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    06/08/2015

    Ces mecs en ont marre de passer pour des « hurluberlus »

    On a chassé le sanglier à l’arc avec Pilou et sa bande

    Par Franck Berteau , Camille Millerand

    Dans la Meuse, des chasseurs comme Pilou, Jean-Michel et Francis ont troqué leur carabine contre un arc. La discipline est en plein essor mais les archers du dimanche rentrent souvent bredouille. Et ça n’a rien à voir avec leur consommation de pinard.

    Les ronces bougent. A dix mètres de là, Cyril et son œil aiguisé devinent les silhouettes de deux sangliers. Se sentant repérés, les animaux décampent d’une foulée lourde vers une route en contrebas, qui traverse les bois comme un fil à beurre. En leur courant après, le chasseur de 43 ans alerte ses partenaires, camouflés dans les feuillages. Les arcs sont bandés, prêts à décocher. « Attention à droite, à la houe ! » tonne-t-il, en référence à l’outil utilisé jadis par les agriculteurs pour faire déguerpir ce grand gibier de leurs champs. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un signal pour avertir : « Sanglier en vue ! »

    Au loin, deux voitures ralentissent. Le bruit des sabots pressés sur le bitume recouvre le ronronnement étouffé des moteurs. Trop tard. Les bêtes se sont fait la malle. Cyril a juste eu le temps de lâcher une flèche mal ajustée, qu’il s’affaire déjà à retrouver. A cette distance, une balle aurait sûrement suffit. Mais depuis 2004, dans ce bout de forêt périurbaine de Commercy, au sud du département de la Meuse, les armes à feu sont bannies. Par sécurité pour les promeneurs, seuls les archers ont le droit d’y chasser.

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    « Attention à droite, à la houe ! » tonne Cyril, 43 ans / Crédits : Camille Millerand

    20.000 chasseurs français qui jouent aux Sioux

    La mode de la flèche vient des Etats-Unis. Là-bas, plus de 3 millions de chasseurs se la jouent prédateurs originels, à l’ancienne, comme à l’époque où les flingues n’existaient pas, et où l’Homme devait se débrouiller pour se nourrir. Un retour aux sources tendance survivaliste auquel la France n’échappe pas. Légalisée depuis 1995, la chasse à l’arc s’y développe. Elle fait un petit carton dans le quart Nord-Est de l’Hexagone, mais aussi en Sologne. Depuis cette reconnaissance officielle, environ 20.000 personnes ont passé la Journée de formation obligatoire (JFO) qui, associée au permis de chasser, confère à son détenteur le droit de traquer le gibier avec des flèches. Jean-Michel Harmand, président de la Fédération française des chasseurs à l’arc, qui compte 2.500 adhérents, s’enthousiasme :

    « C’est une chasse en pleine expansion, qui plaît aux jeunes. »

    Avec ses 6.000 habitants, Commercy est plus connue pour ses madeleines au beurre que pour ses archers chasseurs. Chaque samedi, entre les mois d’octobre et de février, ils sont une vingtaine à arpenter les 380 hectares qui leur sont réservés, à la recherche des chevreuils et des sangliers.

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    C’est dans un camion frigo qu’ils partagent repas et pinard. / Crédits : Camille Millerand

    Pinard, gamelles et blagounettes

    Le matin, avant les trois coups de trompes qui annoncent le début des hostilités, les archers se réunissent en « rond », près de leur « cabane ». Une benne de camion frigo, achetée à une boîte de transports à vingt bornes de là, est reconvertie en pièce à vivre. C’est ici qu’ils partagent les cafés, les repas, les verres d’eau, de soda et de pinard qui ponctuent leur journée. Sur une table, qui prend toute la longueur de ce quartier général, s’alignent les « gamelles », transportées depuis le coffre des voitures dans des paniers en osier. « Ce que nous recherchons, c’est la convivialité, passer de bons moments entre nous », insiste Francis Gauchotte, le président de « l’association des chasseurs à l’arc de la royale en forêt de Commercy ».

    Engoncé dans sa tenue de camouflage, garnie de feuilles factices qui pendent tout le long de son corps, Francis Gauchotte à un petit air de chef de guerre déguisé en peuplier. Devant lui, des photos de la forêt de Commercy prises depuis un satellite. Il donne ses dernières consignes :

    « Attention aux gens qui se baladent, à pied ou en VTT. »

    « Et aux p’tites joggeuses », lâche une voix, qui fait marrer tout le monde. « Pas de tir à plus de 20 mètres du gibier », poursuit celui qui classe parmi ses meilleures prises un boa de cinq mètres, tué à l’arc au Cameroun, « et pas de tir sur les animaux en déplacement rapide. »

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    Francis donne ses dernières consignes, devant des photos satellites de la forêt. / Crédits : Camille Millerand

    Man versus wild

    On suit la troupe, après avoir enfilé un gilet orange réglementaire, histoire de ne pas être confondu avec un cochon sauvage. Au loin, un chevreuil détale. Trop rapide. Quelques minutes plus tard, c’est encore au tour d’un sanglier d’être dérangé. Cette fois, Pierre, 23 ans, a le temps de réagir. Alors que le grand gibier se sauve devant lui, à une dizaine de mètres, l’électricien au chômage lâche une flèche qui fait mouche. Ça claque en perçant l’animal, qui continue sa fuite.

    Dans les ronces, le chasseur retrouve sa munition coupée en deux, par le milieu. Du sang dégouline le long de la tige, dont l’autre moitié a dû rester plantée dans la proie. Ses mains tremblent. Il transpire. La fierté et l’euphorie se distinguent dans son regard. Un de ces moments d’adrénaline, espéré par tous les chasseurs, vient d’avoir lieu. Encore faut-il que l’animal succombe. « On le retrouvera tout à l’heure, t’inquiète pas mon Pilou », lui promettent ses compagnons. « Pilou », un surnom donné dès le landau par son père qui trouvait que Pierre, ça faisait moche pour un bébé.

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    Pilou, 23 ans, juste avant qu'il ne décoche une flèche à un sanglier / Crédits : Camille Millerand

    Au déjeuner, le jeune homme, d’ordinaire blagueur et volubile, se montre discret :

    « Je suis tendu. J’ai hâte d’y retourner. »

    On dirait un étudiant qui sort d’un examen, et qui attend sa note. A peine se permet-il une vanne, au moment de servir des patates à Cyril :

    « T’en as le droit qu’à une, t’as mal tiré. »

    L’après-midi, après deux heures de recherches avec un chien de sang, dressé pour pister l’animal depuis la zone de tir, le sanglier demeure introuvable. Pilou est dépité. Enervé. Dans l’excitation, cet amateur de moto s’est même pris un retour de branche, et s’est égratigné au niveau de la tempe. « Ne pas retrouver l’animal, cela arrive de temps en temps, explique la bande de chasseur, qui assure que, dans ces cas-là, la bête blessée parvient à se débarrasser de la flèche et à cicatriser. Mais cela nous incite à être le plus précis possible. » En tout cas, personne n’a retrouvé l’autre moitié de la flèche…

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    Malgré un chien de sang, dressé pour pister l’animal, le sanglier demeure introuvable. / Crédits : Camille Millerand

    Bricolos et fans d’Histoire naturelle

    La contrainte matérielle n’est pas pour leur déplaire. Bien au contraire. Pour cette association de chasseurs, viser leurs proies avec l’engin favori de Jennifer Lawrence dans Hunger Games relève même du choix. Cyril, agent technique dans un lycée, qui tire aussi à la carabine comme la plupart de ses compagnons de chasse, résume :

    « C’est une manière de vivre notre passion avec des sensations neuves. Le genre d’émotions qui disparaissent avec la routine. »

    Un peu comme un « gamer » qui déciderait de reprendre à zéro un jeu déjà achevé avec un autre personnage. Cyril, fan d’histoire naturelle, ces documentaires bucoliques pour insomniaques, alterne entre son arc traditionnel en bois et son compound. Sa « Rolls », comme il l’appelle. Cet arc à poulie en aluminium lui a coûté presque 1.500 euros. Il présente l’avantage, en plus de sa vitesse et de sa précision, de pouvoir rester bandé plusieurs minutes, sans que le bras ne se fatigue.

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    Cyril alterne entre son arc traditionnel en bois et son compound, sa « Rolls ». / Crédits : Camille Millerand

    Ce bricoleur attend surtout de pouvoir s’exercer avec une nouvelle arme, fabriquée de ses mains. Depuis plus d’un an, trois heures par semaine, le Mac Gyver de Commercy travaille sur un arc home made. Ses autres hobbies : peindre des natures mortes et sculpter des sangliers dans des blocs de bois. Natif de Sochaux et arrivé en Meuse à l’âge de 4 ans, il consigne les étapes de son projet d’arc dans un classeur, « pour que ça serve plus tard aux copains ». Songeur, il imagine les émotions qui le gagneront lorsqu’il prélèvera du gibier grâce à une arme qu’il aura conçu de toutes pièces. Son rêve. « Cela rendrait la chasse encore plus belle », souffle-t-il, avec un sourire enfantin illuminant son visage rond. L’authenticité et la difficulté supplémentaire qui les rapprochent de leurs ancêtres chasseurs, c’est ce que cherchent la plupart des archers.

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    L’authenticité qui les rapprochent de leurs ancêtres chasseurs, c’est ce que cherchent les archers. / Crédits : Camille Millerand

    Un sport, un vrai

    De leur propre aveu, ces fanas de la flèche sont longtemps passés et passent encore, aux yeux des adeptes de la carabine, pour des « hurluberlus ». Des types tout droits sortis d’un western avec des Indiens, perdus dans un folklore d’un autre temps, incapables de « prélever » du gibier. Francis Gauchotte le constate :

    « Certains ont du mal à imaginer qu’une flèche puisse être mortelle. »

    Des à priori qui tendent à disparaître. Aujourd’hui, sur certains territoires, les archers chassent même aux côtés des disciples de la gâchette. « Ces deux approches apprennent désormais à vivre ensemble, confirme Pierre de Boisguilbert, porte-parole de la Fédération nationale des chasseurs de France. Le temps de l’incompréhension est loin derrière nous. »

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    Trois coups de trompes annoncent systématiquement le début des hostilités. / Crédits : Camille Millerand

    La chasse à l’arc est une discipline exigeante. Les flèches voyagent moins vite que les balles, entre 50 et 90 mètres par secondes, contre environ 1.000 mètres par secondes pour les projectiles d’arme à feu. Il faut anticiper les mouvements du gibier, s’arranger pour s’en approcher le plus possible. Et surtout viser juste, dans les zones vitales de l’animal, afin d’abréger ses souffrances. « L’une des fonctions de notre fédération est de militer pour de bonnes pratiques, argumente Jean-Michel Harmand. L’arc impose la rigueur. Les archers doivent s’investir, s’entraîner régulièrement pour gagner en précision. On ne peut pas décrocher son arme du clou la veille de l’ouverture de la chasse. »

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    « On ne peut pas décrocher son arme du clou la veille de l’ouverture de la chasse. » / Crédits : Camille Millerand

    Clash avec les écolos

    Du côté des « anti-chasse », les condamnations sont vives. Ils s’alarment de la mort douloureuse et lente à laquelle les animaux sont soumis, ainsi que les risques de blessures. « Si l’on doit tuer, une mort rapide nous semble préférable à une lente agonie, défend Nelly Boutinot, administratrice de Humanité et Biodiversité, nouveau nom depuis 2012 du Rassemblement des opposants à la chasse (ROC). Il est tentant de penser que la chasse à l’arc, avec son atmosphère champêtre, est plus écologique. C’est faux. » La militante associative dénonce « une sorte de jeu cruel ». Les « anti-chasse » craignent également que, du fait de l’absence de détonation, la discipline favorise un braconnage impuni, puisque passant inaperçu.

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    « Ça peut-être difficile à comprendre, mais nous aimons les animaux. » / Crédits : Camille Millerand

    L’image du chasseur féroce, obsédé par l’idée d’abattre du gibier, Cyril ne la supporte pas. « Ça peut-être difficile à comprendre, mais nous aimons les animaux, le contact avec la nature, soutient cet hyperactif. C’est ce qui nous anime avant tout. » Dès qu’il a un moment, au cours de la semaine, ce père de deux enfants parcourt la forêt, seul, pour chasser à l’approche ou à l’affût, perché dans un arbre, attendant qu’un chevreuil ou un sanglier daigne se présenter :

    « La chasse est un loisir, bien sûr, mais nous assumons aussi un rôle de régulation du territoire, prétexte le président, géomètre expert de 58 ans. Si nous n’en prélevons pas assez, on se prend des amendes. »

    « Prélever » : le mot pour dire « tuer », dans le jargon.

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    Le gilet orange réglementaire, histoire de ne pas être pris pour un cochon sauvage. / Crédits : Camille Millerand

    Bredouille … Comme d’hab’ !

    Cette saison, les archers de Commercy se sont engagés à prélever 35 sangliers et 25 chevreuils. En moyenne, chacun réussit une à deux prises par an. Guère plus. « Généralement, les gens qui pratiquent cette discipline ne courent pas après les résultats, commente Pierre de Boisguilbert. Ils se satisfont de bonheurs simples, de tirer une flèche ou voir des animaux, et non pas de faire un tableau. » Une vision qui s’éloigne de celle des profanes, pour qui un chasseur, c’est avant tout un compétiteur à la recherche du résultat : c’est-à-dire accrocher dans son salon le plus de têtes d’animaux empaillés possible.

    Alors que le soleil se couche, plusieurs archers s’agglutinent autour d’une grande grille en papier, punaisé à côté de l’entrée du camion frigo. Là, en face de leur nom, ils notent le nombre d’animaux vus, tirés ou tués au cours de la chasse. Aujourd’hui, une dizaine de sangliers ou de chevreuils ont été aperçus, cinq flèches ont été propulsées mais, au final, pas de gibier à cuisiner ce soir. La bredouille. « Oh, vous savez, si on voit des animaux, on est déjà contents », serine Cyril, assis dans la cabane. Même Pilou a retrouvé le sourire. Au milieu de ses compagnons hilares, le jeune homme débite des phrases de sketchs apprises par cœur. Comme la célèbre Palombière, qui raconte une journée à la chasse avec une bande d’ivrognes. A Commercy, promis, juré, personne n’était bourré.

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    Les archers de Commercy se sont engagés à prélever 35 sangliers et 25 chevreuils. / Crédits : Camille Millerand

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