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    01/04/2015

    Coups de matraques, squat et re-squat

    À Amsterdam, ça se castagne entre étudiants, flics et fac

    Par Matthieu Foucher

    Pour lutter contre un projet de restructuration des Sciences humaines, les étudiants ont occupé successivement plusieurs bâtiments de l’université d’Amsterdam. Entre coups de matraques et intransigeance de l’université, la mobilisation prend de l’ampleur.

    Université d’Amsterdam (Uva), le matin du 24 février. – La Mobiele Eenheid (l’équivalent des CRS) débarque à la demande de l’administration pour évacuer la fac de Lettres et Sciences humaines. L’intervention est musclée, les coups de matraques et de pieds pleuvent sur les étudiants. Bilan : 46 arrestations, principalement des étudiants et Rudolf Valkhoff, 61 ans, prof d’histoire devenu une icône en joignant le mouvement depuis la première heure.


    Video Intervention de la police

    Onze jours plus tôt, armés de sacs de couchage, une vingtaine de militants avait assailli la Bungehuis, un lieu hautement symbolique. Situé sur Spuistraat, la rue des squats à Amsterdam, ce bâtiment Art Déco de six étages vient d’être vendu par l’université au groupe Soho. L’empire hôtelier veut en faire un club privé dédié à la « classe créative ». Arrivés dans la place, les étudiants barricadent l’entrée. La joyeuse troupe y tient quotidiennement ateliers militants, conférences, repas vegans et projections de films. Un petit air de ZAD en plein Amsterdam.

    Contre la financiarisation de l’enseignement supérieur

    « La Nouvelle Université est un collectif autonome, une communauté qui change en permanence : principalement des gens de l’UvA mais aussi des étudiants d’autres sections et des activistes » explique Tashina, étudiante en master d’Analyse Culturelle. En substance une université populaire autogérée.

    « C’est devenu une sorte de franchise de mouvement révolutionnaire qui continue de se répandre ».

    L’objet de leurs griefs ? Profiel 2016, un plan de restructuration annoncé brusquement en novembre et visant les Sciences humaines. Pour faire face à une « situation financière délicate » (7 millions d’euros de déficit estimé pour 2017), la direction prévoit de regrouper en un seul programme les « petites langues » (Arabe, Hébreu, Tchèque, Polonais, Italien et Grec moderne) jusqu’alors indépendantes. Conséquence : 98 licenciements, selon le quotidien Néerlandais Het Parool.

    L’adversaire des squatteurs? Le College van Bestuur, comité exécutif de l’UvA. Selon les opposants au projet, les sages auraient, pour renflouer les caisses, bradé l’indépendance de la recherche et précarisé le corps professoral. Le collectif réclame plus de démocratie, de transparence, et une approche participative dans la gouvernance des universités.

    Nouvelle occupation

    L’évacuation de Bungehuis et les coups de matraques ne semblent pas avoir douché les mécontents. Les dommages et intérêts démesurés demandés par l’université – elle réclame un temps 100.000 euros par personne et par jour d’occupation – n’ont fait qu’attirer de nouveaux supporteurs. Le lendemain de l’expulsion une marche de soutien aux squatteurs arrêtés réunit plus de mille personnes.

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    Démocratie directe à Maagdenhuis. / Crédits : Matthieu Fourcher

    Après quatre heures de manif, la foule s’amasse devant « la Maison des Vierges » (la Maagdenhuis), siège de l’université situé dans un ancien orphelinat pour filles. Un moment de relâchement de l’équipe de sécurité, dépassée par les évènements, suffira : les manifestants forcent la porte et investissent les lieux par centaines. Une fois encore, tout un symbole : la bâtisse de brique massive, plantée sur la place Spui, est célèbre pour avoir été occupée en mai 69 !

    En direct à la télé

    En quelques minutes, La Nouvelle Université déploie ses bannières. « Qu’ils nous chassent encore d’ici, on en occupera d’autres ! » lance un étudiant bravache, acclamé par la troupe hilare. En haut lieu pourtant la nouvelle fait moins rire : découvrant l’invasion en direct sur la chaine locale AT5, le comité exécutif débarque pour débattre avec l’assemblée. La pression monte quand Louise Gunning, présidente de l’UvA, accuse les manifestants d’avoir malmené un membre de la sécurité et leur reproche « leur violence ».

    Le maire d’Amsterdam Eberhard van der Laan (du Parti Travailliste) intervient à minuit. Il réussit à calmer les ardeurs belliqueuses : décision est prise de ne pas évacuer le bâtiment et de relocaliser provisoirement l’administration.

    Chez les étudiants, le ton change aussi : on ne parle plus « d’occupation » mais « d’appropriation ». Les W.C. sont désormais non-genrés. Sur la porte une affichette proclame :

    « Fuck transphobia : it’s just a toilet ! »

    Comme à la kermesse

    Si la Bungehuis, forteresse assiégée, n’était accessible que par les fenêtres du rez-de-chaussée, la Maagdenhuis, où l’on entre comme dans un moulin, fait presque figure de centre social : étudiants, enseignants, journalistes, familles, élèves du secondaire escortés par leurs profs et même quelques touristes égarés s’y pressent avec curiosité. Séminaires, ateliers ou conférences reprennent. Un mélange des genres qui donne lieu à des scènes cocasses. Certains visiteurs trébuchent parfois sur un squatteur endormi.

    Les portes sont désormais grandes ouvertes, pour le plus grand bonheur des médias et d’une partie de l’opinion. Si cette nouvelle ligne a fait grincer quelques temps les dents des activistes plus radicaux à l’origine de la première occupation, agacés de voir leur révolution transformée en pique-nique culturel, elle a pourtant ses avantages. Un doctorant nous explique :

    « Au fond, la Nouvelle Université se réalise ici, elle est mise en pratique au fil des présentations, des workshops, des projections et des assemblées. »

    Et de préciser qu’il n’a « pas du tout l’intention de partir. »

    Chomsky en soutien

    L’appropriation de Maagdenhuis, largement relayée aux Pays-Bas, a en effet permis de mobiliser : professeurs, doctorants et employés de l’uni ont rejoint les protestations et communiqué une liste de revendication à la direction. Nombreux sont les enseignants qui désormais délocalisent leurs cours au sein du bâtiment squatté.

    Les soutiens se multiplient : à l’international, le philosophe américain Noam Chomsky, la sociologue Saskia Sassen et la théoricienne du genre Judith Butler apportent leur soutien. David Graeber, anthropologue anarchiste enseignant à la London School of Economics et figure de proue d’Occupy Wall Street vient même spécialement de Londres pour une conf’ :

    « Il y a encore 20 ou 30 ans, quand on parlait d’université, on faisait référence aux facultés, au staff. Aujourd’hui quand on dit “l’université” on parle de l’administration. C’est significatif non ? Nous ne sommes plus une communauté de savants mais un business ! »

    Des concerts de rap, d’afro-beat ou de funk sont aussi organisés. Et l’artiste engagé Jonas Staal est venu avec ses équipes pour bosser sur la com’ visuelle.

    La direction fait marche arrière

    Face à l’ampleur du mouvement, la direction fait marche-arrière et promet de débloquer des fonds pour préserver les petites langues au moins jusqu’en 2018. Elle publie également une liste de dix propositions allant de la « transparence totale sur les finances » au maintient « hall de la Maagdenhuis comme lieu de débats ».

    Des concessions qui ne suffisent pas à stopper le mouvement. Le 13 mars, une nouvelle manif a donné lieu à des confrontations avec la police. Deux personnes ont été interpellées. Certains profs continuent la mobilisation : une potentielle grève serait en préparation.

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    Les flambeaux anarchistes illuminent la Spuistraat. / Crédits : Matthieu Fourcher

    Alors que des antennes de La Nouvelle Université fleurissent dans plusieurs villes des Pays-Bas et même à Londres, les militants les plus radicaux espèrent faire muter le mouvement en une contestation plus globale contre l’austérité.

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