Gezi Parc – Istanbul. « Au tout début, le 28 mai, nous étions environ 200 personnes à camper dans le parc de Gezi. Maintenant, nous sommes près de 10.000 », indique Onur Tas, l’un des coordinateurs du collectif mis en place pour gérer la vie quotidienne au sein du parc. Sur l’herbe, entre les allées goudronnées, se concentrent des milliers de tentes, toutes accolées les unes aux autres. La plupart de leurs occupants ont entre 18 et 30 ans, mais les jeunes sont largement rejoints dans la journée par leurs compatriotes de toutes les tranches d’âge, qui viennent soutenir le mouvement en déambulant dans les allées du parc.
Revendications Volkan Yilmaz, un acteur de 26 ans, campe dans le parc de Gezi depuis le 1er juin. « Je suis là avant tout car je veux que cet endroit reste tel quel. Le gouvernement dit qu’il souhaite construire un centre commercial à la place du parc. Moi je pense plutôt qu’ils vont élever un hôtel, pour accroitre la capacité d’hébergement autour de Taksim », explique t-il, assis en tailleur sur une couverture devant l’entrée de sa tente. « Je ne partirai que lorsque le gouvernement aura annoncé qu’il ne construira rien à la place du parc ». Ce jeune stambouliote, présent dans le parc depuis le début de son occupation, a vu jour après jour les revendications changer, et se muer en un vaste mouvement de contestation envers la politique conservatrice de l’AKP, parti au pouvoir en Turquie depuis 2002. Maintenant, les manifestants réclament également l’interdiction de l’usage de gaz par les policiers, la démission du chef général de la police en Turquie, ainsi qu’un réel droit à manifester et exprimer ses opinions.
Quelques mètres plus loin, Deniz Küçük, 25 ans et tout juste diplômé d’une école d’ingénieur, dort dans le parc depuis le 5 juin. Il dénonce avec vigueur la politique du gouvernement, qu’il juge liberticide. « Je suis exaspéré par les violences policières, la censure médiatique ou encore toutes les différentes atteintes aux droits humains » clame t-il. « J’espère que ce mouvement aura le mérite d’éveiller les consciences ».
Map Gezi Parki
Tous ensemble La vague de contestation rassemble toute une frange de la population, qui ne se reconnait pas dans la tournure conservatrice actuelle que prend la Turquie. Entre les tentes, sont plantés de nombreux stands, représentatifs d’organismes aux buts bien différents. On y croise les féministes, la fédération Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres, des partis politiques opposés au gouvernement, des universités ou encore des groupes d’anarchistes. « Lorsque nous avons commencé à occuper le parc, c’était difficile de faire cohabiter tout le monde, surtout à cause de la présence de partis politiques aux idées différentes. Il y a eu des petits conflits, mais maintenant cela s’est arrangé, nous sommes tous unis autour d’un même but », précise Onur Tas, coordinateur du mouvement dans le parc. Ils sont 200 volontaires à assurer la sécurité. Il y a également 6 points de secours, afin de prendre en charge le plus rapidement possible d’éventuels blessés. Les bénévoles qui s’occupent de donner les premiers secours sont pour la plupart des étudiants en médecine.
Gzei republic Le parc de Gezi, sur lequel souffle un vent de liberté, s’est organisé au fil des jours en véritable village, où l’ambiance est à la fête. Comme si toute la tension accumulée depuis des années était en train de retomber d’un coup. Les sourires sont sur toutes les lèvres. Parfois soudainement, toutes les voix s’élèvent en cœur spontanément pour chanter une même chanson, hurler un même slogan. Des concerts ont lieu tous les soirs et les roulements de tambours rythment le quotidien. La vie dans le parc repose sur la solidarité. « Nous recherchons deux volontaires pour servir à manger », crie Oguzhan dans son mégaphone, juste derrière la barrière qui limite l’accès à un espace aménagé en coin cuisine. « Des gens nous apportent de la nourriture, et nous cuisinons 24 heures sur 24. Chacun peut venir se servir, c’est entièrement gratuit. Nous essayons de donner des repas toutes les heures. Cela permet aux gens de rester dans le parc, car en cas d’opération policière, nous devons pouvoir être nombreux sur place afin de réagir », indique le jeune homme.
Au fond, on aperçoit une dizaine de personnes qui s’affairent en cuisine, s’agitant autour de réchauds de fortune posés à même le sol. En se promenant dans les allées du parc, on se fait distribuer un verre de thé ou des gâteaux. Un peu plus loin, les enfants sont mis à contribution sous une tente qui fait office d’atelier d’art. Là, ils dessinent ensemble sur une feuille géante des arbres colorés. Ils sont encadrés par des artistes et des professionnels de la petite enfance. « Environ 300 enfants viennent chaque jour. Nous organiserons une exposition par la suite, et avons pour projet de faire de la sculpture. Tout le matériel nous est apporté gratuitement par des personnes sensibles au mouvement » indique Bahar Uyandiran, une peintre qui s’occupe de l’atelier.
Chacun peut venir se servir, c’est entièrement gratuit
Le parc est occupé depuis le 28 mai
Environ 300 enfants viennent chaque jour
Livres En plusieurs endroits du parc, des bibliothèques de plein air ont également été installées. Ici, on distribue gratuitement toutes sortes de livres, apportés encore une fois par des volontaires. 100.000 ouvrages ont déjà été distribués. « Les livres sont le symbole de l’ouverture d’esprit et de l’éducation. Cette démarche de distribution prend donc tout son sens dans un mouvement comme celui-ci, qui s’apparente un peu à celui de Mai 68 en France », explique Cihat Duman, volontaire affilié à l’espace bibliothèque, tout en continuant à donner des ouvrages aux personnes dans la file d’attente.
Les occupants du parc de Gezi ont également crée leur propres médias. Chaque jour, une gazette est éditée et distribuée afin d’informer les gens sur l’actualité du mouvement. L’information est aussi relayée à travers une web radio, née le 6 juin. Enfin, un équipement de télévision permet à une équipe de réaliser des reportages dans le parc. « Nous avons décidé de créer nos propres moyens d’information car nous pensons que la presse nationale ne reflète pas notre voix. Chacun peut venir s’exprimer derrière notre caméra. Nous voulons créer la liberté d’expression » explique Cansu Inceay, la responsable de Gezi TV. Et à la question « Combien de temps comptez-vous rester dans le parc » elle répond, en ironisant :
« Jusqu’à ce que le gouvernement entende nos revendications. Il parait qu’une opération de délogement est prévue cette semaine. Durant les affrontements, on a testé toutes sortes de gaz… On est rodé. On les attend.»
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