Aubervilliers (93) – « Un garage clandestin ? Ah, vous cherchez les mécanos à l’arrache ? C’est plus loin sur le trottoir. » Au long de la nationale 2, à Aubervilliers, dans un petit parking, des voitures viennent et repartent à tour de rôle. Les taches d’essence sur le bitume et les outils qui jonchent le sol laissent deviner ce qui s’y passe. Ici, on monte un nouveau pot d’échappement pour 25 euros, on change une plaquette de freins pour 20 et on répare une poignée pour 15 seulement. Imedine, Walid, Thamir et les autres sont là depuis 7h, mais les clients se font rares. Le ciel est gris et il tombe quelques gouttes. « Il y a des journées comme ça. Il y en a d’autres où je me fais jusqu’à 150 euros », assure Imedine. Aujourd’hui, il repartira avec une quarantaine d’euros dans les poches. Assis sur un bout de trottoir, il attend de potentiels clients en rangeant sa boîte à outils.
Dans la voiture d’à côté, ses amis écoutent de la musique orientale, « pas trop fort », histoire de ne pas déranger les voisins. Le trentenaire à la carrure imposante travaille ici depuis trois ans, tous les jours. Sauf le dimanche. « Le dimanche, c’est piscine. » Il a quitté l’Algérie pour la France en 2015. À son arrivée, il cherche « un vrai boulot », mais sans papiers, c’est la débrouille. Il commence par « dealer » des cigarettes à la sauvette du côté de Barbès et de la Chapelle. Puis l’ami d’un ami lui fait découvrir « le garage ». Il alterne un moment entre les deux jobs, puis abandonne la vente de clopes. « Ici, c’est moins galère », lâche-t-il entre deux volutes :
« On vient grapiller quelques euros, de quoi vivre, c’est tout. »
Pour quelques dizaines d’euros
De l’avis de ceux qui y travaillent, le garage d’Aubervilliers existe depuis une dizaine d’années. La plupart des garagistes sont sans-papiers, algériens, tunisiens et marocains pour la grande majorité. C’est l’endroit pour se refaire, le temps d’améliorer sa situation. C’est aussi un lieu de rencontre pour ces différentes communautés. « On peut se retrouver ici entre nous, ça c’est cool, mais sinon c’est un peu la merde », explique Walid. Thamir d’acquiescer d’un hochement de tête.
Dans le garage, les personnes les plus motivées travaillent quotidiennement. D’autres passent à l’occasion pour gagner quelques euros. En tout, ils sont une dizaine de mécanos. Pas de patron, « on travaille ensemble mais chacun pour sa poire », lance Amine (1). Au premier abord, on croirait pourtant que c’est lui le chef. On le sollicite à droite, à gauche pour des conseils, pour traduire les échanges avec les clients parfois. C’est aussi le plus vieux, il a 68 ans.
« Qui vous envoie faire un rapport », interroge t-il, l’air méfiant. Il s’essuie les mains sur sa veste, un peu serrée au niveau du ventre, fronce les sourcils derrière ses lunettes tachées. « On vient juste pour gagner un peu d’argent ici, on ne fait rien de mal vous savez. » Le gaillard passe de temps en temps pour filer un coup de main et se faire quelques billets, histoire de compléter les fins de mois. « C’est pas facile », surtout depuis que « Macron s’est attaqué aux retraités ».
Amine vit en France depuis 25 longues années, avec sa femme et ses enfants, maintenant grands. « C’est une chance », marmonne-t-il dans moustache grise. Contrairement à ses collègues d’infortune, « les jeunes », il a « un endroit où dormir et se doucher » :
« Tu vois ces voitures pourries là, c’est là qu’ils dorment. Et s’ils viennent pas gratter des sous au garage, ils ne peuvent même pas prendre une douche. »
La galère
Le mode de vie de ces mécanos de la débrouille est plutôt rudimentaire. Beaucoup dorment dans leur voiture. Walid et Thamir pioncent depuis deux ans dans leur Renault twingo 1 aux sièges délavés. Ceux qui n’ont pas de voitures dorment dans des squats. Les plus chanceux vivent en colocation à plusieurs, chez un ami qui a des papiers. « Chacun verse 150 euros par mois, à la fin ça fait un loyer complet », calcule Imedine.
Pour la douche, les mécanos comptent sur la solidarité de leurs potes. « Il faut alterner pour ne pas trop embêter », précise Imedine. Pour Iui, la meilleure solution reste la piscine :
« Pour trois euros tu prends deux douches, une quand tu rentres et une autre quand tu sors. A la limite, t’es même pas obligé d’aller nager. »
Pour manger, c’est plus compliqué. Quand il y a beaucoup de passages au « garage », un peu de monnaie suffit pour se faire un grec ou des petites courses. Sinon, les amis peuvent dépanner. Et s’ils n’ont pas d’argent non plus ? « C’est serrage de ceinture ! », balance Thamir.
Pour Amine, l’Etat est le premier responsable de la situation de ces « jeunes », sans-papiers et sans boulot.
No future
Cela fait quatre quatre ans que Walid et Thamir ont posé leur boîte à outils du côté d’Aubervilliers. Les deux gaillards, pas très grands mais musclés, sont comme des frères. Ils auraient aimé rester un peu moins longtemps. Les recours aux associations, ils n’y croient plus trop. « Ça radote, ça radote, mais y pas grand-chose qui change pour nous », affirme Walid.
Avec la police c’est pas mieux. « On joue au chat et à la souris », poursuit Amine. Les pandores sont justement passés plus tôt dans l’après-midi. Selon Amine, ce type de visite arrive deux à trois fois par mois. « Ils prennent tout », affirme Imedine. L’argent, les outils… Du coup le client s’en va. Après un passage, tout le monde se disperse… pour revenir cinq minutes plus tard. « C’est ridicule », se moque Imedine. Pour éviter de se faire serrer, il arrive que le garage fonctionne comme un point de rendez-vous. Une fois d’accord sur les réparations et le prix, le client et le mécano se retrouvent quelques mètres plus loin. Ça fait moins rire monsieur Amine, « on veut pas les laisser travailler, on préférerait peut-être qu’ils volent ? » :
« Ecrivez-ça dans votre rapport ! »
Derrière lui, Abdou, 24 ans, l’un des plus jeunes, se marre. « Ce vieux ne veut pas laisser la place aux plus jeunes ». « C’est un grand salopard celui-là », rétorque Amine, du tac au tac.
Plus d’opportunité, moins d’embrouilles
Abdou discute avec le propriétaire d’une Citroën saxo rouge. Quelques secondes plus tard, il s’applique à réparer la poignée d’une portière passager. Son client, le dernier de la journée, en aura pour une dizaine d’euros seulement. Abdou le remercie avec un large sourire.
C’est l’heure du café. Toujours en se marrant, il raconte comment il a atterri ici. « En 2013, j’ai demandé un visa étudiant d’un mois pour la France. » Huit ans après, il est toujours là. A Oran, avant son départ, il a obtenu son bac, puis il a étudié la comptabilité. Reprendre des études un jour ? « Ça fait trop longtemps », rigole-t-il de bon cœur. Sa sœur est étudiante à Paris 8, « pour trouver un bon métier plus tard », poursuit-il avec fierté. Il ne souhaite pas partir maintenant, même s’il imaginait la France autrement : plus d’opportunités, moins d’embrouilles. Il reste optimiste. Il finira bien par faire autre chose.
1. Le prénom a été modifié
Photo d’illustration en une
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