Paris 3e, non loin de la Place de République – Les aventures de Hamza, réfugié syrien qui veut devenir astronaute, les confessions d’un CRS marqué au fer rouge par son expérience à Calais, ou la chronique de l’expulsion de la partie sud de la Jungle… Sur leur blog hébergé par le journal Le Monde, Lisa Mandel et la sociologue Yasmine Bouagga racontent le quotidien de la Jungle de Calais, le plus grand bidonville d’Europe.
Une chronique dessinée que l’artiste et la sociologue publient chaque midi du lundi au vendredi. « Quand on n’est pas ensemble à Calais, on s’appelle le matin pour décider ce qu’on va traiter », sourit Lisa, posée dans un canapé olive au premier étage de son atelier parisien. Elle ajoute :
« Avec les Nouvelles de Calais, on se pique aussi à faire de l’enquête. C’est autant du dessin que de la socio ou du reportage. »
Bientôt en version papier chez Casterman. / Crédits : DR.
Grosse Claque
Tout commence il y a 4 mois dans les locaux de France Inter. Lisa partage l’antenne avec Laurent Cantet. Le cinéaste vient de lancer l’Appel de Calais, une pétition signée par de nombreuses personnalités dénonçant les conditions de vie à la Jungle. Il propose à la dessinatrice de se rendre à Calais :
« J’avais envie d’y aller depuis longtemps mais il me manquait une porte d’entrée. »
La jeune femme, aux impeccables souliers noirs, avait signé en 2010 une BD-enquête sur les réfugiés en détresse psychique pour le Monde Diplo.
Yasmine Bouagga et Lisa Mandel posey sur un banc. / Crédits : Tomas Statius
Ni une ni deux, elle passe un coup de bigo à Yasmine. Cette jeune sociologue en connaît un rayon sur la question. Pour son mémoire de master, elle a vécu en immersion avec des réfugiés palestiniens avant de réaliser un doc sur un camp de Roms à Montpellier quelques années plus tard. Début février, elles débarquent toutes les deux à Calais pour la première fois. Pour Lisa, l’atterrissage est plutôt rude :
« On a pris une grosse claque et une grosse honte. J’ai eu l’impression d’être dans un autre monde. On ne s’attendait pas à voir ça chez nous. »
Même son de cloche pour Yasmine. Passé le choc des premiers jours, elle garde des images indélébiles de certaines moments passés dans la Jungle :
« Un jour je me suis retrouvée chez un ami dans la zone Nord. On buvait le café au soleil couchant. C’était le printemps. Puis on a vu des rats qui se faufilaient entre les tentes. C’était très bucolique comme moment »
La Jungle en vrai
Lisa et Yasmine annoncent la couleur. Elles veulent raconter la Jungle en vrai, pas se noyer dans d’interminables débats politiques. « On part toujours des rencontres qu’on fait sur place », détaille Yasmine. En sociologue, la jeune femme aux petites lunettes rondes rêve de pouvoir discuter avec des dockers, des routiers ou des Calaisiens parfois en colère. Pour elle, tous ont leur mot à dire sur la situation :
« Notre travail, c’est aussi d’aller au plus profond et de comprendre les logiques sociales. »
La jeune femme espère aussi pouvoir analyser les phénomènes sociaux qu’elle observe sur place :
« Un camp de réfugiés, comme une prison ou tout espace social confiné, produit des rumeurs. À Calais, elles sont quotidiennes. »
Oh les jolis dessins! / Crédits : Tomas Statius
Accros à Calais
Quand elles parlent de Calais, Lisa et Yasmine sont intarissables en anecdotes : le café qu’elles ont bu dernièrement chez les Bidounes (des nomades venus du Koweit) ou le portrait des Iraniens en grève de la faim que Lisa a réalisé : « C’était très gênant. J’étais assise entre un prêtre et un réfugié qui avait la bouche cousue. C’était très bizarre. » Yasmine est toute fière de nous dévoiler sa dernière trouvaille :
« Il y a un hammam à la Jungle. Ça coûte 10 euros mais tu peux rester toute la journée. Il faut qu’on y aille… Je me demande comment ça se passe. »
(img) Premier jour dans la Jungle
Tantôt dessinatrices, tantôt interprètes, tantôt conductrices… Dans la Jungle, Lisa et Yasmine commencent à faire partie des meubles. Comme d’autres, elles sont devenues accros. Yasmine confesse :
« J’ai du mal à décrocher. Je suis partie en Tunisie pour un autre projet. Je suis restée 10 jours au lieu de 2 semaines. Je n’arrêtais pas de recevoir des nouvelles de Calais. »
En mai, les 2 femmes publieront l’ensemble de leurs aventures dans la Jungle chez Casterman. Ensemble, elles dirigent la collection Sociorama, spécialisée dans les enquêtes sociologiques sous forme de BD. Mais pour Lisa et Yasmine, pas question de déserter la Jungle après publication :
« C’est impossible de quitter la Jungle. J’ai du mal à me dire que je n’y retournerai plus. »
Yasmine devrait d’ailleurs poursuivre l’enquête. Mais seule cette fois.
Retrouvez leur blog sur Le Monde.fr.
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