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    28/01/2015

    Depuis 6 mois, elles vivent entre les menaces et les quolibets

    La galère des coiffeuses rebelles du quartier afro de Château d’Eau

    Par Aude Deraedt

    Des menaces de mort ? Voilà ce que subissent les délégués CGT engagés aux côtés des coiffeuses grévistes de Château d’Eau (Paris). Dans ce quartier africain, la tension reste vive depuis que ces sans-papiers rebelles ont monté des piquets de grève.

    « Je vais te trouver, te décapiter. » Ces menaces, ce sont celles reçues par Marilyne Poulain, responsable immigration de la CGT Paris. Depuis mai 2014, elle et son équipe soutiennent le mouvement de grève lancé par les travailleurs sans papiers d’un salon de coiffure-manucure, dans le 10e arrondissement. Un mouvement inhabituel, perçu avec aigreur dans le quartier, temple de la coiffure afro.

    Depuis le début du mouvement des ex-salariés du « 57 », les menaces sont devenues régulières. Lorsqu’en octobre une caméra de France 3 filme le salon de coiffure situé boulevard de Strasbourg, un homme s’approche et lance des menaces de mort à deux représentantes de la CGT et à un militant PCF. Immédiatement, une plainte est déposée. Le suspect, identifié. Et arrêté.

    Au tribunal correctionnel de Paris, lundi, la tension est palpable. L’homme comparaît pour la deuxième fois devant les représentants de la CGT. Une nouvelle fois, il change sa version des faits. Des menaces de mort ? Marilyne Poulain les aurait « inventées ». Le procureur, qui souligne cette inconstance, requiert six mois de prison avec sursis. Le délibéré, lui, est fixé au 9 mars.

    Manifestation devant Matignon

    A la sortie du tribunal, Marilyne Poulain est affligée. Mais pas question de se préoccuper du procès. Il faut agir, et vite. Les sans-papiers qu’elle défend occupent les locaux de leur salon depuis plus de six mois. Et leurs conditions de vie se précarisent chaque jour un peu plus.

    Direction le boulevard Haussmann, où des milliers de salariés manifestent contre la loi Macron. Tracts en main, les coiffeurs du « 57 », aidés par les responsables CGT, alertent les manifestants sur leurs conditions et les invitent à leur prochain rassemblement. Mercredi 28 janvier, à 17 heures, ils réitéreront sous les fenêtres de Matignon leurs requêtes : obtenir une régularisation et mettre un terme à l’exploitation des sans-papiers dans ce quartier, où règne un réseau qu’ils qualifient de « mafia ».

    Ze Story

    Le 6 juin, les 18 employés de ce salon de coiffure-manucure étaient devenus un exemple à suivre dans le quartier du Château d’Eau. Après cinq semaines de grève pour salaires impayés, ils avaient obtenu des contrats de travail. Fait rarissime dans ce quartier, où près de 1.500 travailleurs ne seraient pas déclarés.

    Mais cette réussite était trop belle. En juillet 2014, la sentence tombe. C’est la liquidation judiciaire. Le salon ferme ses portes, « sans même prévenir les salariés», précise Marilyne Poulain. Les contrats n’ont plus de valeur. Les espoirs de régularisation, eux, se sont envolés.

    Pas question de baisser les bras. A peine la liquidation est-elle prononcée que les ex-salariés reprennent l’occupation des locaux. Dans le même temps, ils se tournent vers le pénal et portent plainte, avec l’appui de la CGT pour « faillite frauduleuse », « abus de vulnérabilité », «travail dissimulé » et « traite des êtres humains ».

    Six mois d’occupation et de galère

    « Rien n’a changé depuis septembre », déplore Fatou, 42 ans. Rien, ou presque. Sur la façade du salon, les affiches de la CGT ont été remplacées par des lettres géantes : « local à vendre ». A l’intérieur, deux matelas tapissent le sol du local. Seul un porte-perruque rappelle qu’il s’agissait d’un salon de coiffure. Des dizaines de tracts et d’articles cachent les miroirs. Sur le sol, la poussière s’amoncelle. « Il y a même des petits rats et des souris », précise Fatou.

    Depuis plus de six mois, elle franchit chaque jour la porte du « 57 » et occupe les lieux jusqu’au soir avec une dizaine de collègues. Impossible de laisser le local vide. A tout moment, le propriétaire, qui passe régulièrement, pourrait le récupérer. Et cela signifierait pour eux la fin de leur mouvement. Le 6 novembre, le tribunal de grande instance a tranché : les 18 grévistes ne sont pas expulsables des lieux. Mais pour être certains d’y rester, ils n’hésitent pas à y dormir la nuit.

    Sortir du système mafieux

    « Nous n’avons de salaire. La plupart d’entre nous sont logés dans des centres d’hébergement du 115 », explique-t-elle. Un sacrifice qu’elle est prête à endurer :

    « La lutte est tellement noble qu’on ne peut pas lâcher. C’est pas pour nous qu’on se bat, c’est pour tout le quartier.»

    Ici, dans le quartier du Château d’Eau, Fatou et ses collègues n’ont plus aucune chance de se faire embaucher. Entre le mépris et les menaces, elles savent que leur seule chance, c’est de travailler légalement. « L’objectif, c’est de sortir du système mafieux, renchérit-elle. On a l’impression qu’on ne peut pas appliquer la loi à Château d’Eau. Il faut qu’on tienne pour que ça change. » Mais le plus dur, pour elle, comme pour Aminata, 20 ans, « c’est de ne pas savoir combien de temps ça va durer ».

    Si Matignon accepte de les recevoir mercredi, toutes les deux représenteront leurs collègues. Ce mouvement, il les a certes rapprochées, mais il les a aussi exténuées. « On tient parce que le combat est juste et symbolique », assure Marilyne Poulain. Mais la fatigue et l’abattement se lisent sur les visages, témoins d’un an de combats et de lutte.

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