Le Zèbre, Paris 11e – Les spots éclairent la scène du « plus petit cabaret d’Europe », QG de la soirée électorale du NPA. 20h30, le seul candidat ouvrier à la présidentielle se faufile entre les militants. « C’est quoi cette chemise ? », lance une femme quand l’adepte du T-shirt en coton monte sur la petite scène :
« Salut à toutes et tous ! Mais c’est vrai que… »
Poutou, lunettes sur le bout du nez, pince sa chemise bleu pâle, affiche un large sourire et poursuit :
« Bon, on va moins rigoler maintenant. »
"Bon, on va moins rigoler maintenant." / Crédits : Sarah Lefèvre
Le Girondin remercie les différents militants qui ont voté « pour nous », pointe l’absence inédite au second tour du PS et des Républicains comme signe d’« une grande crise politique », avant de dénoncer le racisme du FN, « parti capitaliste comme les autres, qui a autant de casseroles que les autres » et « l’imposteur » Macron, « rejeton des banques et de François Hollande ».
Le parti refuse d’appeler à voter pour Macron, comme il l’avait fait en 2002 avec la voix du jeune Olivier Besancenot. Quinze ans plus tôt, le 21 avril, les Français criaient dans la rue leur opposition à Jean-Marie Le Pen et se mobilisaient massivement dans les urnes au second tour. Jacques Chirac écrasait ainsi son adversaire avec 82,21% des voix.
... qui est de trop ! / Crédits : Sarah Lefèvre
Poutou, le candidat du « nous », a affirmé ce soir-là comprendre le vote en faveur du candidat d’En Marche !. Lui s’abstiendra :
« Macron n’est pas un rempart contre le FN, et pour faire reculer durablement ce péril, il n’y a pas d’autre solution que de reprendre la rue contre l’extrême droite, mais aussi contre toutes celles et ceux qui, comme Macron, ont mis en place ou veulent imposer des mesures antisociales. »
Un message qu’il tentera de porter tout au long de la soirée. Si ses troupes l’entendent, sur le plateau de France 2, il prend le mur du Front républicain en plein visage.
Le vote utile « en pleine gueule »
Y’a comme un air de déjà vu au NPA : le score d’abord, un chouilla plus faible qu’en 2012 – 1,1 contre 1,15% – et la ferme conviction que le fameux « vote utile » a tué le jeu dès le premier tour.
Fin de la déclaration officielle, Philippe Poutou ôte ses lunettes, lève le nez vers son public et félicite l’ensemble du parti pour cette « campagne utile » :
« On a vu le décalage entre le score qu’on peut faire et la véritable sympathie qu’il y avait dans la rue. Et ce n’était pas juste “Poutou est sympa”. Ce qu’on disait faisait du bien à plein de monde. »
"Pour nous, en off, je rajouterais quelques mots" (Rires) / Crédits : Sarah Lefèvre
À peine descendu de la tribune, une militante, lunettes et cheveux auburn, s’avance vers lui :
« – Je sais que beaucoup ont voté Mélenchon »
« – Ah ben oui ça, le vote utile, on l’a pris en pleine gueule »
Le NPA termine à la huitième place (sur 11). « Il n’y a pas eu d’effet Poutou comme certains l’attendaient », regrette Mimosa l’une des cinq permanentes pendant la campagne, en charge de la presse et des réseaux sociaux :
« Même des sympathisants habitués à voter pour nous ont avoué qu’ils avaient donné leur voix à la France Insoumise. »
Ce petit score explique sans doute aussi que la « meute » de journalistes n’est pas aussi importante qu’attendue. Parmi la dizaine de médias présents : le JDD, les Inrocks, BFM et France 3 Gironde qui a suivi l’ouvrier de l’usine Ford de Blanquefort depuis le début de la journée.
La petit "meute" de journalistes autour de Poutou. De nombreux médias accrédités ne sont finalement pas venus. / Crédits : Sarah Lefèvre
21h30 passées, c’est l’heure de décoller vers les plateaux TV, indique Jean-Marc Bourquin. Le moustachu grisonnant fait partie du petit cercle de la campagne, comme Mimosa.
Ne pas se résigner
Pas de car Macron, ni de taxi au NPA. Deux voitures pour huit personnes. On s’engouffre à cinq dans une vieille laguna noire. La caisse en a vu d’autre. Alain Krivine, le fondateur de la LCR, ancêtre du NPA, s’en servait déjà en 1999, nous glisse un militant. « Vous savez s’il y a des débuts de rassemblements en France ? », demande Philippe Poutou assis à l’arrière. Sa compagne, Béa, a les yeux rivés sur son téléphone :
« Ça barde place de la Bastille. Y a plein de flics ».
Poutou compte sur l‘émergence d’un nouveau mouvement social en France, à l’instar de la Guyane :
« Même si aujourd’hui le pays penche bien à droite, il y a autre chose qui est enfoui dans l’esprit des gens. Nous, on voudrait aider à ce que ça sorte. Pour ça, il faut s’organiser. »
Difficile malgré tout de ne pas ressasser le si petit butin de la soirée. La star du débat télé à 11, le seul à avoir rappelé les affaires Fillon et Le Pen, comprend l’abstention au premier tour. Pour de nombreux militants du mouvement social, zadistes, libertaires ou jeunes « Ingouvernables » réunis ce dimanche sur la place de la Bastille, voter n’est plus une solution :
« Je trouve ça légitime, mais on aurait bien aimé convaincre ces gens-là parce qu’avec cette campagne nous voulions surtout envoyer un message à la face de tout le monde. »
Et de soupirer :
« Avec 1%, on ne lance pas de message. »
« Zéro confiance en Mélenchon »
La voiture pile. Poutou s’interrompt. « Eh les gars, c’est bien de discuter, mais faut regarder la route en même temps. » Il reprend le fil de la conversation sur les alliances à gauche. L’union sacrée autour de Mélenchon pour asseoir une opposition solide, ce sera « sans nous » :
« Rien de personnel, il fait partie des rares à qui je serre la main. On a même discuté au dernier débat, mais on n’a aucune confiance en lui. »
Les 30 années de PS de « l’insoumis » lui son restées en travers de la gorge :
« Il a toujours dénigré l’extrême gauche ! »
Le NPA s’oppose idéologiquement à la « République une et indivisible », au drapeau, et au patriotisme au profit de l’ouverture des frontières et de la démilitarisation du pays.
À l’approche de France 2, la « sale ambiance » de la fin de campagne revient. Le quinqua se tend en repensant au plateau télé de jeudi, au « désarmement de la police », aux insultes du flic en sortant – « enculé », « ordure ». Et Fred, au volant ce soir-là, d’insister pour rentrer dans le parking, histoire d’éviter de croiser des flics et que ça dégénère encore. La sécu de la chaîne refuse.
Désarmer ça veut dire quoi concrètement ?
« Il ne peut pas y avoir de débat en France [sur la démilitarisation des policiers] aujourd’hui. » Selon lui, les journalistes simplifient ses propos et confondent tout. Poutou hausse le ton avant de sortir de la voiture. Le débat sur le plateau de Ruquier le met encore en rogne :
« Yann Moix me répond : “On est en guerre quand même”… Mais, nous, on ne parle pas de désarmer la police anti-terroriste ! Ils font comme si c’était pareil. »
Le ton monte encore :
« La France doit arrêter de vendre des armes à l’Arabie Saoudite et au Qatar. Pourquoi personne ne dit nous dit : “Ah oui, c’est vrai que de ce côté-là, vous avez raison ?” ».
Aie confiance, crois en moi / Crédits : Sarah Lefèvre
Petits-fours et tapis bleu
22h10. L’un des membres du service d’ordre à l’entrée sort sa check-list Poutou et nous laisse passer. Une caméra sur rail immortalise son arrivée. Tout le monde avance d’un pas pressé. Une hôtesse nous attend au bout du tapis bleu.
Passage en trois minutes à l’étape maquillage. Poutou ferme les yeux, tandis qu’on lui met un coup de fond de teint.
Direction ensuite la loge « VIP » pour de longues minutes. Sur le petit écran, le candidat En Marche ! entonne un discours de Président puis Léa Salamé, qui présente l’émission avec David Pujadas, reprend les mots du favori des plateaux ce soir-là :
« Une voix grave et lucide m’habite, a-t-il dit. En une année nous avons changé le visage de la politique française. »
Patience à France 2 avec Béa, sa compagne. / Crédits : Sarah Lefèvre
« Tu parles avec tous les vieux briscards de la politique qui l’entourent », s’agace Béa, avant de filer au buffet pour demander un peu de vin et de quoi manger.
« Oh merci, vous n’avez pas trouvé plus grosse assiette ? C’est proportionnel au score, c’est ça ? », ironise Philippe Poutou, lunettes sur le bout du nez, quand le serveur lui tend sa pitance. Sourire complice de l’employé. La bande des sept commence à s’impatienter.
Y a-t-il un spin doctor au NPA ?
Le passage, prévu à 22h15, est repoussé. L’équipe a le temps de se préparer. « Nathalie Arthaud, elle fait quoi ? », demande l’ex-candidat. « Elle dit qu’elle votera blanc », répond Camille au taquet. Elle est prof d’histoire à Aubervilliers. Ils tentent aussi d’anticiper les critiques. Camille :
« Philippe, il faut que tu expliques que nous, notre façon de nous battre, c’est dans la rue et pas avec un bulletin de vote tous les cinq ans. »
Jean, informaticien au civil, enfonce le clou :
« De toute façon, on ne défend pas une politique qui va ouvrir un boulevard à l’extrême droite. »
Celui qui attend son tour s’agace :
« Okay, j’ai compris, mais comme d’habitude ce ne sera pas simple à expliquer. La difficulté c’est qu’il va falloir bricoler avec leurs 10 questions en 5 secondes. Le tout dans un climat hostile, comme c’est le cas depuis deux semaines. »
Quand Poutou ne déconne pas / Crédits : Sarah Lefèvre
L’assurance du Poutou de 2017 contraste avec la réserve du candidat de 2012. Le déclic ? La pratique, la prise de parole en public, les plateaux radio ou télé, analyse Jean-Marc. Poutou a fait près de 35 meeting en 2017, plus de quatre par semaine. Le retraité d’ajouter :
« Il y a eu beaucoup de discussions politiques entre nous aussi, en collectif, mais c’est surtout la pratique ».
Une hôtesse ouvre enfin la porte : « Bonsoir Monsieur Poutou, ça y est, c’est à vous. » Elle enchaîne :
« Vous allez me dire « enfin », c’est ça ? Vous n’êtes pas bien là ? »
Béa, Grégoire et Fred sortent avec lui au pas de course.
Le réac et les tocards
22h50. Sous les lampes blafardes de cette nouvelle scène, la chemise bleue se pose à côté du costard noir légèrement satiné de Christian Estrosi. Dix minutes d’attente encore avant de répondre à une première question. Aucune surprise :
« Philippe Poutou, au deuxième tour, appelez-vous à voter pour Emmanuel Macron ? »
Remonté comme jamais, Poutou sort l’artillerie lourde :
« D’abord, vous êtes vache : vous m’avez mis à côté d’Estrosi et vous savez que je suis allergique aux réactionnaires. »
Estrosi lui coupe la chique et balance un crochet du droit :
« C’est vrai que je suis très réactionnaire, mais appeler à désarmer les policiers quelques instants avant qu’un jeune policier se fasse abattre sur les Champs-Élysées… »
Dans la loge, Jean-Marc se recule nerveusement dans son fauteuil. « Il y est allé un peu fort [Poutou]. » L’ex-candidat reprend la stratégie préparée un peu plus tôt et affirme que le combat devra être mené dans la rue.
Comme la majorité des politiques qui défilent devant les caméras de France 2, Cécile Duflot soutient Emmanuel Macron. Elle cherche à le convaincre en douceur.
« – C’est pas vrai de dire que c’est pas grave. Si Marine Le Pen est présidente, c’est irrémédiable. »
« – On dit pas que c’est pas grave ! On ne donne pas de consigne de vote. Moi je m’abstiendrai. Il va y avoir des discussions. Au boulot, ou ailleurs. Évidemment que c’est grave Le Pen. »
Jean-Marc acquiesce. À l’écran, Macron descend tout sourire d’une voiture et se dirige vers un restaurant. Camille s’inquiète :
« C’est pas bon de suivre Emmanuel Macron comme ça. Pour les gens qui votent Le Pen, c’est vraiment le candidat des médias là. C’est dangereux. »
Retour plateau. « Philippe lève les yeux au ciel », observe Jean-Marc en se marrant. Deuxième question de Pujadas :
« – Un dernier mot Philippe ? »
« – On nous dit que pour barrer la route à Le Pen, c’est Macron, mais il a récupéré tous les tocards de la politique, des gens de gauche et de droite. »
Il cite Valls, Le Drian. C’en est trop pour le porte-parole d’En Marche !. Il sort de ses gonds. « Il est 23 h 23… », coupe Léa Salamé. Poutou tente de parler de la Guyane. La voix de la présentatrice couvre la sienne : « Terminez, mais sans mettre en accusation… », bloque-t-elle.
Jean-Marc souffle :
« Bon, ça va, il s’en est pas mal sorti. »
"Vous êtes obligés de porter ça ?" / Crédits : Sarah Lefèvre
De retour du plateau, Poutou n’en revient pas du stop de Léa Salamé. « Elle est horrible avec moi depuis quelques temps. Elle refuse de me serrer la main ! »
Il enchaîne sur la candidate écolo. « Duflot m’a dit que plus elle entendait Macron parler, et moins elle avait envie de voter pour lui », débriefe le candidat du « nous » dans le couloir, en attendant une mini interview de la chaîne télé France Info.
Poutou président !
23h53. On s’en va. La Laguna noire file pour un dernier verre à deux pas du métro Jourdain. Le meilleur souvenir média de Poutou ? Il pense d’abord à ces quelques minutes chez Apathie sur Info qui épuisent un homme en quelques minutes.
« C’est TF1 où ça s’est le mieux passé paradoxalement, dans une formule de 20 minutes pour chaque candidat. Aucune question de dénigrement. C’était respectueux. C’est la seule fois où je ne suis pas ressorti fatigué. Sinon, c’est toujours très physique ! »
L’émission s’appelle « Moi, demain, Président ». Justement, Le Gorafi l’annonce « président de la République dès le premier tour avec 51,1% des voix ». Il se marre. Ce serait quoi sa première mesure, l’interroge-t-on :
« On sait pas ce qu’on ferait. Sans doute supprimer le défilé du 14 juillet. Oui, plus de défilé militaire. »
Quant aux mesures de fond à prendre :
« Supprimer la fonction présidentielle, c’est au programme, mais comment fonder, avant, une véritable démocratie ? Il faut que les gens admettent de s’investir, avec l’idée d’une démocratie directe, sans mandat de plus de deux ou trois ans. »
1h30. Sommeil en vue. / Crédits : Sarah Lefèvre
Pierre Baton et Julien Salingue attendent le reste de l’équipe à la Cagnotte, un rade de Belleville. Les camarades échangent sur ces deux soirées aux antipodes de la capitale. Julien Salingue, sociologue et permanent pendant cette campagne, redoute la com’ à venir du FN durant ces deux semaines :
« La récupération de la lutte de classes dans le but de conquérir de nouvelles voix ouvrières, au détriment du néolibéralisme des banques qu’incarne Macron. »
1h30 – Un mec surgit de la terrasse quand il nous voit nous éloigner. Il revient sur le débat à 11. Lui aurait voulu un Poutou encore plus saignant contre Fillon. Fred le tire par le coude et souffle en aparte :
« C’est le genre de conversation qui peut durer une heure. »
L’ex-candidat s’échappe pour quelques heures de sommeil. A 5h45, un taxi doit venir le choper pour une dernière interview à France Info. Fin de campagne. On saura ce week-end, si le NPA présente des candidats aux législatives. Rendez-vous le 1er mai à la manif de Bordeaux. Retour chez Ford le 2.
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
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