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    28/05/2013

    Récit heure par heure de la soirée aux Invalides

    A la dernière Manif pour tous avec le printemps français et... un juif orthodoxe

    Par Côme Bastin

    Hadoel, en costard de rabbin, a croisé des gudards, qui ont croisé des cathos béni oui-oui, qui ont croisé un cortège de « musulmans »… La dernière manif anti-mariage homo était vraiment pour tous.

    > 19 heures

    L’esplanade des Invalides est bien remplie. Seules la rue Saint-Dominique et la rue de Grenelle permettent encore d’y accéder. « Ordre d’en haut » pour les policiers, qui ont investi massivement les lieux et contrôlent chaque entrée.

    Lorsqu’on arrive sur la grande pelouse, impossible de passer à côté des « Veilleurs ». Un mouvement massif et multi-générationnel qui a décidé de combattre le mariage pour tous en pratiquant des sittings pacifiques à grand renfort de lectures de textes. Ils s’interdisent même d’applaudir pour éviter de faire du bruit. Un peu niais, mais inoffensifs : les Ghandis réacs sont nés.

    « C’est un mouvement spontané et citoyen qui s’est levé contre la violence qui ne sert à rien », déclare Agathe, qui invite à venir veiller avec elle après la manifestation. « Pourquoi se battre alors qu’on peut réfléchir par soi-même sur des textes que des personnes ont élaborés après mure réflexion ? » Ils sont venus de toute la France et comptent bien « réfléchir » toute la nuit à côté de l’Assemblée Nationale pour empêcher les gays de se marier.

    Résistance Soudain le chant des partisans est entonné par un leader du mouvement, bientôt repris par la foule. « Il s’agit d’un chant de résistance, et nous résistons à notre manière », se félicite une femme âgée. Il faut dire que le texte, amputé de ses deux couplets centraux, a été un peu aseptisé pour l’occasion. « Ohé! Les tueurs, à la balle et au couteau : tuez vite! », ça sonnerait limite appel au crime…

    Il fait très beau et les sourires sont sur les lèvres. Lucien, un porte-parole du mouvement, en est sûr : « Il n’y a aucune raison de s’alarmer. Il ne s’agit que de familles, de gens apaisés, rassemblés pour lutter contre ce changement de civilisation imposé à la population ». Avec ses bretelles et sa marinière, il ressemble à un acteur de théâtre. Il porte une grande écharpe verte, le symbole des veilleurs.

    Nationalistes et… juifs orthodoxes A quelques pas de là, autre son de cloche. Un groupe de jeunes, un peu gueules cassées, se réclame du « Printemps Français ». Un mouvement radical dont Manuel Valls a voulu interdire les principales associations qui le composent. Ils veulent rompre avec les méthodes « bisounours » de Frigide Barjot. « On est là pour défendre la famille traditionnelle », balance l’un d’entre-deux.

    Petit à petit, l’atmosphère se détend et les langues se délient. « La droite ne reviendra pas sur le texte. Y’a que le FN qui le fera, et encore. Faut pas se leurrer, les politiciens ne pratiquent qu’une politique du pouvoir, ce sont des carriéristes. C’est pour ça qu’on n’est pas républicains ». C’est dit. Suite du programme : trainer là et boire des coups.

    « Je suis conservateur, juif, orthodoxe, je crois que ça se voit, non ? » Hadoel, en costard de traditionaliste, est venu seul, et brandit une pancarte assimilant Hitler, Lénine, et François Hollande. « Toutes ces politiques procèdent d’une même idéologie matérialiste qui veut nier l’ordre naturel ». Royaliste, il souhaite une insurrection radicale qui s’emparerait des grandes gares pour bloquer le pays. Un peu plus loin, c’est un cortège se revendiquant de l’Islam qui manifeste contre le mariage pour tous. Faire défiler groupes d’extrême-droite, juifs orthodoxes et musulmans ensemble relevait du pari, et pourtant…

    > 20 heures

    Petites échauffourées à l’est de la place, ou la police bloque la rue de l’Université qui mène au palais Bourbon. Une foule de manifestants accourt et investit les toits des kiosques et des toilettes publiques pour jouir du spectacle. Ce n’est pas tous les jours que la jeunesse de droite peut crier « CRS SS! ».

    Ça joue à se faire peur au son de « dictature socialiste », jusqu’à ce que ça ne soit plus un jeu. Car dans le tas, certains sont venus pour en découdre. Lorsque les canettes commencent à voler et que les drapeaux noirs remplacent les roses et bleus, la police lâche les lacrymos. Partagés entre l’excitation et la peur, de jeunes cathos errent en toussant sur le champ de bataille de leur dernière manif’.

    Toutes ces politiques procèdent d’une même idéologie matérialiste qui veut nier l’ordre naturel

    > 21 heures

    L’esplanade est remplie de fumigènes et l’atmosphère est devenue irrespirable. Invisibles il y quelques heures, les groupuscules ont investi les lieux et sortent masques à gaz et lunettes de plongée pour prolonger la fight. Les flics en civils quadrillent la place pour essayer d’en arrêter quelques-uns.

    Alors que le clash se durcit, les veilleurs s’obstinent à rester lire leurs textes au milieu du vacarme et des gaz. Les slogans de « journalistes collabos » et « la France aux Français » couvrent pourtant leurs chansons de scouts. « On ne va pas laisser une fois de plus ces groupes violents pourrir l’image de notre mouvement », s’énerve l’un d’entre eux. Pas question de bouger, alors que la police commence à les encercler par l’aile ouest.

    > 22 heures

    Les « veilleurs » sont baptisés à la gazeuse. Ils ne comprennent pas la charge des CRS. « Ça brûle les yeux ! Pourquoi s’en prennent-ils à nous ? », s’offusque l’un deux. Il est pourtant clair, à 22 heures, que le mouvement leur a échappé, et qu’il serait temps de rentrer chez eux.

    Mais une certaine curiosité malsaine, mêlée à une dynamique de groupe pousse en effet pas mal de manifestants à rester sur place, voire à se joindre aux slogans tendancieux. Avec, en toile de fond, le constat triste que même si les veilleurs et le Gud n’ont pas grand-chose à voir, les partisans de la violence ont su séduire au-delà de leurs rangs.


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