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    03/01/2018

    Ils consacrent des dizaines de milliers d’euros à leur collection de baskets

    Dans le placard des passionnés de sneakers

    Par Louise Audibert , Benjamin Filarski

    Pour s’offrir les modèles de baskets les plus rares, ils sont prêts à tous les sacrifices : rester vivre chez leur parents, contracter un crédit ou revendre leur voiture. Rencontre avec les fans de sneakers.

    Boulevard des Filles du Calvaire, Paris – Nike Air Force One de la collection capsule Off White, survet, pull à capuche et barbe soignée, Larry est une référence dans le milieu des accros aux sneakers. Sa page Facebook est suivie par plus de 20.000 passionnés, son compte Instagram dépasse les 35.000 followers. Sur Youtube, il anime aussi le Larry live show, une pastille vidéo où il cause baskets, forcément, avec des invités.

    On retrouve l’homme dans le 3e arrondissement de Paris. Cet hiver, Larry a ouvert un « pop up store », One Culture, consacré aux baskets de collection. « La basket s’est beaucoup démocratisée avec les collabs lancées par les stars du hip hop et depuis que les maisons de haute-couture ont sorti leurs propres modèles », explique-t-il.

    « Aujourd’hui, je pense qu’on a tous une histoire avec une paire de sneakers », sourit-il. C’est lors d’un « camp out », ces campings de fana de pompes devant les magasins de sport, qu’il a rencontré Mehdi, son associé en affaires. Depuis leurs premiers achats de baskets, ils ont rapidement trouvé un moyen de financer leurs paires. « J’en achetais plusieurs et je les revendais. Comme ça, je pouvais me rembourser les miennes », raconte Larry. « Il m’est déjà arrivé d’acheter un produit et de le revendre presque dix fois son prix dès la sortie du magasin », lance Mehdi, grand, mince et sapé moins street. Bons en affaire et très attentifs au cours de la sneakers, les deux associés sont passés pro il y a deux ans en lançant leur boutique en ligne de modèles rares.

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    Partout! / Crédits : Benjamin Filarski

    Prêts à tout pour une paire de baskets

    Pendant que nous interviewons ces deux pointures, de nombreux clients s’approchent des baskets exposées sur les étagères, les photographient et après un rapide coup d’oeil à l’étiquette du prix, reposent la chaussure en maugréant. Car pour se payer des pompes chez Larry, il faut avoir du pèze. Sur les étagères du shop, des paires « classiques » comme les Yeezy d’Adidas, désignés par Kanye West, côtoient des modèles rarissimes comme la collaboration entre Adidas, Chanel et Pharell Williams. Ces running noires et blanches, dessinées par Karl Lagarfeld, limitées à 500 exemplaires, étaient vendues en grande pompe chez Colette à 1.000 euros. Aujourd’hui, leurs prix explosent sur les sites spécialisés. Comptez 9.000 euros pour un 36 et même 18.000 euros pour un 45. Des sommes invraisemblables qui n’arrêtent pas les mordus de sneakers. « Les gens sont prêts à tout pour s’offrir la paire de leurs rêves, j’ai connu des mecs qui ont pris des crédits pour acheter leurs baskets et on a même entendu des histoires de personnes qui allaient jusqu’à vendre leur voiture ou leur corps », explique Larry :

    « Il y a même quelques collectionneurs qui sont interdits d’achat [dans sa boutique] tellement ils se sont mis en galère ».

    Entre deux échanges, un nouveau client s’approche à pas feutrés et questionne Larry. Lunettes au bout du nez, ce basketteur attrape les chaussures avec soin et les scrute minutieusement. « Moi, quand je veux vraiment une paire, je suis prêt à mettre le prix, explique-t-il. Le maximum que j’ai dépensé c’est 1.300 euros ». Maxime, déménageur habitant en Ile-de-France, a lui aussi été touché par cette fièvre acheteuse :

    « La paire la plus chère que je me suis achetée c’était une Jordan 5 Grape qu’un pote m’avait ramené des Etats-Unis. Avec les frais de douane, elle m’a coûtée 750 euros et elle est beaucoup plus chère aujourd’hui. »

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    Choisis ton camp. / Crédits : Benjamin Filarski

    Collectionneur depuis dix ans, il a dépensé entre 20.000 et 30.000 euros pour s’acheter ses 250 paires de baskets. Pour s’offrir sa collection, Maxime a du consentir à de nombreux sacrifices. Comme habiter chez sa mère pendant de longues années :

    « Ne pas avoir à payer de loyer m’a permis d’avoir le budget pour m’acheter mes pompes. »

    Accros depuis l’enfance

    Il nous reçoit dans l’appartement familial, où « ses précieuses » soigneusement rangées dans les boites d’origine occupent une bonne partie de sa petite chambre. Il nous montre fièrement sa première paire « une Jordan 5 Raging bull », achetée avec son tout premier salaire.

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    Pour Larry Deadstock et Medhi, les deux revendeurs de sneakers, la passion remonte à l’enfance. « On dormait avec nos chaussures ou on les mettait au moins à côté de nous pour les apercevoir dès qu’on ouvrait un oeil », raconte Mehdi. « Moi je me souviens même que quand j’étais enfant mon père m’en avait achetées avant de partir en vacances et comme il n’a pas voulu que les emmène au bled, j’ai attendu tout l’été de les retrouver ». Et depuis son amour de la basket n’a pas pris une ride. « Dans mon entrée, j’ai plein de boîtes transparentes où sont rangées toutes mes paires », indique-t-il vidéo à l’appui. Pas moyen d’aller admirer sa collection :

    « Comme beaucoup de collectionneurs, je préfère rester discret là dessus parce qu’il y a eu des histoires de cambriolage. »

    « J’économisais mon argent de poche pendant plusieurs mois quand j’étais petit », se souvient Evans tombé dedans en lorgnant sur les Air Max One d’un danseur de son quartier :

    « Du coup, je me privais de sorties ciné, patinoire ou de grecs avec mes potes et je m’achetais environ neuf paires par an »

    Sapé comme jamais

    L’objectif d’Evans, comme de tous les accros de la basket, c’est de dégoter la perle rare :

    « On a toujours essayé d’avoir des modèles décalés, si on avait les paires que personne n’avait, on était contents »

    Et une belle paire ne se porte pas n’importe comment. « Généralement, je vais faire en sorte que mes tee-shirts et mes sneakers soient de la même couleur. Mais du coup il y a certaines paires que je porte très rarement ou seulement à certaines saisons », explique Patrice, trentenaire très coquet. Croisé en soirée parisienne, à la veille de Noël, Stéphane, commercial à l’apparence très soigné partage un peu cet état d’esprit : « Moi, par exemple je porte cette paire de Nike dont la virgule est doré seulement pour les fêtes ». Chez lui, la passion de la collection dépasse les baskets :

    « J’ai environ 200 paires mais je collectionne d’autres choses comme les fringues que j’achète en très grande quantité ou encore les disques durs externes. »

    C’était mieux avant

    Casquette Five panel vissée sur le crâne et Reebok pump fury by Keith Harring aux pieds, Luther est un ex-junkie de la pompe :

    « J’ai bien envie de me racheter des sneakers mais je me retiens. »

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    Edition limitée Ghostbusters. / Crédits : Benjamin Filarski

    Ancien gouvernant dans les grands hôtels de la capitale, il projette de monter une société de nettoyage. Côté baskets, le petit brun est « un peu en cure de désintox ». Sourire aux lèvres, il explique :

    « Ça a longtemps été ma passion et j’étais un vrai ouf avec les pompes mais maintenant que j’ai une famille ce n’est plus pareil. Madame n’est pas d’accord pour que je claque toute mon oseille en baskets. »

    De temps en temps, il chine encore « quelques petites paires sympas sur Ebay ou Le bon coin quand l’un des miens en a besoin ». Il n’est pas le seul à lâcher les baskets, notamment depuis la fin des « camp out ». « Avant, on allait camper devant les boutiques pendant plusieurs jours avant la sortie d’une paire pour être sûr de l’avoir. Il y avait du respect et de la convivialité. Maintenant que les boutiques ont mis au point les tirages au sort pour débarrasser leurs trottoirs, ce n’est plus pareil », admet Mehdi. « J’ai participé à une cinquantaine de « rafle » et je n’ai jamais été tiré au sort », déplore Maxime :

    « J’ai un peu l’impression que ce sont toujours les mêmes qui ont le privilège d’avoir leur paire de baskets donc ça m’a saoulé. »

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    Les classique. / Crédits : Benjamin Filarski

    Confronté à une concurrence grandissante, à une moins bonne qualité des produits ou des problèmes de budget, les « piqués » ont décidé de faire passer leur vie avant leur passion. « Avant je m’achetais plein de paires mais maintenant j’ai arrêté parce que je pense que ça devient n’importe quoi », indique Evans. « Je jetais clairement l’argent par les fenêtres, il m’est arrivé de m’acheter une paire, de la mettre une fois et de l’oublier dans un coin parce que la semelle était sale, c’était n’importe quoi », souffle Luther. « Pendant trois, voire quatre ans, je pouvais m’acheter 2 paires par mois dès qu’elle sortaient simplement par plaisir et certainement pour combler la frustration de ne pas avoir pu me les acheter plus jeunes », se souvient Razmo, également rangé des chaussures :

    « Je suis parti vivre en Australie et je me suis rendu compte que j’avais mieux à faire de mon argent et que je manquais de place, ça m’a permis de me faire une petite cure de désintox et depuis j’achète une paire tous les deux, trois mois. »

    Son de cloche sensiblement identique pour Maxime :

    « Pendant des années, tout mon salaire partait dedans ».

    Aujourd’hui, il a réussi à se raisonner même s’il lui arrive de faire de petites rechutes. « Je vais ne rien acheter pendant des mois et soudainement je vais m’acheter cinq, six paires d’un coup », raconte-t-il. Malgré l’ampleur de sa collection et son amour de la basket, ce sneaker addict semble frôler l’overdose :

    « Des fois, j’ai envie de tout arrêter, ça me dégoûte, il y en a trop. »

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