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    04/01/2017

    « Sur mon coeur tu as fait un attentat »

    Fanfictions : quand les adolescentes fantasment sur les djihadistes

    Par Inès Belgacem

    Sur la toile, des centaines d’apprenties romancières imaginent des love story à l’eau de rose entre terroriste et jeune fille en fleur. Qui sont ces ados pour qui les djihadistes deviennent un objet de fantasme ?

    « Moi c’est Aliya. Kidnappée par des djihadistes. J’ai appris à le détester, à le haïr mais je n’ai pu apprendre à ne pas l’aimer. Tiraillée par l’amour et la haine. » Le préambule de Le Djihad, une romance façon syndrome de Stockholm, a été lu presque 22.000 fois sur la plateforme Wattpad, dédiée aux fanfictions et chroniques d’apprentis romanciers.

    Ses 42 chapitres mettent en scène une Marocaine de 17 ans et Muhammad, un djihadiste. Après le kidnapping et la séquestration d’Aliya, après qu’elle a été violentée et qu’une bonne partie de sa famille a été décimée, l’histoire des deux protagonistes prend une nouvelle tournure. Ce qu’explique à StreetPress sur Facebook l’auteure, Ouafa*, 17 ans :

    « Elle le déteste, mais quand il la sauve du viol elle commence à le voir autrement qu’un simple djihadiste. Elle commence à l’apprécier, à l’admirer même. Parce qu’il a un truc que les djihadistes n’ont pas : un cœur. Et pendant un instant, il a laissé son cœur le guider. »

    « Il y aura toujours un djihadiste mignon, non ? »

    Les moudjahiddines inspirent. Mariée de force à un djihadiste, Tombée love d’un djihadiste, Saphira, enlevée par des djihadistes, Retiens-moi, Embrigadée… Sur Wattpad, plus de 400 chroniques s’inspirent de l’actualité terroriste. La plupart sont des histoires d’amour impossibles entre une jeune fille en fleur et un wannabe terroriste. Un djihadiste, plutôt que Justin Bieber ? « Bin logiquement, il y aura toujours un djihadiste mignon [dans le lot]… », répond cartésienne Ouafa quand on lui demande, si elle les juge beaux. Au téléphone, Sonia* prend quelques secondes avant de répondre à la même question : « Ouais bof… non. »

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    La belle et le badboy / Crédits : DR

    Quant à Fatou*, elle explique à StreetPress sur Facebook :

    « Malheureusement, ils ne sont pas aussi sexy que dans ma tête :( »

    « La fiction est un fantasme lié à l’adolescence. », relativise Marie-Noël Levardon, psychologue de l’asso Paroles à cœur ouvert, qui vient en aide aux parents dont les enfants se sont radicalisés :

    « A cet âge, nous avons une tendance naturelle à recomposer notre propre histoire, à la réécrire. Ça fait partie d’un processus psychique classique, qui va permettre de sortir du schéma familial et de se construire sa propre personnalité. »

    Pour la psychologue, elles utilisent un « espace romanesque » pour aborder les sujets du moment :

    « Ces fictions permettent de coucher sur papier ce qu’elles ont dans la tête, dans un endroit sûr et sans danger. »

    Mettre à distance l’actualité oppressante

    Sarrah, 16 ans, a écrit Djihadiste : Sur mon coeur tu as fait un attentat. Une love story entre deux jeunes de Seine-Saint-Denis. L’héroïne ne saura pas raisonner son Roméo radicalisé et décide de le suivre en Syrie. « Elle a été aveuglée par l’amour », explique la lycéenne de banlieue parisienne. Avec un débit de mitraillette, l’ado raconte avoir écrit sa chronique deux ans plus tôt :

    « Je voulais que ça soit original, que ça marque les gens. C’était un sujet brûlant, presque tabou. Je trouvais ça bien d’en parler. »

    Les attentats, la fausse prise d’otage à Aubervilliers, autant d’événements qui l’ont « choquée » et poussée à se lancer. Ouafa est du même avis. La jeune femme vit au Mali. Autre pays autre actualité :

    « Le jour de l’attentat à l’hôtel Radisson, mon école nous a lâchés plus tôt et j’ai passé ma journée à réfléchir. J’ai pensé aux nombreuses femmes que ces djihadistes ont enlevées, violées puis tuées dans mon pays. »

    Elle s’imagine « dans la peau de l’une d’entre elles » et décide d’en « faire une histoire ». Une manière de mettre à distance l’actualité oppressante. « Ça passe en boucle à la télé, on en entend parler tout le temps », insiste Camille*, 17 ans. La jeune Canadienne est l’auteure de L’autre Chemin. L’histoire mène son héroïne des quartiers de Montréal à la Syrie, où elle part sauver son cher et tendre. L’ado est un temps obnubilée par le djihad :

    « J’étais très intéressée, j’ai regardé beaucoup de reportages, comme Enquête exclusive, Envoyé spécial, des vidéos de France 24, etc. J’ai fait plusieurs recherches sur le sujet, lu beaucoup de livres dont des pro-Daesh sur le rôle des femmes. »

    Ouafa, Fatou ou Sarrah n’ont, quant à elles, pas vraiment fait de recherches sur le sujet. Dans la plupart des chroniques, le contexte géopolitique est confus. Et si les tueries des djihadistes sont sanglantes et minutieusement détaillées, la situation des femmes de l’EI est souvent fantasmée : elles fument, conduisent, combattent, divorcent et peuvent quitter Daesh assez tranquillement. Une occidentale au djihad…

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    Du djihad et du love / Crédits : DR

    Que du love

    Demeure cette question : pourquoi en parler à travers des histoires d’amour ? « C’est de leur âge. C’est un fantasme, un désir de vivre des histoires extraordinaires », relativise Marie-Noël Levardon. Sarrah et Ouafa expliquent en effet « ne pas se voir écrire autre chose qu’une romance ». Camille, terre à terre, explique :

    « J’ai remarqué que les garçons au djihad était des beaux parleurs et que les filles y vont pour se marier donc j’ai fait un petit mélange des deux raisons. »

    Sans love, point de succès. Sonia, Parisienne de 15 piges, a lu ses premières histoires autour du djihad sur des pages Facebook dédiées, comme Wattpad, aux chroniques amateurs. a href=“https://www.wattpad.com/story/67069737-syrine-dans-les-bras-d%27un-djihadiste”>Syrine – Dans les bras d’un djihadiste a particulièrement retenu son attention :

    « Sur Facebook, les chapitres sont publiés les uns après les autres. Dans la première moitié de l’histoire, le djihadiste est sans cœur. Les lectrices n’aimaient pas ça. Elles disaient qu’il était “trop méchant”. »

    L’auteure s’adapte. « Elle a rendu le djihadiste plus humain et commencé l’histoire d’amour », complète Sonia. Pour ces ados, le djihad est un cadre de fiction parmi d’autres. Elles ne comprennent pas vraiment que l’initiative puisse surprendre, comme le montre la candeur de Ouafa :

    « Les gens ne voient que le côté dangereux des djihadistes. Peut-être que même s’il sont dangereux, certains ont un cœur. »

    Du djihad à PNL

    « Quand j’ai reçu votre message, je me suis dit que vous me preniez pour une djihadiste. Mais j’en suis pas une, hein ! », insiste Sarrah, au téléphone :

    « Je ne connais pas de djihadistes, mais ils me font mal au cœur. Ils sont endoctrinés et perdent leur vie. »

    Les fanfictions, c’est un jardin secret. Si ses amis connaissent sa chronique, ses parents ne sont pas dans la confidence :

    « Ils ne comprendraient pas pourquoi j’écris sur l’amour et le djihad… Surtout l’amour, ils trouveraient que je manque de pudeur. »

    Les quatre romancières en herbe ont grandi dans des familles musulmanes pratiquantes. « Les djihadistes n’ont rien à voir avec l’Islam. Ils utilisent l’Islam pour agir de la manière la plus ignoble », insiste Fatou.

    Faut-il s’inquiéter pour l’avenir de ces ados au cœur grenadine ? « Si ces jeunes filles sont assez fortes, qu’elles ont assez de personnalité, le fantasme reste un fantasme. Mais il y a peut-être certaines ados entre deux, qui pourraient attendre que la fiction devienne réalité », explique Marie-Noël Levardon. Compliqué cependant de donner un avis tranché sur la question sans parler aux adolescentes, nuance la spécialiste. « Je sais ce que c’est l’Islam et je sais ce que ça n’est pas ! », assure Sonia. Son histoire d’amour au Sham n’était d’ailleurs qu’un one shot. Elle a depuis enchaîné sur une nouvelle love story mettant en scène l’un des frères de PNL : Khadija & Nabil.

    *Tous les prénoms ont été changés

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