Le 10 décembre 2018, la cellule investigation d’Al Jazeera diffusait le premier épisode de Generation Hate, une enquête au long cours dans les coulisses du bar la Citadelle, tenu par des militants de Génération Identitaire à Lille.
Pendant 6 mois, Louis a infiltré le groupe muni d’une caméra cachée. Ses images sont accablantes : violence verbale, saluts nazis et agressions physiques… Derrière la vitrine respectable, le groupe fonctionne comme une véritable petite milice, adepte du coup de poing. Le reportage met également au jour les liens entre le groupuscule et le Rassemblement National. StreetPress a voulu en savoir plus sur les coulisses de cette enquête choc.
Retrouvez le second épisode de Generation Hate ici.
Quelle a été ta première réaction face à la violence des militants de Génération Identitaire ?
Honnêtement, je n’étais pas étonné. Cependant, je ne m’attendais pas à ce que ce soit si régulier. C’est assez dur et épuisant d’écouter un discours aussi haineux, envers les étranger-e-s, les noir-e-s, les arabes, les femmes voilées… Mais ma première réaction à surtout été de me dire qu’on était en train, avec mes collègues journalistes, de récolter les preuves nécessaires au documentaire.
Comment s’est déroulée la soirée qui a fini sur l’agression de la jeune femme rue Masséna ?
C’est une soirée qui ressemble à d’autres soirées avec les militants de Génération Identitaire. On fait la tournée des bars de Lille, les verres d’alcool s’enchainent et les esprits s’échauffent. C’est à peu près toujours le même but : faire en sorte de tomber sur des personnes racisé-e-s ou dont la tête ne reviendrait pas aux militants … la suite vous l’avez vue dans la première partie du documentaire…
Quel lien entretient GI avec des mouvements plus institutionnel comme le Rassemblement National ?
En façade, Génération Identitaire affiche son soutien au Rassemblement National (RN), c’est indéniable. En prenant le temps de discuter, on découvre des liens beaucoup plus étroits, entre militants et cadres du Front. Nous avons pu constater que des membres de GI travaillaient étroitement avec des députés RN. Ces derniers évitent de s’afficher publiquement en tant que membre GI, afin de ne pas contredire la politique de dédiabolisation instaurée par Marine Le Pen.
Lors d’une soirée que tu filmes en caméra cachée, plusieurs dirigeants sont présents à la Citadelle. Ils se montrent assez détendus. Ils se confiaient facilement à toi ? Il n’y avait aucune méfiance ?
Je pense qu’on a eu énormément de chance. C’était un gros week-end pour eux. Ils étaient venus à Lille pour un congrès (mars 2018). Lors de celui-ci, le parti annonçait son changement de nom. Dans le bar, il régnait une sorte d’euphorie générale. Les dirigeants contents d’être à la Citadelle, entourés de jeunes militants et militantes de Génération Identitaire. A ce moment, cela faisait 6 mois que j’étais parmi eux. Les caméras et appareils photos étant interdits dans la Citadelle, comme d’habitude, les dirigeants m’ont juste parlé sans méfiance, et sans filtre…
Qu’est ce qui t’a surpris ?
Que la plupart affichent leur soutien à Génération Identitaire, leur présence dans la Citadelle, tout en sachant que Marine Le Pen ne devait pas le savoir. C’est un peu comme une réunion secrète où les uns et les autres trinquent ensemble et font part de leur soutien mutuel.
Est-ce que tu as pu voir d’autre mouvements satellites (autour de la citadelle) que l’on ne voit pas dans le doc ? On parle un peu des hooligans…
Oui, j’ai pu discuter avec des militants de l’Action Française. Parmi les habitués, on compte aussi les Jeunes Lequesnistes [partisan d’Henry de Lesquen, ndlr]. Certains militants de l’UNI passent aussi régulièrement au bar. Sur les gros weekends militants, il faut ajouter quelques membres du GUD, nouvellement Bastion Social, comme on peut le voir dans la partie 2 du documentaire.
Aurélien Verhassel, le président de la Citadelle, se vante que des policiers fréquentent le bar. Tu as pu le constater ? Plus généralement, quels types de profils as-tu pu voir à la Citadelle ?
J’ai pu rencontrer un homme qui s’est présenté comme officier de police. Les profils sont variés, mais tous se rejoignent sur une vision identitaire radicale, emprunte de violence.
Tu n’as jamais eu peur ?
Si. Bien sûr que oui. Il y a eu des moments de tension physique et mentale assez intense. Si je m’étais arrêté au premier coup de stress, alors il aurait été impossible d’obtenir ces révélations.
Les militants étaient-ils méfiants ? As tu eu droit à des intimidations à ton arrivée ?
Le bar la Citadelle est protégé par un sas de sécurité. La plupart des militants et militantes te posent, au moins une fois, la question de savoir si tu es journaliste ou non, qui tu es, ce que tu fais dans la vie, où tu habites… Mais le contraire m’aurait étonné.
Je n’ai pas eu le droit à des intimidations directes, si ce n’est que mon portable a été fouillé. Je dirai qu’il s’agit plus d’un climat intimidant, paranoïaque, omniprésent qui englobe le mouvement de Génération Identitaire. Personne ne doit prendre d’initiative personnelle, au nom du groupe. Tout est cadenassé. Si tu décides de continuer malgré les avertissements, tu devras en assumer les conséquences.
A quelle fréquence, fréquentais-tu les membres de la Citadelle ?
Presque tous les vendredis à la Citadelle, et assez souvent le samedi soir dans les rues de Lille, durant 6 mois. Par moment, quelques sorties en semaine.
J’ai passé énormément de temps au bar mais aussi chez d’autres militants et militantes, à Lille, ou bien dans le local parisien de Génération Identitaire. Pour renforcer mon image militante et la cohésion de groupe, nous nous sommes retrouvés chez les uns ou chez les autres, dans des bars … C’est tout le travail en infiltration.
Que se passe-t-il hors caméras ?
Ce qui est montré à l’écran doit représenter 10 pour cent de ce que nous avons capté. Ce qui se passe hors caméra, c’est le même discours de haine que celui capté en infiltration. Rien ne change, que tu sois à la Citadelle ou chez un militant, dans son appartement.
Transparence : Pour des raisons de sécurité, nous n’avons pu ni rencontrer, ni même téléphoner à l’infiltré. A titre exceptionnel, nous avons donc accepté de mener cet entretien par mail. Les avocats d’Al Jazeera ont par ailleurs, pour des raisons légales, relu l’interview avant publication.
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