17/12/2025

Ils ont réactivé un groupe inactif depuis deux ans

Ultras, militaires et bastonneurs… Qui se cache derrière « Talion Brest », une bande d’extrême droite violente

Par Roman Jezequel

Depuis l’attaque d’un bar du centre-ville de Brest en septembre, le rythme des agressions ralentit après une escalade de violences. Mais un groupuscule d’extrême droite semble se structurer en recrutant ses membres au stade ou à la base navale.

Brest (29), 2 novembre — C’est soir de match et Mathis A. se trouve devant Le Pénalty, un bar de supporters du Stade Brestois. Il serre toutes les paluches possibles, en tout cas toutes celles qui n’ont visiblement pas trop de problèmes à tenir une main accro à la violence. Âgé d’une vingtaine d’années, il se tient droit, torse bombé, les cheveux ras et bien dégagés derrière les oreilles. Reconnu comme l’auteur d’au moins quatre agressions sur le port et dans le centre, il a réussi à structurer le milieu de l’extrême droite violente locale et à réactiver un groupuscule d’extrême droite tourné vers la baston : Talion Brest. Son truc à lui, c’est de recruter. Mathis ne fait pas partie des supporters les plus assidus des « Ti-Zef » — surnom donné aux joueurs du Stade Brestois —, mais il bénéficie tout de même de l’aura des hommes de première ligne.

Dans les coursives du stade Francis-Le-Blé, il se raconte qu’il rêverait de fonder son Active club local — un groupuscule « interfaf » qui base son militantisme sur l’entraînement aux sports de combat. Il y en a déjà à Nantes (44), Vannes (56), Saint-Malo (35)… Alors pourquoi pas à Brest ? En attendant, le Breton aux multiples alias — StreetPress en dénombre quatre — a ironiquement trouvé son vivier à l’extrême droite de la tribune Kemper, située derrière les buts. Il a recruté quelques têtes brûlées au sein de la Section West, un groupuscule hooligan affilié à l’extrême droite, pour qui craquer des torches, sauter et chanter pour supporter son équipe ne suffit plus.

LES ENQUÊTES STREETPRESS ET SPLANN !

L’extrême droite gagne la Bretagne. Lors du premier tour des élections législatives anticipées en 2024, elle s’est retrouvée en tête de 26 circonscriptions bretonnes sur 27. Depuis, « les cogneurs » s’installent à Brest et à Lorient. Pour la première fois, le RN officialise des listes menées par des candidats « au profil Bardella » dans des villes comme Lannion ou Guingamp. Du Finistère à l’Ille-et-Vilaine, la bataille idéologique et culturelle s’ancre pour de bon. C’est pour documenter cette percée des extrêmes droites que Splann ! — une ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne — et StreetPress ont décidé de s’associer dans ce partenariat éditorial consacré à « la bataille des municipales » avec plusieurs enquêtes.

Cette scission des Celtic Ultras 2001 (CU01), principal groupe de supporters brestois, a prouvé son goût pour l’action dans une attaque rocambolesque sur la route nationale 12, en bordure de Brest, après un match à domicile contre Lens dans l’après-midi du 20 avril. Alors qu’une soixantaine de Nordistes attaquent des ultras locaux dans un restaurant, causant trois blessés côté brestois, une équipe se réunit pour préparer la revanche. À la sortie de Brest, après la fin du match, quelques dizaines de supporters tendent une embuscade aux véhicules des fans lensois. La participation à cette attaque est le premier haut fait d’armes de la Section West.

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Au moins six militaires gravitent autour

Six semaines après, un coup de filet de la police : vingt-deux personnes vont en garde à vue, comme l’a raconté « Le Télégramme ». Parmi les noms mentionnés dans cette procédure, la Section West et le Talion sont bien représentés avec Kenny T., considéré comme l’une des figures centrales de la bande d’ultras ; Steven R., un ancien des CU01 ; Jules P., seule brebis galeuse des Ultras Brestois 90 (UB90), proche de Mathis et du Talion ; et Kevin B., sous-officier à la base navale. Il n’est pas le seul actuel ou ancien militaire à avoir rejoint la bande de Mathis A. D’après les informations de StreetPress, au moins six d’entre eux graviteraient autour de la bande violente, dont une partie est encartée à la Section West.

Contactée, la préfecture maritime assure que trois d’entre eux ont quitté l’armée ou aspirent à le faire, notamment Kevin B. Il a signé une « demande de cessation d’état de militaire » le 18 novembre. Selon nos informations, son profil aurait intéressé les renseignements militaires depuis l’attaque du Café de la plage, survenue dans la nuit du 20 au 21 septembre, sur la place de Guérin. Au moins deux membres de la Section West auraient été reconnus pendant cette agression. Le 16 décembre, huit suspects ont d’ailleurs été interpellés par la police, a annoncé « Le Télégramme ».

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Après ce coup d’éclat, tout ce petit monde a commencé à se faire plus discret. Aux matchs suivants l’attaque, ils portent lunettes et casquettes ou changent d’emplacement dans la tribune. Ce cache-cache se poursuit aussi en ligne. Plusieurs profils sur les réseaux ont commencé à se mettre en privé, dont celui de Mathis A. Contacté, il n’a pas répondu à nos questions, avant de nous bloquer — comme une grande partie des personnes citées dans l’article.

Des « fights » organisés à Brest

Entre début octobre et fin novembre, au moins trois « fights » hooligans — des combats arrangés — ont été organisés par la bande menée par Mathis A. Un premier contre un groupe de Nantais, White Boyz Naoned ; un autre face au Lyon 1919 et le dernier contre un obscur collectif « Lorient politique ». À chaque fois, une photo a été prise et publiée sur les canaux Telegram dédiés au hooliganisme. Sur celles avec les Nantais et les Lorientais, les Brestois revendiquent leur appartenance au Talion.

Sa mention est un petit phénomène dans la ville, après deux années sans trop en entendre parler, à part dans les ragots du stade. Jusque-là, le groupe Talion Brest avait surtout été vu le 29 avril 2023, où une dizaine de personnes s’étaient fait remarquer à Saint-Brévin-Les-Pins (44) aux côtés du Groupe Union Défense (GUD), de La division Martel ou encore de l’Oriflamme à Rennes. À l’époque, ils manifestent contre un centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans cette commune. Dans le lot se trouve au moins un membre de l’Action française, Thibault L.R. Cet engagé volontaire sous-officier à la base navale brestoise jusqu’en septembre est reconnaissable sur une photo de groupe, où il tient le drapeau de Talion brandi à Saint-Brévin-Les-Pins. Pourtant, passé le printemps 2023, la bande disparaît des radars jusqu’à sa réactivation par Mathis A.

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Existe-t-il un lien entre l’apparition de Talion et le déclin de l’Action française locale ? À Brest, le mouvement royaliste a connu une vague de départs, il y a un peu plus d’un an, après un changement de chef de section qui ne collait pas forcément avec les aspirations plus radicales de certains militants. Thibault L.R. fait partie de ces défections. Il a été vu traîner cet été devant le troquet Le Cocorico, à Brest, avec la bande de Mathis — ce dernier y a d’ailleurs été serveur.

KOB, port de Brest, tranchées ukrainiennes

Comme lors de ce Jeudi du port du 7 août, festival sur le front de mer, où la haute-ville se vide sur le bord de rade pour boire des coups. Maxim N. et Erwan M. s’attablent au Cocorico. Le premier est ceinture noire de judo et participe à des compétitions de boxe thaïlandaise. Le second, un moustachu au profil de militant d’extrême droite radicale et antisémite, à cheval entre Paris et Brest. Maxim avait déjà été aperçu aux abords de la Pride locale en 2022 en train d’enlever des stickers LGBTQIA+ et de chercher à se chicaner devant la Maison du Peuple. Erwan a été repéré lors d’un tractage de la Cocarde sur le campus de l’université de Nanterre qui a viré au pugilat le 28 mars. Il fréquente le pub Saint-Michel, à Paris, connu pour sa clientèle très droitière, comme l’a révélé une enquête de « Libération ». Il s’y affiche aux côtés de Gwendal Cohin-Pourajaud, ex-membre du GUD condamné pour avoir passé à tabac des militants de SOS Racisme lors d’un meeting de Zemmour.

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Lors de ce soir de fête, Mathis s’apprête à rejoindre le duo sur la terrasse du Cocorico, mais d’abord, il s’entretient avec Aristote, un homme au physique imposant, posté devant un bar un peu plus loin. Malgré le prénom, il n’est pas trop versé dans la philosophie mais davantage dans le militantisme extrême, où il égrène ses nombreux surnoms comme « Kaido ». Cet allié de Jeunesse Boulogne, la branche hooligan du groupe d’extrême droite dissous Zouaves Paris, combat régulièrement en Ukraine contre l’invasion russe, comme l’a raconté « Libération ». Parmi ses amis, il peut aussi compter sur Maxime Bellamy, ex-hooligan rennais champion de bare knuckle — boxe à mains nues —, avec qui il semble entretenir une amitié.

Le groupe se rapproche de la place Guérin

Le travail de videur d’Aristote dans deux établissements de la cité du Ponant ne lui permettrait pas de participer aux prédations nocturnes du Talion. Mathis le laisse pour rejoindre le reste de la bande, venus boire des verres sur le port de commerce, ce soir de Jeudi du port. Il est talonné de près par Jules P., l’ex-UB90, qui le suit comme son ombre ce 7 août. Une fois au complet, le groupe se scinde en binômes pour parcourir la foule du festival Jeudis du port. Les mêmes rondes ont été observées, avec Mathis A. en tête, une semaine après l’attaque du Café de la plage, lorsque l’assemblée générale antifasciste de Brest a publiquement nommé les troquets Le Cocorico et Le Baroombar comme des lieux où les fafs locaux pouvaient se réunir.

Le 15 novembre, une grande partie de la famille s’est de nouveau réunie dans un bar non loin de la place Guérin — lieu considéré comme le bastion de la gauche radicale locale. Une vingtaine de gars de la Section West mais aussi de Talion étaient présents, dont Erwan, Kenny, Maxim et Steven. D’abord calme, l’équipe a commencé à lancer des insultes racistes à des passants. Une semaine auparavant, ils étaient une quarantaine dans ce même bar où un homme s’est fait rosser à la sortie de l’établissement. Toujours avec cette même rengaine où il n’y a qu’une bonne réponse : « T’es de gauche ou de droite ? »

Le nom du collectif Talion commence à sortir des seules discussions entre initiés, dans les réunions militantes ou les gradins du stade. Il est même retrouvé dans la bouche d’un gosse de 15 ans, tendance néonazi, qui a menacé un lycéen de son établissement avec un couteau début novembre comme l’a révélé « Le Télégramme ». Ce profil autoradicalisé est suivi de près par les renseignements. D’après nos informations, il n’aurait pas eu de contact avec la bande de Mathis, contrairement à ce qu’il avance. Mais il y a déjà un problème à voir cette bande fasciner des ados paumés et en quête de repères.

Illustration de Une par Mila Siroit.