennent me voir me bouger le cul alors je ne peux pas m'arrêter »

    Par Kiblind

    La Sissy Bounce –ou «bond de pédales» en VF– est un style musical dérivé du RnB made in New-Orleans. La Queen Diva du genre Big Freedia nous introduit au «ass shaking». Figurez-vous: «ça vient de pratiques ancestrales d'Afrique de l'Ouest».

    Pourriez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

    Je suis Big Freedia, “The Queen Diva”, la Reine de la Bounce, de la Nouvelle-Orléans. Ouais, je suis la Reine de la Bounce. Je représente cette musique et je suis une légende dans ce genre.

    Vous représentez la vraie Bounce ou juste ce genre qu’est la Sissy Bounce ?

    Il n’y a pas de différences. Il n’y a rien qui s’appelle “Sissy Bounce”. C’est juste de la Bounce. Il y a quelques artistes gays qui s’appellent eux-mêmes “sissies” [pédales] ou quoi que ce soit. Mais au bout du compte, nous faisons tous de la Bounce : il n’y a pas de séparation.

    En partenariat avec “Kiblind”:http://www.kiblind.com/Kiblind/pa1.html

    En tant que Queen Diva de la Bounce, comment expliqueriez-vous cette musique à ceux qui n’y connaissent rien ?

    La Bounce est une musique au tempo élevé, avec des basses lourdes, qui répond à des critères et qui est définitivement une musique de club. Et qui implique énormément de ass shaking.

    Nous nous interrogions sur le rôle de Katey Red : pour vous, elle est comme un mentor…

    En fait, Katey Red est la première à avoir commencé la Bounce en tant qu’artiste gay. Elle était ma meilleure amie et je l’ai supporté pendant deux ans avant d’aller à mon tour sur le devant de la scène et de commencer à faire mes propres chansons. Mais j’étais là pour faire ses premières parties, elle m’a mit le pied à l’étrier pour faire des chansons, enregistrer en studio… Elle était là tout ce temps, c’était très intéressant. Tu sais, c’est mon idole !

    La Bounce Music, c’est ça

    La Sissy Bounce est une musique et…

    … Vous pouvez arrêter de l’appeler Sissy ?! Bounce music !

    … la Bounce est-elle une musique, une danse, les deux à la fois ?

    Ouais, putain de ouais ! Musique ET danse ! Absolument ! Comme vous le savez, les paroles sont majoritairement des ordres, des pas, du genre “bouge ce cul !”, “fais-le tourner !”, “des rebonds !”, “côte-à-côte !”, etc. Tous les mots signifient quelque chose, vous indiquant comment danser et sur quoi danser. C’est explicite, ça parle de soi-même.

    Les paroles sont sexuellement explicites, les mouvements également. La façon de danser la Bounce est-elle une forme de préliminaires ?

    Non, je ne dirais pas ça… C’est juste la façon dont ça se danse depuis le début : les poses, les mouvements… et la façon dont les plus jeunes se les réapproprient, chaque génération devenant plus créative que la précédente. Ils y ajoutent leur propre teinte. Tout le monde a sa propre teinte sur cette danse, avec une façon de danser et les différentes interprétations possibles, par les filles et les garçons. Nous avons mené des recherches : cette danse vient de pratiques ancestrales d’Afrique de l’Ouest appelées “Mapouka”, et ils dansent comme ça. Il y a de fortes similarités avec notre façon de danser sur de la Bounce. Donc c’est quelque chose qui existe depuis longtemps en fait…

    C’est international…

    … Oui !

    div(border). h4>La Bounce Music / Ze StoryLa bounce musique est la fille néo-orléanaise du hip-hop. Née dans les quartiers pauvres de la Nouvelle-Orléans sur la fin des années 80, la bounce explose réellement avec la reprise par DJ Jimi du tube « Where Dey At ? » en 1992. Construite pour la danse lascive (ass shaking) qui l’accompagne, la bounce est une musique simple au tempo élevé, avec des basses lourdes, faite pour le club. De nombreuses stars du hip-hop néo-orléanais sont issues de la bounce : Juvenile, Soulja Slim, Lil’ Wayne, B.G., Mannie Fresh, etc.

    Les paroles sont majoritairement des ordres du genre “bouge ce cul !”, “fais-le tourner !”, “des rebonds !”, “côte-à-côte !”

    Vous l’avez juste révélé ?

    Oui. Comme tu le sais, la Nouvelle-Orléans est une petite ville, où l’on s’en fout. Des bébés aux vieux de 99 ans, les gens danseront. C’est très intéressant. C’est quelque chose de typique et propre à la Nouvelle-Orléans plus qu’à la Bounce. C’est très spécial !

    Peut-on dire aujourd’hui que la Bounce est membre à part entière de la communauté Hip-Hop de la Nouvelle-Orléans ?

    Oui, absolument ! Tu ne peux pas faire un concert Hip-Hop sans jouer quelques titres Bounce pour faire bouger le public, pour les impliquer, les inciter à quitter le bar. Nous prenons beaucoup de chansons RnB pour les remixer en Bounce, ce qui les rend plus intéressantes et le public ressent de bonnes vibrations quand il danse, il se lâche. Peu d’évènements Hip-Hop se passent sans qu’un artiste Bounce n’ouvre ou que de la Bounce ne soit jouée avant le concert.

    Y a-t-il encore des problèmes aujourd’hui pour jouer dans les états du Sud, toujours un peu conservateurs encore ?

    Pas un seul état du Sud ! Je n’ai aucun problème du tout ! Ils me connaissent, savent à quoi s’attendre quand ils m’appellent pour un concert et ils montrent beaucoup de soutien. À la maison, à la Nouvelle-Orléans, maintenant, j’ai une sortie d’album qui est numéro 1, tout le monde est derrière moi pour cet album, toute la ville sait que j’essaie de percer à échelle mondiale. Il y a du pain sur la planche.

    Big Freedia – Excuse

    Vous considérez-vous comme le défenseur d’une cause ? Avez-vous un message à délivrer, ou plusieurs ?

    Absolument et plus d’un, c’est sûr ! D’abord, amener la Bounce au niveau où elle devrait être : nous avons travaillé si dur à la maison, depuis plus de deux décennies, et l’amour et le support que nous devrions avoir arrive enfin, petit à petit. Nous devons être mainstream et internationaux. Tout ça, ce sont des luttes, pas seulement à titre personnel d’ailleurs : je porte toute ma ville sur le dos et j’essaie de faire en sorte que ça se passe. Faire toutes ces interviews, ces spots TV… c’est un combat global, un travail quotidien, 24h/24. Je suis le plus gros combattant et le plus gros bosseur de la Bounce et j’essaie d’en faire un mouvement très puissant. J’essaie d’être compris, de diffuser cette musique, par des collaborations et des tournées. Tout ça, ce sont des combats, et pas juste pour moi mais, comme je l’ai déjà dit, pour toute ma ville, pour la représenter : mettre la Nouvelle-Orléans sur la carte, mettre la Bounce sur la carte, préserver la culture… Car c’est une culture unique que nous avons, dans une ville unique qu’est NOLA – il n’y a pas d’autres lieux comme ça dans le monde. C’est du travail ! Les gens pensent que c’est juste du fun, c’est très bien, tout le temps ! Mais je travaille 24h/24, 7j/7. Je n’ai pas de temps pour moi, c’est tout pour la Bounce et faire en sorte que les choses se passent.

    Oui, car vous avez déjà un public large, vous avez la capacité de fédérer les gens, noirs et blancs, gays et…

    … hétéros, oui ! C’est ce qui me rend fier, ces gros publics. J’ai captivé tout un tas de personnes durant les dernières années. C’est aussi l’une des parties importantes de la lutte : rassembler ces gens, faire connaître la Bounce – et pas seulement moi mais tous les artistes, leur offrir une exposition. Nous avons fait ça depuis si longtemps, et je suis juste l’un de ceux qui y est arrivé, qui est sorti du mouvement pour aller en première ligne et chanter dans différentes villes, différents États, et représenter.

    Ces concerts étaient très importants pour les gens après Katrina, pour les aider à oublier leurs problèmes le temps d’un concert

    Tous les concerts étaient pleins, car les gens essayaient juste de revenir aux choses les plus simples, les plus basiques du quotidien, pour oublier l’ouragan. Les concerts étaient blindés, de la taille d’un quartier. Les queues pour entrer n’avaient jamais été aussi longues. Tout le monde essayait de décompresser.

    Cette danse vient de pratiques ancestrales d’Afrique de l’Ouest appelées “Mapouka”


    Big Freedia et sa grande copine Katey Red (© Golden G. Richard III)

    Pour vous, quel était le rôle de la Bounce dans le processus de reconstruction ? Vous jouiez parfois plus de cinq concerts par soir…

    C’était un grand rôle. Après Katrina, les gens étaient dispersés dans tout le pays et ne pouvaient plus entendre de Bounce. Donc quand ils rentraient, ils allaient dans les clubs : “je vais au club pour la Bounce, je vais voir Freedia, ils vont me donner ce dont j’ai besoin”, tu vois ce que je veux dire, genre “je vais bouger mon cul dans tous les sens”. Ils étaient excités ! Ils étaient encore plus excités que moi d’être là. Je voyais ces gens arriver et je me disais “tu dois déchirer ce club, tout donner” et c’est ce qui s’est passé. On prend du bon temps, tout le monde rentre chez soi, et nous sommes prêts pour la semaine prochaine… ou la nuit prochaine.

    Et vous travailliez dans le même temps à la reconstruction de la Bounce elle-même. Beaucoup d’artistes avaient tout perdu…

    J’étais l’un d’eux. J’étais là, coincé, et j’ai dû me faire secourir. C’était une dure épreuve à traverser et je ne l’oublierai jamais.

    Avez-vous réalisé à ce moment-là qu’il fallait se battre pour la culture locale, qu’elle n’était pas acquise ?

    Oui, absolument. Il ne faut jamais prendre quelque chose pour acquis, car tout peut disparaître sous tes yeux en l’espace d’un claquement de doigts : ta vie, tout ce pour quoi tu travailles depuis des années, tout tes biens. Katrina m’a appris une leçon : valoriser la vie et ne rien considérer comme acquis. Tu vois l’ouragan, tu vois le tsunami, des tremblements de terre à la télé, mais c’est une toute autre perspective quand ça t’arrive. J’ai compris ce que traversaient ces gens après Katrina. Comme ce qu’il se passe aujourd’hui au Japon ; j’étais à la maison, vidé, car je sais ce qu’ils ressentent, les épreuves à traverser après une telle catastrophe. Ça change ta vie…

    Big Freedia fait aussi des t-shirt

    Les gens me disaient dans plein de villes différentes “Hé, je t’ai vu dans Treme !” et ça m’a beaucoup apporté, c’est vrai

    “Treme”:www.hbo.com/treme/index.html de HBO est également sur la reconstruction sous l’angle musical. Regardez-vous cette série ?

    J’étais dans le show. Deuxième épisode [de la seconde saison].

    Oui, c’était notre prochaine question [rires]. Qu’est ce que cela à changé pour vous ?

    D’abord, c’était très drôle de faire ce que j’ai fait, de jouer mon propre personnage [rires] et c’était très intéressant. Normalement – j’espère – ils doivent me faire jouer dans un autre épisode. C’était très intéressant, juste de faire partie de cet ensemble qu’est Treme, et d’essayer de représenter la Bounce et sa place dans le processus de reconstruction après Katrina. C’était bien et j’ai adoré chaque moment.

    Était-ce une forme de reconnaissance de votre travail, de la Bounce ?

    Cela a permis une audience nationale. Les gens me disaient dans plein de villes différentes “Hé, je t’ai vu dans Treme !” et ça m’a beaucoup apporté, c’est vrai. C’est un vrai boost pour ma carrière, ça a eu les conséquences que j’attendais, je dois bien l’admettre.

    Le trailer de Treme, la serie de David Simon sur la Nouvelle-Orléans

    Sentez-vous une différence pour la musique et la culture de la ville depuis la série ? Comme un avant et un après ?

    Oui, absolument. Les artistes ont davantage d’exposition, pas seulement localement mais nationalement aussi. Nous pouvons faire beaucoup rien qu’avec l’exposition que l’on a dans Treme.

    Pouvons-nous parler de vos projets actuels ? Vous avez un CD cet automne…

    Oui, le CD arrive. Je travaille sur cet album. Nous travaillons beaucoup [rires] car je suis en tournée et je bosse sur l’album dès que je suis à la maison, que nous enregistrerons à San Francisco. C’est tout un processus : essayer de faire les choses, donner des concerts, travailler sur l’album, enregistrer, travailler sur un reality show…

    …?

    Oui, il y a beaucoup de choses qui se mettent en place.[rires]

    Je suis le plus gros combattant et le plus gros bosseur de la Bounce

    Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Ils sont en train de filmer en ce moment. Ils ont six mois pour faire un show et ils ne savent pas où ils vont après. Ils ont beaucoup de footage, ils enregistrent ma vie et les personnes de mon entourage, des artistes proches comme Katey Reed et Sissy Nobby, ma mère, mon petit-copain, etc. Tout plein de personnes très différentes et de personnages de ma vie, ce qui est très intéressant. Nous parlons de la Bounce, ses changements, mes déplacements quand j’arrive en ville… Je travaille beaucoup, beaucoup : je fais des vidéos, une nouvelle ligne de T-shirt va sortir…

    Avec tous ces concerts, ces tournées, ce travail… comment avez-vous encore la force pour “bouger ce cul” ?

    Mes fans. Ce sont mes fans : ils viennent me voir me bouger le cul alors je ne peux pas m’arrêter. C’est comme ça que ça marche, c’est mon job [rires]. Je veux que ça continue, avoir des concerts et être payé, alors je bouge mon cul… jusqu’à la prochaine scène [rires].

    Vous allez nous montrer comment bouger les nôtres ?

    Bien sûr ! C’est mon travail ! Une fois que Freedia est sur scène, tout le monde doit le bouger !

    bqhidden. Katrina m’a appris une leçon : valoriser la vie et ne rien considérer comme acquis

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