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    04/05/2017

    « Au FN, ils sont fous, ils veulent sortir de l'Europe »

    Au Vésinet, pays de Gattaz et Fillon, on se résigne à voter pour « le socialiste »

    Par Sarah Lefèvre

    Au Vésinet, la ville de la bourgeoisie transilienne, on supporte ardemment Fillon. Au second tour ce sera Macron, mais à reculons. Voyage en terre d’ISF.

    Le Vésinet (78) – Mardi, 13h. Jour de marché plutôt calme dans cette ville résidentielle classée site et monument historique. On est dans la banlieue bourgeoise de l’ouest parisien, à 20 minutes des Champs-Élysées en RER.

    Les maraîchers remballent. L’allure droite et pimpante, Anne Vuchot salue l’un d’eux et repousse avec plaisir l’heure de son déjeuner pour refaire la campagne.

    « Il n’y a jamais beaucoup de surprises, vous savez. On vote à droite ici. C’est notre nature. Moi, j’ai voté Fillon au premier tour. J’étais très contente qu’il gagne les primaires. »

    Ses yeux en pétillent encore. Mascara bleu, veste en laine noire oversize, la retraitée s’empresse d’ajouter : « J’ai toujours voté à droite, mais jamais FN. Attention, ces fous veulent sortir de l’Euro ! ». À 72 ans, elle n’a jamais connu l’alternance ici.

    Dans la ville la plus chère du département, Marine Le Pen a fait un score de « petite candidate » au premier tour : 5,5%. François Fillon, arrivé en tête avec 47,9% des voix, enregistre un score historiquement bas. La droite pèse 85% en moyenne à chaque scrutin. Alors, qu’a-t-il bien pu arriver pour que le candidat de la droite dégringole dans la ville d’Yvon et Pierre Gattaz ?

    Une souris verte, qui courait dans l’herbe

    Emmanuel Macron, en 2e position (31,8%), semble avoir convaincu ici aussi. « La faute au Penelopegate ? », tente-t-on auprès d’Anne. Elle explique sur un ton très doux :

    « Très sincèrement, je pense que ce n’était pas volontaire. François Fillon ne pensait sans doute pas que c’était grave. En plus de ça, Penelope Fillon ne nous a pas coûté tellement cher. Faut arrêter de lui chercher des poux dans la tête. »

    Elle sourit avant de préciser :

    « Et puis, s’il a fait une erreur, c’est d’avoir dit qu’il ne se présenterait pas s’il était mis en examen. S’il ne l’avait pas dit, tout ça ne lui serait pas arrivé. Il a fait une connerie. »

    Anne insiste illico sur ce qu’elle aimait particulièrement dans le programme de François Fillon : « Qu’il soit très rigoureux sur la dette du pays ». Tout est une question d’échelle.

    On chantonne derrière, comme en hommage au candidat déchu : « Une souris verte, qui courait dans l’herbe, je l’attrape par la queue… » Atef Lajili et ses deux collègues empilent les cagettes dans le camion. Le jeune commerçant pose son stand de fruits et légumes depuis 15 ans sur la place.

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    Atef Lajili, 15 ans de marché au Vésinet, vote à Ris-Orangis dans l'Essone, à l'extrême opposé / Crédits : Sarah Lefèvre

    Il confie :

    « Depuis l’affaire de Fillon, les gens sont perturbés. Ils ne savent plus quoi voter. Ils disent que ça va être encore la même chose avec Macron. Mais bon, on n’a plus le choix maintenant. »

    C’est donc le sien pour dimanche. Celui d’Anne aussi, mais elle marche à reculons.

    À quelques mètres sur une terrasse, Frédéric Gozlan lève le nez vers le soleil en sirotant une bière blanche. Un moment plutôt rare pour ce tromboniste qui bosse à temps partiel chez Disney, quand il n’est pas à bord d’une croisière en mer Baltique, concertiste à la Madeleine ou prof au conservatoire. Un « cumulard » qui en a connu des élections, entre son poste de délégué du personnel (Unsa) chez Mickey ou celui de conseiller municipal Divers droites à la mairie. Il a beau être de la même couleur politique que le maire, Bernard Grouchko, il est rarement d’accord avec lui et fait figure de frondeur.

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    Frédéric Gozlan, tromboniste, "bosse à droite à gauche" et a voté Macron. / Crédits : Sarah Lefèvre

    Il ôte ses lunettes de soleil et se rapproche pour ne pas attirer l’attention : « Le maire a soutenu la campagne de Bruno Le Maire, puis celle de Fillon sans trop y croire et là, depuis un mois, il avance de nouveau ! » Ironique, il reprend une gorgée de mousse : « Il a tenté de rejoindre Macron. On l’a vu la semaine dernière discuter avec les militants d’en Marche !, alors qu’il ne vient jamais sur le marché. »

    Frédéric croyait lui aussi en Bruno Le Maire à l’automne dernier. Une copine du conseil municipal, Catherine Bertin, lui avait proposé de rejoindre les soutiens du plus jeune des candidats de la primaire à droite. « Un avant-gardiste » selon eux. Elle a ensuite rejoint l’équipe de campagne de Fillon. Lui a bien été invité à suivre le groupe WhatsApp, mais a très vite lâché le morceau.

    « Assassinat politique »

    On file chez Catherine à 200 mètres de la place du marché. « Eurêka ! », crie-t-elle au boxer qui fonce vers le portail automatique. La propriétaire nous ouvre du haut de son perron, nous installe côté jardin et file nous préparer un café. Il y a un trampoline sur la pelouse.

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    Catherine Bertin est femme avec Fillon / Crédits : Sarah Lefèvre

    Tracts, collage, RER, marchés… Dur dur de redescendre et d’appréhender ce second tour après cette campagne « super dynamique » :

    « On a tellement combattu cette équipe de Macron, que le soir du premier tour, on était un peu dégoutés, découragés. On pensait vraiment que Fillon passerait. »

    La femme au foyer de 47 ans a rejoint le groupe Les Femmes avec Fillon pendant la course à la présidentielle. « On parlait de notre place à nous dans la société. » Et de Penelope ? Un rictus, puis elle rit : « Un peu difficile ce qui s’est passé, surtout que c’était la marraine des Femmes avec Fillon… »

    « Mais jusqu’où peut aller la liberté de parole quand on discrédite quelqu’un alors qu’il joue sa vie pour le pays ? » Emmanuelle Cézard est plus remontée, contre les journalistes surtout, « trop partiaux » et cet « assassinat politique, tout simplement ». Bénévole au QG parisien du candidat LR, elle a côtoyé François Fillon au moins plusieurs fois par semaine et ne tarit pas d’éloges à l’égard de Madame :

    « Moi, je peux vous dire que cette femme, on la voit tout le temps avec lui. Elle est très calme, très douce, très bien élevée, mais ce n’est pas une femme que vous remarquez dans un bureau, tant elle est discrète. »

    Frédéric Gozlan de son côté :

    « Ici, on n’est pas loin de tout en haut, du pouvoir. C’est sûr que l’on avait des échos de l’affaire Penelope, de la façon dont il gérait ça. On nous disait qu’il s’enfermait dans son bureau deux heures tous les matins et qu’il faisait fi des conseils de son équipe. »

    Lui, déçu du candidat de la droite, a finalement voté Macron au premier tour et fera de même au second. Catherine hésite encore :

    « Plus j’avance, plus je me dis que c’est Macron qu’il faut suivre, même si ce sera pareil qu’avant. Les gens en ont marre du socialisme. Et puis surtout, c’est un vote de déception. »

    Emmanuelle, quant à elle, invoque l’intimité de l’isoloir.

    « Le Far West des riches »

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    Modeste propriété classée. / Crédits : Sarah Lefèvre

    Pour tuer la morosité et mieux comprendre le Vésinet, rien de tel qu’une promenade près du Parc des Ibis dans la Xantia de Frédéric. 500 hectares de verdure pour 16 000 habitants. Les enfants vont à l’école en vélo. Les villas en briques et pierres blanches se succèdent. Au Vésinet, on ne lésine pas sur la tranquillité. « Une maison, ici, c’est un million minimum. Enfin, pour une maison à retaper. »

    On passe devant la demeure de Philippe Varin, ancien PDG de PSA. « Pendant le plan social chez Peugeot, il y avait toujours un garde posté là, au cas où les salariés découvrent l’adresse… ». Sur notre gauche, un centre de convalescence, son parc, ses tourelles. « De nombreux sportifs viennent se reposer ici. Martine Aubry y a fait sa cure aussi. »

    Une allée boisée, des ouvriers taillent une haie. « Des arbres remarquables s’il vous plaît ! Il y a beaucoup de petit personnel qui bosse pour les propriétés. Ah oui, j’oubliais ! Ici, on ne dit pas “maison”, mais “propriété”. Et puis on va en soirée avec son maillot de bain. C’est ce que fait ma fille qui est ado ».

    Le nid de Sens commun

    « Phénix » aussi vit aux abords du parc. Lui, c’est le blogueur de la ville. Un billet chaque matin et 1.000 visiteurs par jour, jusqu’à 3.000 en période électorale, dit-il. C’est un peu Le Canard Enchaîné du coin.

    Son cocker noir aboie derrière le portail en fer forgé. Michel Coudert, de son vrai nom, s’excuse pour les cartons devant la porte d’entrée : « On m’installe une nouvelle cuisine. » Nous passons au salon. Si l’homme au pull bleu roi à col en V a créé ce « contre-pouvoir local », c’est parce qu’il en avait marre des promesses de campagne non tenues et du manque de droiture des élus du « château Carnot ». C’est le nom qu’il donne à l’hôtel de ville. A priori, il n’a pas le temps de s’ennuyer.

    « C’est le Far West des riches !, nous confiait plus tôt Frédéric Gozlan. On a connu quatre élections en 10 ans. Certains disent même que le maire actuel est en sursis. Que c’est pas normal qu’il ait tenu plus de deux ans et demi. » Certains maires ont démissionné, d’autres ont vu leurs comptes de campagne invalidés.

    La révolution est-elle en marche au Vésinet selon Phénix ?

    « Pas de quoi affoler les gens, mais c’est vrai qu’on n’a jamais eu un candidat centriste en situation de challenger un candidat de droite aux élections. »

    Le chroniqueur local table sur un vote de 15-20% en faveur du FN. Il s’explique :

    « Les thèses du Front sont plus ou moins connues et acceptées, mais les conditions ne sont pas réunies pour que ce vote prenne. Disons que l’on vit dans un entre-soi et que l’on n’a pas vraiment peur d’une invasion turque ou syrienne au Vésinet. Et puis il y a une certaine bienséance à ne pas voter FN. On a des problèmes de riches ici et les gens pensent que seule la droite tradi peut régler leurs problèmes. »

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    Michel Coudert alias Phénix ou le contre-pouvoir du Vésinet / Crédits : Sarah Lefèvre

    Selon lui, le vote FN viendra de la frange Sens commun, ce mouvement issu de la Manif pour tous pour qui la famille homosexuelle ou monoparentale est intolérable.

    « ll y a un nid ici. Quand il y a eu la manif de Fillon au Troca, on a chartérisé un RER entier. Je me rappelle aussi de certaines photos pendant la Manif pour tous, il y avait 50 ou 60 personnes à la gare, des parents avec leurs poussettes, en route pour Paris. »

    Catherine Bertin en était. Infirmière de formation, elle s’est consacrée à ses enfants depuis leur naissance et n’a que très peu exercé son métier : « Je ne trouve pas normal que l’on parle de “mariage” pour les homos. On aurait dû renforcer le Pacs plutôt. D’ailleurs, à la mairie, il y a des adjoints qui sont bien embêtés quand il y a un mariage homo à célébrer. »

    Cité princesse

    De retour à bord de la Xantia, direction le sud du Vésinet. Bienvenue dans le quartier Princesse. L’un des plus modestes de la ville. Quelques immeubles de 4 ou 5 étages devant nous. Pas plus, c’est interdit par le Plan local d’urbanisation. Compter 1.200 euros pour un trois pièces environ, estime le joueur de trombone. La ville, classée aux Bâtiments de France, a longtemps affiché un gros retard en matière de logements sociaux. Un taux de 8% seulement contre les 20% obligatoires. Mais tout va changer. Le grand projet « Parc Princesse » et ses 500 logements verront bientôt le jour – « en 2019 si tout va bien », raconte Frédéric Gozlan. « 20 ans que l’on n’en a pas construits, vous imaginez la pression fiscale sur la mairie (tout commune qui n’atteint pas le taux de 20% doit verser une amende, NDLR) ? » Le projet a été voté à l’unanimité par le conseil municipal.

    Le téléphone de l’élu n’arrête pas de sonner. Il reçoit plein de textos. Le billet du matin de Phénix fait grand bruit. Rien à voir avec le ralliement de Dupont-Aignan à Marine Le Pen, annoncé depuis quelques heures, ou avec l’organisation du dernier débat des présidentielles. Le maire a refusé de prêter l’estrade de la mairie aux écoles primaires pour l’organisation de leurs kermesses annuelles. Les enjeux sont locaux au Vésinet.

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