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    16/05/2017

    « l’Etat, l’industrie et l’Islam se sont mis d’accord »

    300 bouchers labellisés « sans halal » par une asso islamophobe

    Par Félix Lemaître

    L’asso islamophobe Vigilance Halal a monté un label « viande de tradition française » garanti sans halal. Plus de 300 bouchers ont signé leur charte.

    Marché d’Aligre, Paris 12e – Trentenaires à barbe et vieilles dames font la queue devant l’étal de Michel Brunon. Le Normand est le boucher star du marché, recommandé par le chef trois étoiles Alain Ducasse dans son guide J’aime Paris.

    Il n’est pas le seul à faire de la pub pour le roi de l’entrecôte. La boucherie figure également dans le listing de suivezlecoq.fr. Le site recense les plus de 300 bouchers titulaires du label « viande de tradition française ». Des professionnels qui s’engagent à ne vendre que de la viande garantie non halal. Aux manettes de ce label, l’association islamophobe Vigilance Halal.

    « J’ai cotisé pour l’association, je veux garantir une viande non halal ici ! » s’exclame Michel Brunon, en réajustant sa toque. Un choix qu’il n’assume pourtant pas complètement. Pas de trace du macaron fourni par l’asso sur sa devanture. D’ailleurs, il refuse d’en dire plus et retourne à son faux-filet. Sa femme, Danièle, s’éloigne de la caisse pour nous confier, gênée :

    « C’est vrai que c’est un sujet important pour nos clients. Toutes les semaines, on nous demande d’où vient notre viande et si elle est halal… »

    « C’est une question de souffrance animale »

    « On veut lutter contre le communautarisme », affirme Lou Mantély, porte-parole de Vigilance Halal. Un euphémisme : l’asso, fondée en 2012 par Alain de Peretti mène, sous couvert de défense des animaux, une véritable croisade anti-islam. Ils se rêvent en L214 identitaire :

    « Leurs méthodes sont bonnes mais ils cachent au grand public la vérité : c’est à cause du halal qu’il y a toutes ces souffrances. Il faut qu’on ait le même impact [que L214], l’hypocrisie en moins. »

    Une rhétorique qui fait son petit effet. Jean, boucher en région parisienne, se dit « plutôt de gauche » :

    « J’ai reçu une lettre de l’association et ça m’a convaincu. Le halal, ça va pas. C’est une question de souffrance animale. Sans étourdissement, il y a quand même l’idée qu’il faut que la bête souffre, et plus ça souffre, plus c’est bon. C’est sadique. »

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    Alain de Peretti mène, sous-couvert de défense des animaux, une véritable croisade anti-islam. / Crédits : DR

    0% Halal, 100% d’extrême droite

    Si la structure se présente comme apolitique, l’ancien vétérinaire qui la dirige a un CV militant bien rempli. Jusqu’en 1998, il était élu Front National au conseil régional de Gironde, avant de rejoindre le Mouvement National Républicain (MNR) de Bruno Mégret. Il deviendra ensuite coordinateur du Bloc Identitaire Aquitaine et chroniqueur pour le site islamophobe Riposte Laïque.

    Depuis sa fondation, Vigilance Halal multiplie les coups de com’. En 2013, ils organisaient les Etats généraux du bien-être animal, en présence du maire apparenté FN Robert Ménard mais aussi du très conservateur député Les Républicains, Nicolas Dhuicq. En 2015, comme StreetPress le racontait, ils tentaient de récupérer la mobilisation contre la ferme des 1.000 veaux. Et en 2016, l’asso organisait une manif pour appeler au boycott d’un Quick de Perpignan. Devant l’établissement, Alain de Peretti clamait à qui veut l’entendre que les burgers halal sont le « marqueur de l’islamisme radical ».

    Selon eux, l’abattage rituel est un risque sanitaire ainsi qu’un moyen d’islamiser la France. L’asso dénonce l’absence d’obligation légale d’étiqueter la viande halal. En France, des excédents de viande abattue rituellement peuvent en effet être vendus sans étiquetage spécifique. Un complot pour Lou Mantély, le porte-parole de l’association :

    « On nous le cache parce que l’Etat, l’industrie et l’Islam se sont mis d’accord. Pour des raisons économiques, la France ferme les yeux et finance la religion musulmane et le terrorisme, en connaissance de cause. »

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    Vener contre Quick / Crédits : DR

    Lancement en grande pompe

    Avec son label « viande de tradition française », lancé en 2016, Vigilance Halal passe à la vitesse supérieure. L’asso lance une grande opération de com’. L’initiative est annoncée sur le plateau de la webtélé d’extrême droite TV Libertés avant d’être relayée par Riposte Laïque et les sites régionalistes identitaires Breizh.Info et NiceProvence.Info. Vigilance Halal se paye également deux encarts publicitaires dans l’hebdo Valeurs Actuelles.

    En parallèle de cette campagne médiatique, plus de 5.000 bouchers artisanaux sont démarchés par courrier et plusieurs milliers de mails sont envoyés. « On a ciblé toutes les boucheries qui ne sont ni kasher ni halal », détaille Lou Mantély. « Notre but, c’est que le non halal devienne un argument commercial. Ça incitera les abattoirs à faire de moins en moins d’abattage rituel. » Sur Internet, Alain de Peretti invite ceux qui soutiennent l’association à « mettre la pression aux artisans » en faisant du porte-à-porte. Bernard, boucher dans la région normande et militant dans l’association, ne tourne pas autour du pot :

    « Il faut les harceler ! Il n’y a que comme ça qu’on va pouvoir gagner du terrain. »

    L’islamophobie, un argument commercial ?

    La stratégie paye. Sur son site, Vigilance Halal annonce que plus de 300 bouchers auraient signé une charte où ils s’engagent à ne fournir que de la viande garantie non halal. Près de 300 d’entre eux sont recensés sur le site suivezlecoq.fr. L’association leur fournit un sticker flanqué du logo « viande de tradition française » à placer sur leur vitrine.

    « Nous aimons nos traditions »unnamed.png

    Pour les bouchers situés dans des grandes villes, garantir un abattage non rituel de la viande est un moyen de se distinguer. C’est ce qui a motivé Eric, boucher cannois :

    « Je l’ai fait pour me démarquer, il y a de la concurrence à Cannes. Pas mal de boucheries halal. Je sais que ça peut m’aider à récupérer des clients, surtout des personnes âgées. »

    Jacques, boucher dans une commune rurale d’Auvergne, assure quant à lui vouloir montrer une image de défenseur du terroir :

    « Mon autocollant, je l’ai mis en devanture. Les clients préfèrent. J’ai eu du soutien, certains étaient rassurés. Moi, je défends la boucherie traditionnelle, locale. C’est ça mon créneau. »

    « Rassurer », c’est le mot d’ordre de Vigilance Halal. « Les Français ont besoin de ça. On va restaurer la confiance », soutient Lou Mantély. Pourtant, le label n’est pas aussi fiable qu’il le prétend. Lou Mantély confesse :

    « On n’a pas les moyens de surveiller les enseignes. C’est à la confiance entre le boucher et son fournisseur. On ne contrôle pas. »

    Micro-business et lobbying politique

    Vigilance Halal ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Marc Lyraud, adhérent de l’asso et créateur du site suivezlecoq.fr mis en ligne en décembre 2016, a monté une micro-société du même nom. Une entreprise qui commercialisera bientôt une application de géolocalisation des bouchers et restos partenaires. Il cherche en effet à étendre le réseau aux restaurants – 30 ont pour l’instant rejoint l’initiative – ainsi qu’aux entreprises d’agro-alimentaire. « J’essaie de rallier les marques à notre mouvement, mais c’est très compliqué. » déplore Marc Lyraud. Ces derniers temps, ce programmeur informatique à Saint Viance, en Corrèze, délaisse le clavier pour le démarchage téléphonique :

    « J’essaie d’obtenir le soutien de HIPP, qui fait dans l’alimentation infantile, et qui est distribuée chez Carrefour. Tout est fait en Allemagne où l’abattage rituel est interdit. »

    C’est pour protéger son bambin de la peste halal qu’il a rejoint la cause :

    « Après la naissance de mon premier enfant, je me suis demandé si le Blédina était halal. J’ai appelé Vigilance Halal et en parlant avec Alain de Peretti, j’ai basculé dans ce combat-là. »

    L’asso tente également de faire du lobbying auprès des politiques. Septembre 2016, le député Rassemblement Bleu Marine Gilbert Collard adresse une question écrite au gouvernement qui exige que Manuel Valls encadre de manière plus dure les abattages rituels de l’Aïd. Un texte qui se termine par cette phrase :

    « Cela permettrait à la communauté musulmane de montrer une possibilité d’adaptation à la modernité scientifique. »

    « C’est nous qui lui avions transmise » se vante Lou Mantély qui assure discuter avec d’autres politiques, tout en refusant de donner leurs noms :

    « Nous échangeons avec des personnalités de droite, qui appartiennent aux Républicains, au FN ou au Rassemblement Bleu Marine. »

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