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    26/10/2015

    Des Veilleurs à l’« écologie intégrale »

    Gaultier Bès : catho-pop et écolo-réac

    Par Ornella Guyet , Michela Cuccagna

    Gaultier Bès, 27 piges, est l’une des figures intellectuelles montantes d’un catholicisme new-look et décomplexé. Son truc : lier écologie et valeurs conservatrices. Ce militant anti-mariage gay vient de lancer Limite, revue d’ « écologie intégrale ».

    Dreux (28) – Gaultier Bès de Berc nous file rencard devant un café situé dans une rue discrète à deux pas du centre-ville :

    « Je voudrais éviter d’être vu par mes élèves en compagnie de journalistes. Je tiens à séparer mes activités politiques de ma vie professionnelle. »

    Pas de bol, l’estaminet est fermé ce samedi matin. C’est finalement à la terrasse d’un restau italien que StreetPress se pose avec le co-fondateur de la revue Limite, qu’il a lancée avec la jeune garde ultraconservatrice catholique. Cheveux blonds vénitiens, barbiche et lunettes, le prof de lettres de 27 ans affiche un look d’enfant sage.

    Son activisme politique débute avec le mouvement des Veilleurs qu’il co-fonde à la fin 2012. Aux quatre coins de la France, ces jeunes militants issus de la Manif Pour Tous, organisent des veillées de rue, bougie à la main. Ils entendent ainsi protester contre la loi autorisant le mariage aux couples de même sexe.

    Un engagement qui lui vaut d’être médiatisé. Gaultier décide de se débarrasser de sa particule, parce que c’est « pénible quand les gens imaginent que vous êtes d’un milieu social privilégié quand ce n’est pas le cas ». Et de décrire des ancêtres ayant appartenu à la petite bourgeoisie de province, entre les Cévennes et le Gévaudan, un père artisan qui travaille dans le secteur du bois énergétique en Bourgogne et une mère psychomotricienne.

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    Avec ses potes Veilleurs, il a tenté de débarquer à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. / Crédits : Michela Cuccagna

    Pèlerinage raté à Notre-Dame-des-Landes

    A l’été 2013, Gaultier Bès fait parler de lui, lorsqu’avec les Veilleurs toujours, il organise une marche entre Bordeaux et Notre-Dame-des-Landes. Objectif de l’initiative de la bande: construire une convergence des luttes entre les anti-mariages gay et les zadistes. Le prof de lettres se prend à rêver :

    « Nous avions pour projet de créer une passerelle de rencontres sur nos difficultés, nos buts, nos moyens et de partager ces thèmes au sein d’un milieu [les Veilleurs et la Manif pour Tous, ndlr] a priori pas sensible à ces questions. »

    Malgré une dégaine de barbu à keffieh qui fait qu’un gauchiste aurait pu lui donner le bon Dieu sans confession, l’opération de l’ancien scout unitaire s’est terminée en eau de boudin.

    Arrivé à Couëron, une petite ville située entre Nantes et Saint-Nazaire, la trentaine de Veilleurs se réunit sur la place du village, où ils sont – selon Bès – attendus par « un comité d’accueil composé de gens très virulents. » Dans sa bouche, la suite est haute en couleurs :

    « On a essayé de parler, on leur a même filé à bouffer, mais ces gens étaient extrêmement violents, j’ai reçu un coup, des lunettes et des téléphones ont été cassés. »

    Les zadistes auraient même demandé à la police d’exclure la troupe de cathos en classe verte :

    « C’est le monde à l’envers ! On leur disait : “Alors, c’est fini Acab ? [All Cops Are Bastards, ndlr]” En face ils beuglaient et poussaient des cris de singe, j’ai trouvé ça hallucinant, alors que nous étions juste des jeunes gens emmerdés nous aussi par les flics. »

    L’aventure de Gaultier Bès semble avoir bien moins marqué les militants écolos. Contactée par StreetPress, l’Acipa, principale association de lutte contre le projet d’aéroport, explique « ne pas avoir accordé d’importance » à cet événement, se contentant d’écrire une lettre aux Veilleurs pour leur expliquer qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Une logique que Gaultier Bès ne comprend pas :

    « Ces gens étaient mal renseignés sur nous, ils pensaient que nous étions des nazis, ils ont réagi comme si nous étions une menace fasciste. »

    L’union sacrée

    Lui prône un dialogue sans frontières. En mars 2015, il est ainsi l’invité d’Alain de Benoist sur le webmédia d’extrême droite TV Libertés. « C’est un homme au parcours très complexe, se défend le jeune prof de lettres. Je n’ai jamais lu ou entendu chez lui de propos haineux, racistes ou intolérants, ce qui est la condition pour que je travaille avec quelqu’un. » De Benoist est pourtant l’un des intellectuels les plus influents à l’extrême droite depuis les années 1960.

    Le jeune homme, intellectuel montant d’un catholicisme qui se veut à la fois conservateur dans ses idées et moderne dans sa manière de les exprimer, affiche des références hétéroclites. « J’apprécie les intellectuels qui ont la faculté de ne pas s’enfermer dans un camp comme Georges Bernanos ». Cet écrivain, militant de l’Action Française, avait par ailleurs dénoncé le franquisme. Il pioche aussi à gauche, citant en vrac le journal Fakir pour sa Une « Devenez bio’lchevik » et même le Comité Invisible de Julien Coupat.

    « Je n’arrive pas à me situer dans le clivage gauche-droite, explique-t-il. Aujourd’hui tout est brouillé, il faut clarifier, trouver de nouvelles oppositions. »

    Selon lui, l’opposition la plus pertinente est celle « entre productivistes et décroissants ».

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    Gaultier Bès n'hésite pas à prendre la défense d’Alain de Benoist, « un homme au parcours très complexe ». / Crédits : Michela Cuccagna

    Engagement local

    Gaultier se reconnaît dans la décroissance :

    « C’est bien d’avoir un mouvement qui met le problème sur la table si nettement. »

    Il se revendique « locavore » – il ne consomme que des aliments produits localement – et « en transition vers le végétarisme ». Il insiste aussi sur ses amitiés vertes : le rédacteur en chef de La Décroissance, Vincent Cheynet, « est un ami » tout comme le candidat Europe Écologie aux prochaines régionales, Mohamed Bougafer. Avec ce dernier, il anime l’Amap locale. Bougafer est ravi de nous parler de son copain catho :

    « J’agis avec les bonnes volontés, mes actions avec Gaultier n’ont rien de la politique politicienne, il s’agit au contraire de politique au sens noble du terme »

    Au-delà de l’amour des légumes, les deux hommes partagent un certain goût du religieux – Bougafer est fondateur de l’association musulmane Alif – et une opposition au mariage pour tous, même si le représentant local d’EELV admet qu’il faut appliquer la loi :

    « Je ne m’exprime pas sur ce sujet, puisque sinon je serais obligé de donner la position du parti avec laquelle je ne suis pas d’accord. On ne peut pas être d’accord sur tout. Chez EELV, on a droit à l’objection de conscience. »

    Gaultier de son côté est prêt à apporter sa voix au candidat Bougafer lors des régionales :

    « Mohamed Bougafer est un ami dont j’admire l’engagement et je voterai très volontiers pour lui. Cela ne veut pas dire que j’adhère à son parti. »

    Toujours ensemble, les deux hommes participent à l’animation d’une association de soutien scolaire, Initiatives Citoyennes Nouvelles. Depuis que la mairie de droite lui a retiré ses locaux, celle-ci donne des cours entre la mosquée, une église et le Cercle Laïc. Bès enseigne ainsi bénévolement le français à la mosquée le vendredi; sa femme, Marianne Durano, la philosophie le mercredi au Cercle Laïc et Bougafer les mathématiques à l’église Saint-Michel le jeudi.

    Sa définition de la laïcité, le normalien qui enseigne dans un lycée public va la chercher dans la Bible :

    « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. »

    Et il ajoute, fier d’enseigner à des élèves de toutes origines :

    « Je vis très sereinement ma foi dans une société ouverte, libre, multiculturelle et multiconfessionnelle. »

    Ecolo catho

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    C’est par la religion que Gaultier Bès s’est intéressé à l’écologie. Alors jeune étudiant à l’ENS, il rencontre le père Michel Durand. Ce curé lyonnais est un ancien prêtre ouvrier et le fondateur de l’association Chrétiens et Pic du Pétrole. Le jeune catho vert de détailler :

    « J’ai toujours vu dans la nature l’œuvre de Dieu. Et puis, je suis passé de cette écologie spontanée évidente à une écologie militante. »

    Gaultier Bès est un partisan de « l’écologie intégrale ». Ce concept popularisé par le pape François entend penser l’écologie non seulement comme la protection de l’environnement mais aussi comme un ensemble s’intéressant à tous les aspects de la vie en société, moraux y compris. Pas d’OGM et pas de mariage gay, la boucle est bouclée.

    Une théorie que Gaultier développe dans son livre Nos limites (jeu de mots avec l’anglais « no limit » ), dans les colonnes du Figaro ou de Boussole, une revue soutenue par des personnalités de la Manif pour Tous. Fin août, le jeune activiste a également pris part aux Assises chrétiennes de l’écologie, une manifestation résumée ainsi par le journaliste catholique Patrice de Plunkett sur son blog :

    « On voyait dans les forums des piliers de la Manif pour tous discuter avec des déçus d’EELV et des militants de Chrétiens unis pour la terre, les jeunes de Limite tenir un stand à côté d’Attac. »

    Limite, revue écolo-catho

    A cette occasion Gaultier et sa bande présentent leur nouveau projet : la revue Limite, dont le premier numéro tiré à 3.000 exemplaires (en cours de réédition) est parue début septembre aux éditions du Cerf. Le gros de la revue est consacré à la décroissance avec, en guise d’intro au dossier, un édito de Gaultier Bès titré « Produire moins pour se reproduire plus ».

    Chez Limite, on est catholique mais décomplexé, et on ose des titres tels que « Comment baiser sans niquer la planète ? ». Un article qui tutoie la lectrice, cette « petite jouisseuse des temps modernes ». Si le ton se veut jeune, l’idéologie elle, est des plus conservatrices : anti-capote, anti-sextoys et anti-contraception. « Nous voulons faire l’amour en paix, sans devoir acquitter la dîme à l’industrie de la contraception et du sexe ludique », proclame son auteure, Marianne Durano, l’épouse de Bès. Elle tient également… la « chronique féministe » de la revue.

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    Gaël Brustier, chercheur en science politique. /

    Côté plumes, on trouve le catho tradi se revendiquant « anarchriste » Jacques de Guillebon, l’ancien de L’Huma Kévin Victoire, la journaliste du Figaro Eugénie Bastié… Cette dernière, co-fondatrice de Limite, a fait parler d’elle lors de son passage dans l’émission de Taddeï. Sur le plateau elle lance à Jacques Attali :

    « L’immigration n’est pas une chance, c’est un drame, une tragédie. »

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