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    27/03/2017

    Politique du chiffre, pressions et témoignage arrangé

    Comment la police a poussé le CRS Ménard au suicide

    Par Tomas Statius , Nicolas Leblanc

    Lors d'un entraînement, Aurélien blesse accidentellement un collègue. Selon des documents que StreetPress a consultés, sa hiérarchie aurait tenté de lui faire porter le chapeau. Le CRS s'est suicidé. Il n'est pas le premier dans cette compagnie. Enquête.

    Châtel-Saint-Germain (57) – Aurélien Ménard tire trois fois dans le vide avant de retourner le canon de son arme de service, un Sig Sauer 9 mm, contre son menton. Ce jeudi 22 février 2016, il est approximativement 11h30 quand le CRS de 36 ans met fin à ses jours en lisière d’un grand parc qui borde les locaux de la direction Zonale des CRS.

    Pour ses proches, c’est le choc. Comment ce jeune homme joyeux, marié, père d’une petite fille a pu en arriver là ? D’autant plus que le flic venait d’obtenir sa mutation pour le sud de la France, en même temps qu’une promotion qu’il attendait depuis 2009. « Pour moi, c’est le commandant F. qui l’a tué », arrête tout net Emmanuelle Ménard, la veuve du fonctionnaire de la CRS 38 quand StreetPress la rencontre dans sa maison de Guémar (68).

    Une semaine plus tôt, lors d’une séance d’entraînement, Aurélien Menard blesse l’un de ses collègues au visage avec une munition défectueuse que lui aurait fourni l’administration. Mais, comme le montre plusieurs documents et un enregistrement que StreetPress a pu consulter, pour couvrir sa compagnie, le chef de la CRS 38 aurait tenté de faire porter le chapeau au gardien de la paix Menard. « Il pensait qu’il allait finir sa vie en prison », raconte sa femme.

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    Emmanuelle, la femme d'Aurélien Ménard / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    En septembre 2016, fait rarissime, le ministère de l’intérieur reconnaît que le suicide d’Aurélien est imputable à son job de policier. Dans la foulée, Emmanuelle décide de porter plainte contre le commandant de la CRS 38 pour « provocation au suicide »et « harcèlement moral ayant conduit au suicide » :

    « Je ne veux plus que cet homme puisse diriger des CRS. »

    Selon les informations de StreetPress, l’instruction serait sur le point de rebondir. Le 23 février le parquet de Mulhouse aurait demandé un complément d’enquête à l’IGPN. La police des polices devra déterminer la responsabilité de la compagnie dans la mort de l’un des siens.

    Quelque chose de pourri à la CRS 38 ?

    Pour essayer de comprendre le geste d’Aurélien Ménard, StreetPress a enquêté sur la CRS 38. Dans la caserne, les langues se délient. Plusieurs fonctionnaires ont accepté de répondre à nos questions, si nous préservions leur anonymat. Tous accablent le boss de la 38, le commandant F. Certains l’accusent même de pratiques qui confineraient au harcèlement moral.

    Depuis 2010 et son arrivée à Illzach, en plus d’Aurélien deux fonctionnaires de la compagnie sont morts dans des circonstances dramatiques. Le premier s’est suicidé. Le second, anorexique, s’est éteint en 2014 dans son lit d’hôpital.

    La racine du problème pour ces fonctionnaires déboussolés ? La politique du chiffre mise en place par le ministère de l’intérieur et la prime aux résultats exceptionnels allouée chaque année aux meilleures compagnies de France. À la CRS 38, elle est devenue l’objectif n°1. En 2015, selon des informations obtenues par StreetPress, la compagnie a été sur le pont 255 jours. Insomnie, mal être, blessures à répétition… les fonctionnaires sont au bout du rouleau.

    Du côté de la hiérarchie, c’est silence radio : ni le commandant F, ni la préfecture, ni la direction centrale des CRS, ni le ministère de l’intérieur n’ont donné suite à nos demandes d’interview.

    Une balle perdue

    Emmanuelle Ménard se souviendra toujours du SMS qu’elle a reçu le 15 février 2016 aux alentours de 17h. « Je rentre tard, un accident au boulot », lui écrit sobrement Aurélien. Ce jour-là, les CRS de la 38e compagnie sont en formation secourisme. Aurélien est l’instructeur principal. « Il était reconnu pour son implication auprès de ses collègues », rappelle Paul (1), un policier encore en poste à la CRS. Avant les cours, l’homme bûche sur les exercices qu’il proposera en classe. « Il s’entraînait même sur moi », rigole sa femme :

    « Il aimait vraiment ça, il voulait que sur le terrain, les gars puissent avoir confiance en lui. »

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    Dans le pavillon où Emmanuelle habite toujours avec sa fille, Aurélien est partout / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Pour cette journée de formation, le scénario est simple. Des terros attaquent des policiers sur la voie publique. Cette fois-ci, Aurélien campe un assaillant. Il est armé de son Sig Sauer. La mise en scène de l’exercice est soignée : certains flics sont déguisés, d’autres maquillés pour faire croire à une situation de guérilla urbaine.

    Sauf que rien ne se passe comme prévu. Parmi les munitions d’Aurélien, plusieurs balles en caoutchouc, dites « balplast », se sont mélangées aux balles à blanc qu’il devait utiliser. Aurélien tire avec une de ces cartouches et touche l’un de ses collègues au niveau de la pommette. Ce dernier tombe au sol. Il saigne beaucoup. Au milieu de son visage : un trou béant de 1 cm de diamètre. « Aurélien n’y croyait pas. Il est venu mettre ses doigts dans la plaie », raconte sa femme. Dans la troupe, c’est la consternation. « J’étais à 10 mètres, j’ai cru que c’était du faux sang », renchérit Paul :

    « Aurélien, il a tout de suite couru à son casier pour voir s’il s’était trompé de balles. »

    À son retour, pas de doute possible. Les balles qu’il a utilisées sont belles et bien celles que l’administration lui a remises pour l’exercice, ce qu’il écrit dans un rapport daté du 17 février que StreetPress a pu consulter. À 17h, le blessé est évacué vers l’hôpital le plus proche. Aurélien, lui, s’entretient avec le commandant de la compagnie, Sylvain F. « Il voulait le voir en privé », raconte Paul. Au cours de cette discussion, selon ses proches, Aurélien l’aurait alerté sur la provenance des balles avant de lui remettre celles qu’il avait encore en sa possession. À 19h06, le commandant F informe sa hiérarchie par un premier télégramme :

    « Vous précise que munition utilisée lors de cet entraînement est une cartouche à blanc (…) Incident reste inexpliqué à cette heure. »

    A ce moment, le commandant semble savoir qu’il ne s’agissait vraisemblablement pas d’une cartouche à blanc, mais d’une Balplast. Aurélien aurait compris que l’administration allait essayer de lui faire porter le chapeau. 

    Le commandant voulait-il se couvrir ?

    Pour le commandant, pas question de mettre la compagnie en cause. Le 18 février 2016, Aurélien le retrouve une nouvelle fois dans son bureau. Le jeune homme n’est pas en confiance. « Il était persuadé qu’il allait lui faire la peau », se souvient Jean (1), lui aussi policier à la 38. Avec son téléphone portable, il décide d’enregistrer la conversation.

    Entre les deux hommes, la discussion porte rapidement sur la question des balles qu’Aurélien a utilisées trois jours plus tôt. Le commandant F reconnaît à demi-mot sa responsabilité dans l’incident. « C’était des cartouches qui étaient destinées à être détruites ? », interroge Aurélien. Et le commandant de répondre :

    « Oui, Bertie [le brigadier chef en charge des munitions] devait les foutre à la poubelle. Et c’est Mimo [le brigadier chef en charge de la formation] qui a dit attend je vais les tester. Quand Mimo a vu que ça partait, il les a bazardées. Sauf que je sais pas, il vous les a données… bref je m’explique pas comment ça se fait que vous en avez récupéré. »

    Le commandant F reconnaît bien que la munition provient des stocks de la compagnie, ce que confirme Mimo dans un second enregistrement que StreetPress a pu consulter. Ce dernier ne se souvient plus s’il les a données à Aurélien.

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    Profession flic / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Ce 18 février, au fil de la conversation, le commandant F dicte au jeune homme la version officielle qu’il devra défendre devant l’inspection technique :

    « Je vais dire que le chef matériel a vérifié l’ensemble du stock et qu’il n’y en avait plus… que… que… qu’il n’y a jamais eu d’ailleurs [des balplast, les munitions à l’origine de l’incident]. Ça devait traîner dans un fond de tiroirs vide. »

    Cette version, le commandant la livre presque mot pour mot dans un télégramme daté du 18 février 2016. « [Cette cartouche, ndlr] constitue le dernier reliquat de cartouches d’entrainement d’origine inconnue (…) à aucun moment l’unité n’a été dotée de telles munitions. »

    Après cette entrevue, Aurélien est persuadé que l’incident va mettre un point final à sa carrière. « Tous les jours, il allait bosser alors qu’il faisait des nuits blanches », se souvient Emmanuelle Ménard.

    Le jeune homme s’isole. « Je lui ai dit : ton truc, ça va accoucher d’une souris », explique Jean :

    « Il ne m’écoutait pas, il n’était plus du tout dans l’analyse. »

    Aurélien Ménard, le vilain petit canard

    « Tout le monde raconte qu’Aurélien a vrillé à cause de ce qui s’est passé après le 15 février mais ce n’est pas vrai », s’énerve Jean. Selon lui, les tensions sont antérieures :

    « Il était tout le temps en conflit avec le commandant. Psychologiquement ça l’a complètement anéanti. »

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    Ce jeudi 22 février 2016, il est approximativement 11h30 quand le CRS de 35 ans met fin à ses jours en lisière d’un grand parc qui borde les locaux de la direction Zonale des CRS. / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Pour Emmanuelle, tout commence au moment des attentats de Charlie Hebdo. De retour en Alsace après être intervenu à Dammartin-en-Goële, Aurélien est rappelé en urgence par le commandant. « Ils voulaient que les policiers qui étaient restés à la compagnie fassent des exercices de tir. Il fallait qu’Aurélien organise la formation ». Aurélien refuse. Épuisé par son intervention en région parisienne, il est en repos. Avec son supérieur, le ton monte. « Dans la soirée, on l’a appelé quatre fois », se souvient-elle. Quand il raccroche pour la dernière fois, Aurélien a un mauvais pressentiment. « Il était persuadé que le commandant allait lui faire la misère ».

    Brimades, moqueries, avis défavorables pour des stages… Pendant deux ans, Aurélien en voit de toutes les couleurs à la CRS 38. Depuis son arrivée une dizaine d’années plus tôt, le jeune homme est affecté à la première section de la compagnie, « la section d’élite », complète sa femme. Début 2015, le commandant décide de le transférer. Aurélien vit ce « mercato » comme une trahison. « Le commandant a décidé de le déplacer parce qu’il lui tenait tête », décrypte Matthieu (1), un policier qui l’a côtoyé pendant de longues années :

    « On s’était appelé à cette époque. Je crois qu’il m’avait déjà dit qu’il voulait se flinguer. »

    Isolé, le jeune homme n’est plus que l’ombre de lui-même. « Début 2016, je l’ai trouvé changé », se souvient Paul, qui le connaît depuis plusieurs années :

    « Dès que je le voyais dans les rangs, il était en retrait »

    Une compagnie malade de la politique du chiffre ?

    Pour comprendre la situation d’Aurélien, un retour en arrière s’impose. 2010 : le commandant Sylvain F est nommé à la tête de la CRS 38. Il a fait ses classes à la Direction Zonale de Châtel puis dans une compagnie de CRS dans l’Est de la France en tant que lieutenant. À l’époque, il est l’un des plus jeunes commandant de CRS de France.

    Dès son arrivée, l’homme joue carte sur table. « Lors d’un rassemblement, il nous a dit qu’il avait choisi cette compagnie parce qu’on avait manqué la prime de résultats exceptionnels [PRE] plusieurs années de suite », se souvient Matthieu, un policier en poste à Illzach pendant une dizaine d’années. Reconquérir cette prime sera son objectif numéro 1.

    Mise en place par Nicolas Sarkozy en 2004, la prime est censée récompenser les fonctionnaires les plus méritants. Chez les CRS, elle est décernée à l’ensemble d’une compagnie en fonction de plusieurs critères. Notamment la présence de la compagnie sur le terrain, et la formation continue des fonctionnaires. Dans ce dispositif, Aurélien est en première ligne. Il est l’un des formateurs les plus polyvalents de la CRS.

    Dès la première année, les résultats sont au rendez-vous. La 38 se classe parmi les 15 compagnies les plus méritantes. Les fonctionnaires obtiennent un petit bonus de 600 euros pour les gardiens, de plusieurs milliers d’euros pour les officiers. « Les collègues étaient contents », reconnaît le même fonctionnaire :

    « Puis c’est devenu le seul objectif. »

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    Dans la caserne, les langues se délient. Plusieurs fonctionnaires ont accepté de raconter leur quotidien. / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Lever aux aurores pour maximiser les heures sur le terrain, course à la disponibilité, tirs à outrance… La PRE devient rapidement un poison lent infusé dans les rangs de la CRS. « Il l’annonçait clairement aux gradés que tout ce qu’il l’intéressait c’était la prime », reproche Sylvain (1), un ancien de la 38 :

    « Il voulait se mettre en avant, tout ça au détriment de la sécu des fonctionnaires. »

    À la tête de la compagnie, F se donne de plus en plus des allures d’autocrate. Pour Alban (1), un policier qui a quitté la compagnie il y a quelques années, « il se prenait pour Louis XIV ». « Les mecs c’est des seigneurs, ils font ce qu’ils veulent », s’insurge Paul.

    Devant ses hommes, F avoue ne vouloir que des missions « au plus près de soleil ». C’est-à-dire à Paris, à la vue des huiles de la maison police. En 2015, la CRS 38 bat un record avec 255 jours sur le terrain et décroche la première place dans le classement de la PRE. « On était la compagnie la plus disponible » de France assure Sylvain, parti il y a déjà quelques années.

    Lors de leurs jours de repos en Alsace, les policiers doivent également être disponibles pour des séances de tirs qui rentrent dans le calcul de la prime. « Il nous mettait la pression pour faire du chiffre, surtout au niveau du tir », se souvient Sylvain.

    À la caserne, le seigneur de la 38 ne lésine pas sur la mise en scène. Il affiche les résultats pour l’année en cours et joue de la concurrence avec les autres compagnies. Il faut en faire toujours plus. « Il fallait demander une autorisation pour être en arrêt maladie », rit jaune un policier encore à la compagnie.

    Au bord de la rupture

    Selon Matthieu, une petite vingtaine d’années de métier et presque une décennie passée à la 38, dans une compagnie, tout se règle au bar. Chaque soir, dans les chambres, les collègues organisent leur buvette. Autour d’un demi à 1 euro, les policiers refont le monde et débriefent la journée qui vient de s’écouler. À la CRS 38, les bars clandés sont devenus la caisse de résonance du malaise. Autour d’un verre, les policiers débriefent des coups fourrés du commandant. « Il y avait tout le temps des rumeurs. On ne savait pas si c’était vrai. Mais l’important c’est que collègues y croyaient. » Pour ce flic, pugnace et sourcilleux, le commandant a réussi à briser la dynamique collective de la compagnie :

    « Il a réussi à monter les policiers les uns contre les autres. Quand je suis parti, l’ambiance était détestable. »

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    Dans le bar de la caserne, les policiers débriefent des coups fourrés du commandant. / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Plus de sorties, plus de footings collectifs… L’ambiance familiale de la CRS 38 n’est plus. « Quand je suis revenu, j’ai vu que tout le monde allait faire du sport dans son coin. Avant on sortait ensemble », regrette Mickaël (1). « Les gens se referment, on ne se parle plus », abonde Paul. Conséquence directe ? Les demandes de mutation augmentent en flèche. « Je crois qu’une année, on est même monté à 30 demandes de mutation », avance le même fonctionnaire :

    « Sur une compagnie de 150 personnes, c’est quand même pas mal. »

    Depuis la mort d’Aurélien, la situation ne se serait pas franchement améliorée. « Beaucoup ne comprennent pas que le commandant soit toujours en place », rapporte Paul. Pour preuve : un groupe de travail a été mis en place par la médecine du travail. L’objectif ? Apaiser les griefs et permettre à la CRS 38 de retrouver la sérénité. « Il faut arriver à retrouver du liant. On travaille là-dessus », explique le docteur Alice Lecaton de la médecine préventive.

    Pour Paul, dans cette ambiance délétère, le plus difficile, c’est de déceler les policiers en difficulté. « Certains collègues sombrent dans la boisson. On essaie de les entourer mais il ne faut pas le montrer. » Devant son café serré, le gardien de la paix aux cheveux poivre et sel et à la forte carrure ne peut s’empêcher de penser à Bruno. Cet historique de la 38 s’est suicidé en 2012. « Il avait tout préparé : des lettres pour ces enfants. » Pour lui, aucun doute. Si Bruno s’est suicidé, c’est aussi à cause du boulot :

    « Ce qu’on invoque en premier dans le suicide d’un policier, ce sont des raisons personnelles. Dans le cas de Bruno, il y avait aussi un mal-être professionnel. »

    À la CRS, tout le monde était au courant de son état. Des collègues qui faisait la route avec lui jusqu’à son chef de section. « La semaine avant sa mort, il était calme, comme soulagé. » Les yeux de Paul sont embués par les larmes :

    « La police, c’est une machine. Elle vous demande énormément. Mais quand on a donné, on est personne pour elle. On est juste un matricule. »

    « Ma vie s’est arrêté avec lui »

    « J’attend toujours que sa voiture arrive le soir », souffle Emmanuelle Ménard. Dans le pavillon où elle habite toujours avec sa fille, Aurélien est partout. En photo sur un buffet qui prolonge le canapé d’angle. Au mur, dans l’escalier qui mène à la chambre du couple et de leur fille, Agathe. Emmanuelle a tout gardé : son blouson de CRS, sa voiture et même son téléphone portable. Dans la poche de la veuve, deux balles accrochées à un petit anneau font office de porte-clé. L’une blanche, celle qu’Aurélien aurait dû utiliser lors de la séance d’entraînement du 15 février. L’autre bleue, similaire à celle qui a blessé son collègue. « Il a arrêté sa vie. Et il a arrêté la mienne par la même occasion », lâche t-elle finalement.

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    Dans la maison familiale à Guémar / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    Devant un verre de Picon, Emmanuelle raconte calmement les évènements qui ont suivi le suicide d’Aurélien. L’annonce au bureau quelques heures après sa mort. L’impression de pesanteur qui a suivi. La paperasse qu’il faut remplir, en urgence. Dans cet enchaînement infernal, la jeune femme se souvient surtout de son audition par l’IGPN. Deux heures pendant laquelle la jeune flic qui l’interroge ne laisse rien paraître. Au bout de quelques mois, l’enquête est classée sans suite. « C’était une enquête judiciaire », précise Jean :

    « Ils ont juste cherché à savoir s’il s’était suicidé. »

    Seuls les supérieurs hiérarchiques sont interrogés croit savoir Matthieu. Pourtant, selon nos témoins, une quinzaine de policiers se sont proposés de témoigner pour expliquer son geste. Aucun d’entre eux ne sera reçu par la police des polices.

    Lors de son audition, Emmanuelle confie également aux boeufs-carottes les documents et enregistrements que StreetPress a pu consulter. L’IGPN n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

    Poussé au suicide ?

    Après avoir fait reconnaître le lien entre le suicide et l’environnement professionnel, c’est désormais au pénal qu’Emmanuelle entend poursuivre sa bataille. « La reconnaissance de l’imputabilité au service, c’est pour la petite. C’est pour qu’on ne lui dise pas que son père était un lâche. » Désormais, elle veut empêcher que le commandant puisse mener des hommes : « Je veux qu’il soit retiré du commandement. »

    Selon des informations de StreetPress, un complément d’enquête a été ordonné à l’IGPN. Contacté par StreetPress, le commandant F a refusé de répondre à nos questions :

    « Ma position de chef m’interdit de répondre. »

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    Emmanuelle a décidé de porter plainte contre le commandant de la CRS 38 pour “harcèlement moral ayant conduit au suicide” / Crédits : Nicolas Leblanc / item

    (1) Le prénom a été modifié

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