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    12/09/2014

    La guerre parallèle, les liens avec l’extrême droite et le racisme

    La Ligue de défense juive, en vrai - Partie 3

    Par Johan Weisz

    « De 2000 à 2009, on a fait une boucherie dans Paris », balance Tony Attal qui raconte pour la première fois les coulisses des « grandes heures » de la LDJ. Pendant une décennie, la Ligue a livré une guerre parallèle contre les militants propalestiniens.

    Les traits fins, bronzé et une barbe de trois jours, Anthony Attal se pose avec moi pour une heure d’interview. « Tony » enlève ses gants de moto à renfort carbone lorsque le serveur lui apporte son Perrier. C’est la première fois que celui qui a mené les actions coup de poing de la Ligue de Défense Juive à l’époque de ses « grandes heures » répond à visage découvert à un journaliste :

    « A mon époque, de 2000 à 2009, on a fait une boucherie dans Paris ! On a un imposé un climat de terreur. On les attendait à la sortie des manifs ou des meetings pro-palestiniens et on les tabassait dans les petites rues. J’ai été condamné trois fois, alors que j’ai mené une quarantaine d’actions violentes. »

    Désormais installé dans le nord d’Israël, le trentenaire se marre : « À chaque fois que je passe à la douane à l’aéroport, les clignotants rouges s’allument : “individu dangereux appartenant à l’extrême droite juive” ». L’ancien chef continue à suivre les actions de la nouvelle génération de militants de la Ligue :

    « Les temps ont changé. Aujourd’hui une action menée, ça donne lieu à une garde à vue. A l’époque on faisait des trucs très ciblés, ce que les jeunes peuvent moins faire aujourd’hui. Parce qu’ils nous ont fliqués à mort. A la fin, à chaque fois qu’un pro-palestinien glissait sur une peau de banane, les flics venaient me réveiller le lendemain matin à mon appartement du 11e arrondissement. »

    LDJ vs. Soral

    Je demande à Tony Attal comment se prenait la décision pour mener une action :

    « Je vais te raconter comment on a monté l’opération contre la librairie [du 3e arrondissement] où Soral venait dédicacer son livre. C’était en 2004. »

    « J’étais dans mon lit, je tombe sur un reportage à la télé où Soral nous crache au visage. Je me dis qu’il faut que je lui règle son compte. Deux jours plus tard, il publie une vidéo sur [le site musulman] Oumma.com dans laquelle il annonce qu’il va faire une dédicace de son livre. J’avais trois responsables à qui je donne rendez-vous, on se voit. Chacun prépare son groupe sans savoir quelle sera la cible, pour éviter les fuites. Chaque groupe de 10 personnes se retrouve au métro Filles du Calvaire. On avait un mec infiltré sur place et on attendait que Dieudonné arrive pour se faire les deux en même temps. Mondher Sfar et Ginette Skandrani [deux militants ultras de la cause palestinienne et activistes négationnistes] sortent du métro. Ils nous voient et deviennent tout blanc. On décide de les laisser filer et eux comprennent qu’ils n’ont pas intérêt à aller à la librairie et vont se réfugier dans un café. Au final, on attaque, on est 35 avec barres de fer, matraques télescopiques, casques de scooter, le visage dissimulé. Quand on arrive les 2 videurs blacks s’écartent pour nous laisser passer quand je leur montre l’extincteur que je tiens. Soral se tire [à l’étage]. Nous on pète tout et on tabasse tout le monde. »

    Mais comment se sont-ils procuré ces armes ?

    « C’est comme partir à la plage avec ton maillot de bain ! Tu achètes ça à l’armurerie à République ou aux Puces. Pour Jour de colère, on avait acheté 30 manches de pioches, just in case. »

    Au début des années 2000, alors que la deuxième Intifada fait rage de l’autre côté de la Méditerrannée, Tony Attal et la Ligue mènent une guerre parallèle contre les soutiens de la Palestine en France. Les locaux des associations sont régulièrement mis à sac, on se fritte avec les gros bras de l’autre camp et les audiences au tribunal sont souvent l’occasion pour la Ligue de venir y faire une démonstration de force.

    Et comme au Proche-Orient, il y a parfois des… dommages collatéraux. Comme lorsqu’un agent administratif maghrébin de l’Université de Nanterre est confondu avec des militants d’une asso étudiante pro-Hamas. « C’était une erreur », reconnaît Attal, qui parle aussi de « dommage collatéral » pour s’en être pris à des vigiles pendant une bagarre avec des étudiants au tribunal administratif.


    Peinture La Ligue agresse Olivia Zémor

    Comme la branche américaine, la LDJ ne revendique pas ses actions. Si une action est mentionnée sur les réseaux sociaux, c’est en général soit qu’elle n’a jamais eu lieu… soit qu’il s’agit plus d’agitprop que d’une action passible de poursuites.

    Ainsi ces dernières années, la LDJ a revendiqué l’entartage à la peinture rouge d’Olivia Zémor, 66 ans, responsable d’une association propalestinienne ou encore… un lancer d’œufs sur la façade de l’Institut du Monde Arabe.

    « Certains n’attendent que de se faire taper »

    Le radicalisme de la Ligue fait aussi le jeu de groupes radicaux de l’autre bord, bien contents de pouvoir jouer à la guéguerre sur les bords de Seine. La Tribu Ka et son chef Kémi Séba se sont fait une spécialité de clasher la LDJ par vidéos YouTube interposées. Kémi Séba provoque par exemple régulièrement Grégory Chelli aka Ulcan, popularisé récemment par ses hackings de sites d’actu français.

    «A chaque fois qu’un pro-palestinien glissait sur une peau de banane, les flics venaient me réveiller le lendemain matin » Anthony Attal

    Mais la guéguerre parallèle connaît aussi ses épisodes rocambolesques. Comme ce vendredi soir de mai 2006, quand une vingtaine de membres de la Tribu Ka débarque dans le club de krav-maga du célèbre champion Richard Douieb dans le 9e arrondissement de Paris. Les suprémacistes blacks espèrent tomber sur des membres de la LDJ à l’entraînement. Sauf que c’est le soir de shabbat, pas de membres de la Ligue, ni même Richard Douieb. La Tribu Ka est reçue par un instructeur de krav-maga… chinois.

    Pour les groupes les plus radicaux, clasher la LDJ permet d’obtenir ses premiers galons de moujahid. Thömas Werlet, à l’époque 26 ans, a ainsi droit en 2009 à son coup de pub de la LDJ. Werlet anime un groupuscule « nationaliste et socialiste » de quelques dizaines de membres qui se promènent lookés en miliciens avec blouson noir et béret. Maxime, militant de la première heure à la LDJ, décide avec Jason, Steve et Grégory Chelli, de faire exploser le scooter de Werlet. Le dangereux antisémite devra prendre le métro. « Pour cette action, on avait revendiqué avec un communiqué signé du Mossad ! Ça l’avait bien fait flipper », se souvient Maxime.

    Mais Maxime n’est pas dupe : « Certains n’attendent que de se faire taper ». De l’autre côté de la ligne de front, une avocate militante de la cause palestinienne enchérit : « Un type comme Jacob Cohen, se faire agresser par la LDJ, ça lui fait de la pub ! » L’écrivain (dont le dernier livre est autoédité), a eu droit à une première visite de la Ligue lors d’une dédicace de son livre – à laquelle une poignée de personnes avaient répondu présent. Quelques mois plus tard, la LDJ l’asperge de farine et de peinture rouge… Et c’est l’ascension pour l’auteur « juif et antisioniste » qui grimpe au hit parade de la « dissidence ». Cohen est désormais invité à partager les estrades avec Soral ou Dieudonné.

    Maxime, 30 ans, est un des premiers à avoir suivi Tony Attal dans ses opérations coup de poing en 2001. Champion d’haltérophilie avec la carrure qui va avec, il est un des rares à la Ligue à savoir réellement se battre. Sur le corps, il s’est tatoué les mots d’ordre de la Ligue : « Am Israël Haï », « LDJ », « Kahana was right » ou encore le logo de la « Yid Army », le groupe de supporters de Tottenham.

    « Je me suis donné une idéologie kahaniste », me balance l’air de rien Maxime, qui poursuit :

    « Je suis très extrémiste. Je suis pour une autodéfense radicale. A l’école, en Picardie, on me traitait de “petit youpin”. Je suis tout de suite tombé dans l’extrême car j’en avais marre de ces bâtards. Je suis pro-Baruh Goldstein. Ce qu’il a fait les a calmés pendant une dizaine d’années à Hébron. »

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    Maxime, 132 kilos tout mouillé / Crédits : Maxime

    Les juifs de gauche sont logiquement dans le viseur des disciples français de Kahana. Ils sont juifs et sionistes, mais de l’autre côté de la Méditerranée, ce sont eux les premiers adversaires politiques de l’extrême droite israélienne.

    Pas de raison donc qu’à Paris, ceux que la Ligue appelle joliment des « kapos » ne prennent pas de coups. En 2002, la LDJ attaque le cortège de « La Paix Maintenant » qui défile contre l’antisémitisme et pour Israël.

    «Pour Jour de colère, on avait acheté 30 manches de pioches, just in case» Anthony Attal

    En 2005, les militants de la Ligue interrompent un discours de Shimon Pérès, lors d’un rassemblement communautaire de soutien à Israël, à la Porte de Versailles. Mais cette fois-là, pas de chance, ils sont raccompagnés à la sortie par le service d’ordre de la communauté juive.

    Les dérapages racistes à répétition et les liens avec l’extrême droite

    « On n’est pas racistes, nous » me répète inlassablement Eliahou le vieux chef à chaque fois que je le rencontre, blagounette à l’appui :

    « Est-ce que tu as baisé avec une femme super bonne beur, blanche ou feuj ? Et ben c’est pareil ! ».

    Pourtant même Tony Attal le reconnaît :

    « Ça peut déborder, avec des jeux de regard, c’est souvent des jeunes qu’on essaye de canaliser. Y’avait un petit qui voulait balancer un cocktail molotov sur une mosquée et un groupe isolé qui voulait faire péter une grenade dans le théâtre de Dieudonné. Combien de fois on en a empêché de faire une grosse connerie ? »

    Mais petites et grosses « conneries » il y a bien eu. En marge de manifestations, lorsque des passants maghrébins sont passés à tabac comme lors du défilé à la mémoire d’Ilan Halimi en février 2006. Le slogan kahaniste « pas d’arabes, pas d’attentats » est aussi un grand classique des manifs de la LDJ. Il a aussi été crié par les sympathisants de la Ligue, sous leurs drapeaux jaunes, pendant le discours de Manuel Valls en mars dernier, lors d’une manifestation « contre l’antisémitisme et pour la fraternité républicaine » (sic).


    Souvent, les dérapages sont le fait de bandes de jeunes feujs de la Ligue issus d’un même quartier, de Saint-Mandé ou des Buttes Chaumont (Paris 19e). Là, les intimidations entre bandes feujs et maghrébines qui se jaugent rythment les dimanches après-midi. Il arrive même que la LDJ publie des communiqués revendiquant ces actions. Mais souvent, comme encore dimanche dernier à Saint-Mandé où deux jeunes d’origine algérienne ont été passés à tabac par une trentaine de jeunes juifs, tout commence à cause « d’un simple échange de regards ».

    Coup de couteau contre un « sale gitan »

    Triste « connerie », jugée en 2013 mais jamais rapportée, que celle de ce gamin du 19e arrondissement qui après une embrouille avec un « jeune de la communauté » a rendez-vous avec ce dernier. Il doit le retrouver près du Tib’s, un restaurant cacher de la rue Petit où trainent souvent les loulous feujs du quartier, pour récupérer 200 euros.

    Mais les jeunes de la LDJ en ont décidé autrement. Le jeune, un « gitan » selon eux, ne touchera pas ses 200 euros. Arrivé en scooter avec une copine, le gamin de 16 ans comprend vite que l’affaire tourne mal. Il prend la rue en sens inverse, est rattrapé, frappé, traité de « sale gitan » et prend un coup de couteau dans la jambe.

    Aaron, Yann et Samuel, trois des agresseurs actifs à la Ligue, seront condamnés à 6 mois de prison avec sursis. Mais c’est la confrontation au commissariat, entre les agresseurs de la Ligue et la victime, qui restera dans les mémoires. Devant l’officier de police, le jeune de 16 ans au nom à consonance italienne que les gars de la Ligue ont pris pour un gitan lâche :

    « Mais moi, je suis juif !»

    Si le père de la victime est italien, sa mère est une juive tunisienne. Le « gitan » juif aura apprécié la qualité des « services de protection » de la Ligue.

    La mort de Saïd Bourarach

    Saïd Bourarach trouvera lui la mort au printemps 2010. Le père de famille de 35 ans, vigile au magasin de bricolage Batkor de Bobigny, croise la route de Dan, à l’époque 19 ans et qui évolue dans la mouvance de la LDJ.

    «Deux des agresseurs de Bourarach étaient membres de la Ligue» Maxime

    Le magasin ferme ses portes quand Dan vient acheter un pot de peinture. Le vigile refuse l’entrée à Dan qui appelle ses potes. Les 4 hommes frappent violemment le vigile à coups de poings, de pierres et d’un cric de voiture. Ils s’en prennent à sa chienne, forçant le vigile à ressortir du magasin, pour essayer de la sauver. Une course poursuite s’ensuit et Saïd Bourarach tombe dans le canal de l’Ourcq qui longe le bâtiment. Son corps sera retrouvé le lendemain au fond de l’eau.

    Issu d’une famille ashkénaze de Pantin, Dan porte des dreads blondes et exhibe ses tatouages et son corps musclé sur les réseaux sociaux. Condamné pour menaces de mort sur policier et pour menaces contre un gardien de square, Dan a aussi été interpellé à plusieurs reprises pour possession et consommation de shit. On est loin du gendre ashkénaze idéal. S’il dément aujourd’hui avoir participé aux activités de la Ligue de Défense Juive, ses membres se souviennent bien de lui.

    Pour Maxime, habitué des actions coup de poing de la Ligue, il n’y a pas de doute :

    « Deux des agresseurs [de Bourarach] étaient membres de la Ligue. Le vigile a voulu protéger sa chienne. C’est des petits cons ! Ce genre d’affaires, nous fait passer pour des “racailles”. Or on est des anti-racailles ! »

    Et Maxime d’ajouter :

    « C’est triste. Mais comparer l’affaire Halimi à ça, c’est bien eux ! Dan ne venait pas chercher un musulman. »

    Si Egalité et Réconciliation dresse un signe égal entre la mort de Saïd Bourarach et celle d’Ilan Halimi, sur la blogosphère musulmane ou pro-palestinienne, on s’agace d’abord du traitement médiatique et judiciaire de l’affaire Bourarach.

    « C’est une affaire compliquée, il y a eu une valse d’avocats du côté de la famille et les bandes vidéos montrent qu’effectivement Dan n’a pas poussé physiquement Saïd Bourarach dans le canal », m’explique une source proche de la famille de la victime. « Mais la justice ne veut pas savoir, les médias ne parlent pas de la LDJ et il y aura d’énormes frustrations ».

    Pour une avocate de la cause palestinienne, l’affaire Bourarach marque le manque de volonté de la justice à traiter les affaires à chaque fois que la LDJ est citée :

    « Et quand il y a condamnation, les peines sont mineures et les amendes jamais payées ! ».

    Sur le mur Facebook de la Ligue, la messe est dite :

    « En même temps, pour sauter dans un canal sans savoir nager, faut vraiment être con ! Ou… arabe ! »

    L’alliance avec les « saucissons – pinards »

    L’anecdote vaut son pesant de cacahuètes. A l’époque ou Alain Soral s’était rapproché du FN et de Marine le Pen, celle-ci a appelé Eliahou le boss de la Ligue pour que ses gars cessent de cogner sur Soral. « C’est vrai, je confirme mais je n’étais pas d’accord pour qu’on fasse ce deal », ajoute Tony Attal.

    Quels sont les liens entre la LDJ et l’extrême droite ? Sapés « en blouson et capuche noirs, avec leurs jeans serrés et leurs rangers, ils ont un look de fachos ! », rigole un ancien pilier du mouvement d’extrême droite Ordre Nouveau, avec qui je prends un café près des Champs Elysées. Ajoutez à cela qu’un des boss de la branche action, Philippe Wagner, est un ancien skinhead – qui certes se revendique « antiraciste » – et ça n’aide pas niveau image.

    Eliahou, le pilier de la Ligue, côtoie depuis ses années lycée des membres de la droite nationale. Il a gardé ses contacts, connaît les réseaux, fourmille d’anecdotes sur le milieu. Lorsqu’il croise le député (UDI) Meyer Habib, un ancien membre du Bétar comme lui, ce dernier lui lance :

    « Toi, t’es un vrai, t’as jamais arrêté ! Tu les connais tous ! »

    Des années 1970 à la fin des années 1990, le Bétar n’a pas lâché d’une semelle l’extrême droite. Les meetings de l’Œuvre Française ou le congrès du GRECE sont attaqués, les locaux du FN et les librairies négationnistes saccagés, les militants du GUD passés régulièrement à tabac.

    Mais la création de la Ligue de Défense Juive change tout. L’ennemi n’est plus l’extrême droite mais l’Islam et les « racailles ». C’est l’époque où le « géopoliticien » Alexandre del Valle abandonne les estrades de l’Œuvre Française ou de la Fraternité Saint Pie X pour rejoindre celles de la droite sioniste. Très vite la LDJ renvoie sur son site vers la nébuleuse sos-racailles.org, une galaxie de sites d’extrême-droite. En 2004, la Ligue reproduit un texte du site anti-musulmans France-Echos titré « le nationalisme français et les Juifs » :

    « Les juifs de France se sont trompés d’ennemi (mais ils n’ont pas été les seuls, loin de là), en croyant que le danger qui les guettait était avant tout la droite nationaliste qui commença, en raison de l’arrivé de millions de musulmans sur le territoire, à émerger électoralement dans les années quatre-vingt. (…) Il apparait clairement que la seule alternative qui s’offre aux juifs français qui refusent de n’avoir le choix, dans un proche avenir, qu’entre la valise pour Israël et le cercueil pour la France, est de soutenir les mouvements nationalistes français non-antisémites, car ce sont les seuls qui ont la volonté de faire cesser cette islamisation qui, après les juifs, s’en prendra de toute façon au reste de la population. »

    À partir de là, tout va très vite. La Ligue tente des manœuvres d’approche, avec Pasqua d’abord, à une réunion duquel la Ligue appelle. Puis c’est au tour des élus FN Jean-Richard Sulzer et Marie-Christine Arnautu, une proche de Marine le Pen, que la Ligue incruste dans le défilé pour Ilan Halimi en 2006. Ou encore Philippe de Villiers
    à qui la Ligue apporte son soutien sur son site.

    «Avec Wagner, on voulait s’aider des Identitaires présents pour se faire les mecs de Forsane Alizza» Maxime

    Juin 2010. Eliahou, Philippe Wagner le skinhead « antiraciste » chef de la branche actions de la Ligue et Yossi Ayache, qui le remplacera quelques mois plus tard, se pointent au premier apéro « saucisson pinard » organisé par Riposte Laïque sur les Champs Elysées. Pas de bol Serge Ayoub, le chef des skinheads parisiens, est arrivé avant. Il reconnaît Wagner et la petite troupe de la LDJ est accueillie aux cris de « salut les rats ! » et doit rebrousser chemin.

    Mais quelques mois plus tard, en décembre 2010, la jonction est faite. Aux « assises contre l’islamisation » , organisées par le Bloc Identitaire et Riposte Laïque, la Ligue de Défense Juive emmenée par Philippe Wagner est intégrée au service d’ordre. Et voilà les baby Kahana qui effectuent des rondes autour de l’Espace Charenton pour protéger l’événement. « Avec Wagner, on voulait s’aider des Identitaires présents pour se faire les mecs du [groupuscule pro-jihadiste] Forsane Alizza , qui avaient annoncé manifester contre le meeting du Bloc », raconte Maxime. Main dans la main donc avec Fabrice Robert, le fondateur du Bloc, qui il y a encore quelques années distribuait des tracts négationnistes ou créait le groupe de rock identitaire « Fraction Hexagone ».

    Le « pacte » avec le GUD

    Une alliance tactique avec les identitaires du Bloc, mais également avec les nationalistes du Gud , qui ont leur place forte à la fac d’Assas, que me raconte Maxime :

    « Tout commence pendant une distribution de tracts LDJ devant Assas. On tombe sur [Kevin] Lamadieu, un mec du GUD connu pour avoir tabassé quelques mois plus tôt sur un quai de RER un jeune rebeu qui s’appelait Noredine . On lui a torché la gueule. [Philippe] Wagner s’est fait plaisir avec ses poings américains !

    Le lendemain, je reçois un appel d’[Alexandre] Gitakos , que je connaissais de l’Uni et qui me dit “Max, y’a un mec du GUD qui veut te voir”.

    Je retrouve Edouard Klein [le chef du Gud] à Saint Paul. J’y vais avec mon bombers de l’armée israélienne et accompagné d’une personne avec des gants plombés, bref on est arrivés en mode commando.

    Et Edouard Klein, il s’est chié dessus : il m’a dit “je n’ai pas envie que ce qui s’est passé la semaine dernière se reproduise, nous on n’est pas antisémites, y’aura pas de drapeaux palestiniens ni de keffiehs dans nos manifs”. Je lui ai dit “le jour où vous vous en prendrez à un juif ou à Israël, on vient et on vous dérouille la gueule”.

    On a signé un pacte lui et moi, comme quoi il ne ferait aucun truc antisémite et pendant les deux ans qu’il a gouverné le Gud, il ne s’est rien passé d’antisémite. Mais ensuite, quand Edouard Klein s’est fait dégager du Gud, c’est un holligan du Kop de Boulogne qui a repris le mouvement, et c’est redevenu complètement pro-palestinien. »

    « Les cadres de la Ligue n’ont pas de problème avec l’extrême droite, sauf si elle est antisémite », s’agace un antifa. Et comme pour confirmer, voilà Pierre Lurçat qui publie sur son mur Facebook une affiche de Génération Identitaire, en ajoutant ce commentaire :

    « Juifs et Identitaires, même combat ! »

    La Ligue et ses relais dans la communauté juive

    Depuis l’épisode ultra-médiatisé de la bagarre éclair rue de la Roquette en juillet dernier, les militants de la Ligue de Défense Juive voient leur cote de popularité grimper dans la communauté juive. Et à chaque synagogue taguée ou descente de pro-palestiniens radicaux rue des Rosiers, ça continue à monter.

    Mais dans la petite communauté juive de France – un petit peu moins de 500.000 âmes – les divisions politiques traversent les familles. Une illustration parmi beaucoup est celle de la fratrie Julien Dray – militant trotskyste et fondateur de SOS-Racisme – et Jean-Paul Dray – pilier du Bétar, toujours un casque de scooter sur le bras – dont les points de vue légèrement opposés devaient animer les diners de shabbat…

    Voilà pourquoi entre le soutien affiché à la LDJ et l’opposition déclarée, la rupture n’apparaît pas toujours clairement. Dans les communautés de banlieue, où les cocktails molotov tombent trop souvent sur les synagogues, la Ligue renvoie l’image d’une jeunesse qui garde la tête haute face aux antisémites, sans qu’on n’adhère nécessairement à son idéologie. Et dans les beaux quartiers ou les institutions, on regarde souvent de haut ces jeunes qui passent leurs dimanches après-midi à traîner rue des Rosiers.

    Mais un premier cercle d’associations juives, qui comptent des proches de dirigeants de l’UMP et des personnalités de la communauté juive constituent des soutiens de la LDJ.

    Le premier cercle

    La LDJ n’ayant pas d’existence légale, c’est l’association « Europe Israël » créée en 2010 et dirigée par Jean-Marc Moskowitz qui dépose les demandes de manifestations de la Ligue à la préfecture de police, comme fin janvier place de la Madeleine, lors du rassemblement pour Jonathan Pollard, espion israélien emprisonné aux US. Sur les 45 manifestants qui avaient répondu à l’appel, plus de 25 étaient de la Ligue. En mai dernier, quand un « congrès de la dissidence » devaient se tenir à Bruxelles avec Soral et Dieudonné , la LDJ et Europe Israël avaient annoncé affréter ensemble « cinq bus de militants » pour contre-manifester à Bruxelles. Bus qui n’avaient évidemment jamais pointé le bout de leur nez…

    Une autre association créée plus récemment gravite dans l’orbite de la LDJ : le « Collectif Haverim ». « C’est notre vitrine légale ! », rigole Eliahou, le vieux chef de la Ligue : « Ils voulaient faire quelque chose de plus classique avec des tracts, des campagnes politiques, des discours, alors on les a aidés à monter leur asso ». Une dizaine de jeunes adultes, que l’on retrouve derrière le mégaphone, aux côtés de la LDJ et d’Europe Israël.

    Disposant de beaucoup plus de moyens, l’Union des Patrons Juifs de France (UPJF), qui se revendique comme un « lobby » juif, cherche depuis ses débuts à concurrencer le Crif, qu’elle juge trop modéré. L’UPJF s’est créée dans le tournant des années 2000, en même temps que la LDJ et partage sa vision d’une société française où le poids de la communauté musulmane se renforce. L’association publie depuis 2003 des textes du fondateur de la LDJ sur son site.

    Ouvertement sarkozystes, les dirigeants de l’UPJF sont proches de l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, du député maire du 16e arrondissement Claude Goasguen ou d’Eric Raoult, régulièrement invités par l’association. Un autre ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, est également chouchouté par l’association qui lui a remis un « prix de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ».

    «Le but c’est de voir comment on peut, ensemble, rouvrir le Bétar à Paris» Moshé Cohen

    « Une association nous soutient en sous-main », me confie Tony Attal, longtemps chef de la branche actions de la LDJ. De fait, en septembre 2011, l’UPJF lance un appel aux dons pour payer les condamnations de David, Yoni, Ruben et du hacker Grégory Chelli, 4 jeunes de la Ligue qui avaient saccagé une librairie pro-palestinienne. L’appel se fait sur les ondes de Radio J et les dons « déductibles des impôts » sont à envoyer aux « Amis de l’UPJF » en mentionnant le nom de l’opération : « jeunes en détresse ». Quelques mois plus tard, Gregory Chelli se vantera avoir fait fortune en montant un site porno en Roumanie.

    Du côté des médias communautaires, « Radio J », une des quatre radios juives parisiennes, où est interviewé chaque dimanche le gratin de la politique française, ouvre régulièrement son antenne dominicale à Eliahou, le vieux chef de la Ligue. Sur le net, le site israélien francophone JSS-News soutient ouvertement la LDJ.

    Le vice-président du Crif qui continue à faire le coup de poing

    Ancien du Bétar, Gil Taieb n’a jamais lâché l’affaire. Elu le matin du 2 février dernier vice-président du Crif, il était l’après-midi même talkie-walkie au poing avec une quarantaine d’« anciens » du Bétar, la cinquantaine bien tassée, pour « défendre » un rassemblement pour Israël au Palais Brongniart. Talkies-walkies (de camping), blousons en cuir pour beaucoup, casques de scooter (on ne perd pas les bonnes habitudes), certains ont même ressorti les gants de moto, renforcés au niveau des poings. Il y a les historiques du Bétar, comme Jean-Paul Dray ou Moshé Cohen, ancien boss du mouvement à la fin de années 1980.

    Embrassades. Certains ne se sont pas vus depuis 20 ans :

    « – Qu’est-ce que tu deviens ?
    - Et bah, je suis marié, j’ai deux enfants.
    - Tu te souviens de ce qu’on leur avait mis en 1977 ?! »

    Signe de reconnaissance pour tous ces anciens « Bétarim » : un pin’s Tour Eiffel ! Pourquoi ? « Ca permet de nous reconnaître entre nous en cas de baston ». Tour Eiffel accrochée au revers du manteau, Gil Taieb serre la main aux militants de la LDJ qui forment un groupe plus hétéroclite en contrebas des marches du Palais Brongniart.

    Egalement élu aux directions des deux plus grosses institutions de la communauté, le Fonds Social et le Consistoire, Gil Taieb préside l’« Association pour le Bien-Être du Soldat Israélien ». Autour d’anciens du Bétar, il anime un groupe informel d’« anciens » qui vont sur les mêmes terrains que la Ligue : rue des Rosiers, pour faire des rondes de surveillance ou rue de la Roquette lors des incidents de l’été.

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    Gil Taieb, devant des drapeaux de la LDJ pour Ilan Halimi / Crédits : Benjamin Barda

    Si Gil Taieb n’est pas sur la ligne politique de la Ligue de Défense Juive, il est venu soutenir plusieurs membres de la LDJ lors de différents procès. Et son association, l’ABSI participait à la remise du « Prix Goebbels de la désinformation » initié par Pierre Lurçat.

    Pour cette mouvance incarnée par Gil Taieb, la solution pourrait être une reformation du Bétar en France, qui engloberait une LDJ fragilisée par les menaces de dissolution. « Des rencontres ont eu lieu avec les gens de la Ligue, et le but c’est de voir comment on peut, ensemble, rouvrir le Bétar à Paris », me balance cash Moshé Cohen, le boss du Bétar de 1988 à 1992, désormais installé en Israël, lors d’une visite à Paris. Mais promise depuis plusieurs mois par les responsables du Bétar mondial, la relance du mouvement en France se heurte à des difficultés financières et logistiques.

    Y a-t-il une vie après la LDJ ?

    « Les jeunes qui passent par la LDJ sont des jeunes qui se sont foutus en l’air », s’agace un chercheur spécialiste des mouvements radicaux. « Il y a une différence notable entre ceux qui sont passés par le Bétar dans les années 1980 ou 1990, qui ont reçu une formation idéologique et sont souvent devenus des responsables communautaires, et ceux qui sont passés à la Ligue dans les années 2000 », note un autre observateur de la mouvance :

    « Le passage à la LDJ, c’est surtout l’occasion de grossir son casier judiciaire ! ».

    Un ancien de la Ligue me confie :

    « Ce qu’on a fait, on devait le faire. Mais j’ai foiré beaucoup de choses à cause de mon passage à la Ligue, et j’ai niqué mon image avec ma photo qui circule sur internet. J’aime la France, c’est mon pays , mais pour la sécurité de mes proches, je réfléchis à faire mon alyah [immigrer en Israël] ».

    Depuis plusieurs années, Israël est souvent une solution de repli pour les anciens de la Ligue. Mais pas uniquement par idéologie. « J’ai fait agence de voyages tout l’été » me raconte Elihaou le vieux chef, sur le ton de la rigolade : Plusieurs membres de la LDJ, dont les adresses personnelles avaient été diffusées sur les réseaux sociaux ont dû passer l’été en Israël, parfois en emmenant femme et enfants, le temps que les choses se calment.

    Mais pas que pour les vacances, Israël est aussi un exil obligé pour plusieurs anciens de la LDJ, qui fuient la France pour échapper aux condamnations. Et pas de chance, une fois sur place, l’armée israélienne est réticente à enrôler sous ses drapeaux ces jeunes radicaux !

    Le plus célèbre des exilés de la Ligue est Yossi Ayache, l’incorrigible ancien chef de la branche actions de la Ligue, qui selon les PV d’auditions ne se gêne pas pour traiter de « salope » une fonctionnaire de police pendant sa garde à vue. Ayache a quitté la France alors qu’il était sous le coup d’un contrôle judiciaire avec interdiction de sortie du territoire, avec plusieurs procédures en cours. Désormais installé dans la ville balnéaire d’Ashdod (comme le hacker Grégory Chelli), Yossi Ayache ne peut rentrer en France et est parti dans un égo trip total, avec une page fan facebook à son nom, qui totalise près de 40.000 likes et dont voici la description :

    « Yossi Ayache, chef de la ligue de lutte contre l’antisémitisme, se bat depuis de nombreuses années contre l’antisémitisme dans le monde. Il a créé une organisation de justiciers contre les persécutions des juifs de diaspora. (…) Yossi Ayache est parvenu à sauver de nombreuses vies et est admiré partout dans le monde. »

    Resté à Paris, l’ancien skinhead Phillipe Wagner, qui avait succédé à Attal, est lui retourné à ses anciennes amours, le punk hardcore et… la sécurité privée.

    Et enfin qu’est devenu Pierre Lurçat, l’idéologue et fondateur de la Ligue de Défense Juive, la milice qui fait trembler les dizaines de milliers de manifestants pro-palestiniens et excite les réseaux sociaux ?

    A maintenant 47 ans révolus, Lurçat est paisiblement installé à Jérusalem et vit sa vie de slasheur : Avocat, traducteur, écrivain, blogueur… Pierre « Itshak » Lurçat est même, avec « PIL formation » (ses initiales) formateur au métier d’agent immobilier !

    Et a-t-il toujours la forme ? Sa page fan facebook publique nous rassure :

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/lurcat-fb.jpg

    Lurçat, à l'aise / Crédits : Page Facebook publique du blog "Vu de Jérusalem - 20 minutes"

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